Tu n’auras pas d’autres dieux face à moi…
(Exode 20, 3)
Bonjour à vous,
ce mardi sera inaugurée l’exposition « Célébrations. Un monde en fêtes » au Temple du bas à 18h, basée sur calendrier interreligieux. Je vous propose donc cette semaine de partager nos sentiments sur la pluralité des religions de notre monde.
Nous suivrons pour cela l’article de Claude Geffré, « Le pluralisme religieux et l’indifférentisme, ou le vrai défi de la théologie chrétienne », publié dans la revue théologique de Louvain en 2000.
Je vous proposerai chaque jour quelques passages de cet article et vous invite chaleureusement à poster vos commentaires.
Lundi 15 août
On assiste à l’émergence d’un supermarché du religieux […] et la profonde inculture religieuse de nos contemporains, à commencer par les chrétiens eux-mêmes, favorise un bricolage souvent surprenant des croyances ou des pratiques détachées de leurs lieux d’origine. Claude Geffré.
Avant d’entrer dans le débat de savoir comment en tant que chrétiens nous nous plaçons devant les nombreuses religions du monde, j’ai choisi ce passage qui me fait prendre conscience à quel point nous avons tendance à nous positionner alors que nous manquons de données pour réellement entrer en dialogue.
Je me sens démunie et peu apte à m’exprimer sur le sujet compte tenu de quelques insuffisances dont je propose une petite liste:
- j’ai de la peine à expliquer simplement, sans trahir son contenu, ma propre foi.
- je ne connais pas bien les autres confessions chrétiennes, je suis nourrie de beaucoup d’a priori, notamment sur l’Eglise catholique romaine.
- je me rends compte qu’il y a un fossé entre nos bases théologiques et la façon dont beaucoup vivons le fait d’être chrétiens.
- je connais encore moins les religions du monde, ni la façon dont elles sont pratiquées aujourd’hui.
- ce que je connais des grandes traditions asiatiques, comme le bouddhisme ou l’hindouisme est surtout issu de ce « supermarché » occidental qui a mis dans ces rayons des produits dérivés de ces traditions.
Je me rends compte de la nécessité de comprendre et d’approfondir ma propre foi, mais aussi de pouvoir l’exprimer en termes simples et clairs aux autres, ce n’est pas toujours évident.
Je me rends compte que je connais mal les autres religions, et que je dois prêter attention à la façon dont les gens la pratiquent, la vivent.
Je me rends compte que notre société véhicule des clichés, négatifs souvent de la chrétienté, mais que les visions positives sont tout aussi irrespectueuses des traditions: on a mondialisé les religions d’ailleurs pour en faire des instruments de bien-être loin de leur portée spirituelle.
Je suis donc très heureuse d’avoir l’occasion de visiter des expositions intelligentes sur les traditions religieuses, et je rends ici hommage à notre diacre Elisabeth Reichen qui n’a eu cesse de promouvoir de telles ouvertures durant ses années dans notre paroisse, comme celle qui traitait de la délicate question du voile et celle qui nous sera présentée demain. Avant son prochain départ à la retraite, je la remercie déjà pour tout ce qu’elle nous a apporté!
Voilà pour aujourd’hui…
Belle journée
Cécile
Mardi 16 août
Comment porter un jugement positif sur les autres religions et affirmer en même temps l’unicité sans médiation du Christ et le privilège du christianisme comme seule religion vraie ? Comment maintenir la singularité chrétienne tout en respectant la part irréductible des autres traditions religieuses ?
Dieu a pu se communiquer et se révéler à travers les éléments constitutifs de ces religions et à partir de leurs figures salvatrices sans que soit remis en cause le caractère unique de l’événement Jésus-Christ pour le salut de tout homme. (Claude Geffré)
Oui, je conçois parfaitement que Dieu et son projet pour l’humanité nous échappe…
Cependant, je me demande quelle est encore la légitimité des autres religions si l’on admet qu’en Christ, Dieu s’est révélé une fois pour toute ?
J’ai trouvé cette explication de Karl Rahner : « Le Christ est présent et actif dans le croyant non chrétien (et donc dans les religions non chrétiennes) par son Esprit. D’abord une telle proposition est une évidence dogmatique. Si une foi salutaire peut exister dans le non chrétien, de fait, sur une vaste échelle, il va de soi qu’une telle foi est rendue possible et se trouve portée par la grâce surnaturelle de l’Esprit. »
L’Esprit de Christ est à l’œuvre, quelle que soit notre appartenance religieuse, cela je le comprends parfaitement…
Mais, dès le moment où la révélation de Dieu en Christ est considérée comme la vérité absolue, dois-je considérer que les autres religions sont-elles appelées à reconnaître le Dieu de Jésus-Christ ?
Ou peut-on envisager qu’elles poursuivront le projet de Dieu sans rencontrer Christ ?
Dès lors, comment reconnaître une religion comme étant de Dieu ou relevant de l’idôlatrie ? Adorer Baal est par exemple durement interdit par Dieu dans l’Ancien Testament. Dieu place au sommet des commandements donnés à Moïse celui de ne pas avoir d’autres dieux.
Dès lors, comment savoir si derrière l’adoration de Shiva, ses fidèles cherchent Dieu ou adorent vainement une idole ?
Je reconnais que les autres religions du monde procèdent d’une sincère quête authentique du Tout Autre que nous nommons Dieu, et je reconnais que ses « voix sont impénétrables » comme dit le dicton…
Pourtant, je crois que Dieu s’est révélé en Jésus-Christ, et que cette vérité est universelle…
Comment dès lors me positionner dans un dialogue avec un fidèle de Shiva, du Bouddha ou un musulman qui a décidé de suivre Mahomet et de ne pas reconnaître Jésus comme fils du Dieu vivant ?
Avez-vous des réponses à mes questions à me proposer ?
Dans tous les cas, nous avancerons demain dans ces questionnements en suivant l’article de Geffré…
Belle journée
Cécile
Mercredi 17 août
Le dialogue interreligieux recommandé et promu par le concile Vatican II ne peut se justifier que si les différences religieuses ne sont pas nécessairement réductrices du dessein de Dieu.
On peut en conclure que, si notre théologie doit continuer d’affirmer que Jésus-Christ est bien la révélation décisive et définitive sur Dieu, elle ne peut plus prétendre avec la même assurance que par le passé que le christianisme comme religion historique a le monopole exclusif de la vérité sur Dieu et les rapports avec Dieu. (Claude Geffré).
Suite à ce passage, je me suis renseignée sur la perspective du concile Vatican II qui promeut une meilleure connaissance et compréhension mutuelles entre les croyants des différentes religions. Il invite à voir les « éléments de grâce » qu’elles recèlent. Sans renier l’Evangile du Christ qui est la raison d’être du chrétien, le dialogue interreligieux doit aussi être ordonné à l’annonce de l’Évangile et à l’appel à la conversion.
Je me sens proche de cet équilibre entre mon identité chrétienne et le respect des autres. Néanmoins je remarque, et je ne sais pas si cela est bon ou non, qu’effectivement, tout en cherchant à comprendre l’autre, j’espère sa conversion.
Par exemple, je dialogue volontiers avec une amie musulmane pour comprendre son rapport à Allah, ses rites et ses prières, mais nous ne pouvons nous accorder puisque pour elle, Jésus n’est pas Fils de Dieu, il est à l’égal de Mahomet, un prophète, certes très spécial, mais pleinement humain. Or pour moi, Christ est pleinement humain et pleinement Dieu tout à la fois… En affirmant cela, je sais que j’espère au fond de mon être qu’elle sera amenée à vivre cette vérité du Christ vrai Dieu et vrai Homme, en cela je sens bien que je ne respecte par totalement sa propre croyance, même si je peux la « comprendre »…
Je suis convaincue que l’ouverture ne signifie pas transiger sur sa foi pour se faire accepter par l’autre. J’ai cependant plus de peine à affirmer que je ne cherche pas à la convaincre… Pour moi Christ est La vérité, et, mea culpa, mais je ne peux pas ne pas espérer qu’elle devienne celle des autres également…
Je dois par contre reconnaître que c’est dans ces discussions avec mon amie musulmane que j’ai appris à approfondir ma foi, à la formuler de manière claire, à m’interroger sur ce qui, pour moi, est la vérité de Dieu.
Je sais que nulle personne sur cette terre ne détient LA vérité qui n’appartient qu’à Dieu. Néanmoins, je crois lorsque je lis Jean où Jésus nous dit qu’il est « le chemin, la vérité et la vie » que « nul ne vient au Père que par moi »…
Je ne prétends donc pas détenir LA vérité, mais je reconnais et affirme avec foi face à mon amie que je crois en une vérité qui n’est pas la sienne et que la Bible nous présente comme LA vérité…
Qu’en pensez-vous ?
Belle journée
Cécile
Jeudi 18 août
Je maintiens un inclusivisme constitutif au sens où Jésus-Christ est la source unique du salut pour tout homme et c’est en vertu de cette présence cachée du mystère du Christ qu’il est possible de reconnaître dans les autres traditions religieuses de mystérieuses voies de salut. […] Nous confessons donc que la plénitude de Dieu habite en Jésus. Mais cette identification nous renvoie à un Dieu transcendant qui échappe à toute identification. […] Cela veut dire que l’identification chrétienne de Dieu en Jésus de Nazareth n’est pas exclusive d’autres expériences religieuses qui identifient autrement la Réalité ultime de l’univers. (Claude Geffré)
L’inclusivisme est un courant théologique qui admet les autres religions à partir de notre vérité chrétienne que Dieu s’est révélé en Christ, pour toute l’humanité. Christ est à ce titre LA vérité.
Par contre Geffré tient compte que cette révélation du Seigneur sur la croix est si paradoxale et mystérieuse, Dieu se révèle au milieu de son peuple qui l’a crucifié, que nous ne pouvons savoir comment il entend se révéler ailleurs, selon d’autres mystères. A ce titre, nous devons faire preuve d’humilité…
Je comprends donc que Dieu puisse se révéler à travers d’autres expériences religieuses, mais il est vrai que j’ai de la peine à croire, maintenant qu’il s’est révélé à nous en Jésus-Christ et que la Bible nous présente cette vérité comme ultime, qu’il utilise une figure à quatre bras et tête d’éléphant à une seule défense, sous le nom de Ganesh pour manifester sa présence en tant que Père, Fils et Esprit… mais je reconnais que Dieu fait ce qu’il veut, qu’il me pardonne donc si c’est une voie qu’il a choisie pour se révéler aux hommes.
Cette extrapolation m’a menée à découvrir le courant théologique du pluralisme, qui considère que la pluralité des religions rend témoignage à la générosité du Dieu de Jésus-Christ. Ce que j’aime dans cette théologie, c’est qu’elle cherche à reconnaître la richesse religions et à dépasser le sentiment de supériorité que l’on pourrait avoir en tant que chrétien.
Si je crois au Christ vivant, que je crois en sa communion avec nous, que je crois en sa présence, je sais aussi qu’une partie de moi, qu’on nomme péché, résiste à cette vérité et qu’à ce titre je ferme peut-être plus souvent les portes à l’Esprit de Christ que le fidèle qui s’agenouille humblement devant une statue de Ganesh. L’Esprit de Christ le rencontre peut-être à ce moment-là, au-delà des représentations que le fidèle ou moi-même avons de cet instant.
Par contre, j’ai appris que ce qu’on nomme le « pluralisme relativiste » refusait de donner au Christ une place centrale dans l’histoire du salut. C’est la position d’un théologien comme John Hick qui soutient que la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ ne sont pas la réalité ultime de Dieu. Si je comprends bien cette pensée, John Hick considérera, pour reprendre l’exemple de Ganesh, que Dieu peut pleinement se révéler en Jésus, mais qu’il peut aussi se révéler pleinement en Ganesh. Je ne me sens pas prête à recevoir une telle compréhension de Dieu. Pour moi, si l’Esprit de Christ peut agir dans le fidèle de Ganesh, il m’est impossible de penser que Dieu entende se révéler ailleurs que dans son Fils et par la médiation de l’Esprit. Je crois que l’Esprit de Christ peut agir dans le fidèle de Ganesh, mais je ne peux croire que Ganesh et Christ sont deux « Homme-Dieu » présents comme entités autonomes auprès de Dieu et intercédant pour nous…
Je serais vraiment heureuse de connaître votre avis sur ces questions, car je me rends compte que je suis toute perdue lorsque j’y réfléchis. Je prie pour ne pas rester fixée sur ces pensées bien humaines, que mon intelligence, ma capacité de réflexion et mes représentations humaines soient soumises au Christ pour la gloire de Dieu, que son Esprit m’ouvre au-delà de mes spéculations. Je prie pour que, dans l’amour infini que Dieu nous a manifesté en Christ, je puisse par son Esprit vivre pleinement de la confiance en mon Dieu révélé en Christ tout en accueillant pleinement, sans jugement, mon prochain, qu’il soit frère et sœur en Christ, nihiliste ou fidèle de Ganesh…
Belle journée
Cécile
Vendredi 19 août
Le paradoxe même de l’incarnation comme manifestation relative de l’Absolu inconditionnel de Dieu nous aide à comprendre que l’unicité du Christ n’est pas exclusive d’autres manifestations de Dieu dans l’histoire. […] Ce partage de la vérité ne conduit ni au relativisme ni au scepticisme. Il témoigne seulement du caractère inaccessible de la vérité absolue qui coïncide avec le mystère de Dieu. (Claude Geffré)
Bonjour,
je commencerai par dire que je suis entièrement d’accord avec cette affirmation, et je suis persuadée que le christianisme entendu comme une religion formées d’humains qui ont décidé de prendre part au Christ ne peut pas prétendre être la voie obligée du salut (exclusivisme). Je confesse pour ma part que si je crois que le salut est en Christ, l’Eglise n’est jamais complètement le Christ, bien qu’elle aspire à l’être. Notre communion au Christ est à la fois réelle, mais incomplète, au sens où, contrairement à lui, nous ne sommes pas parfaits.
Claude Geffré considère que le christianisme ne doit pas attendre d’une autre religion qu’elle soit conduite au Christ à partir des éléments qui la composent (inclusivisme). J’ai plus de peine à m’accorder à cette pensée, comme j’ai de la peine à m’ouvrir à la reconnaissance des autres religions comme d’authentiques manifestations de Dieu… surtout lorsque celles-ci nient que le Christ était certes pleinement homme mais aussi pleinement Dieu.
Cela ne m’empêche pas de reconnaître pleinement qu’il se peut parfaitement que j’ai tort et cela me mène à accepter que d’autres puissent penser d’eux-mêmes qu’ils ont raison. En cela, je prends le risque de me tromper et je m’applique à respecter les autres religions dans leur prétention à la vérité, du moment que nous puissions cohabiter en ce monde et que je puisse en toute liberté annoncer et chercher à vivre l’Evangile du Christ.
Je considère en outre que le dialogue interreligieux que j’ai la chance de pouvoir vivre chaque jour avec des proches amis me conduit à enrichir ma propre foi. J’ai ainsi, par l’intermédiaire du yoga-sutra de Patanjali, un texte très ancien, redécouvert la richesse de la contemplation chrétienne silencieuse et de la méditation qui est pratiquée depuis fort longtemps par les moines du mont Athos. Par les exercices de respiration reliés à l’ouverture de l’humain au spirituel, j’ai pu approfondir ma manière de méditer et de me rendre disponible à l’Esprit du Christ, qui reste le centre absolu de ma foi et de ma vie.
Pour terminer cette semaine, je citerai André Fossion car je me sens proche de sa prise de position sur la question, et je vous invite à lire son article qui résume les courants théologiques sur la question interreligieuse sur le site « culture et foi ».
Pour vivre la foi chrétienne au temps de la pluralité des religions, il faudra sans cesse mettre en œuvre une pratique cordiale de l’altérité, tout en faisant preuve de discernement et de prudence. La foi chrétienne requiert la confession de Jésus-Christ comme Fils Unique de Dieu, en qui Dieu s’est approché de manière radicale et décisive pour le salut de l’humanité. Pour le chrétien, cet attachement à la personne du Christ prendra toujours un caractère de priorité et de normativité qui requiert l’annonce de l’Évangile pour la plus grande joie de tous (Cf.1 Jn 1,1-4). Mais pour dépasser l’exclusivisme et aller au-delà de l’inclusivisme, le chrétien a-t-il peut-être encore à apprendre à penser l’absolu dont il se réclame comme un absolu relationnel. (André Fossion).
Je vous souhaite à tous et toutes un très beau week-end
Bien à vous
Cécile