Recherchez la constance, l’amour fraternel, la charité. Ces choses porteront du fruit en vous pour mieux connaître notre Seigneur Jésus Christ.
(2 Pierre 1, 5)
Bonjour,
Ce verset est celui proposé pour ce lundi 29 août 2016 sur la page des lectures bibliques quotidiennes du site de la communauté de Taizé.
Comme vous le savez certainement, les prières cantonales œcuméniques de Taizé se tiendront à la Maladière entre septembre 2016 et juin 2017. La première aura lieu le dimanche 18 septembre à 18h, et c’est pourquoi je souhaite cette semaine revenir sur l’histoire, mais aussi l’actualité de cette communauté
Je ne suis jamais allée à Taizé, et connaissais peu l’histoire incroyable de cette communauté… Je m’interroge sur sa place aujourd’hui, et sur ce qu’elle peut apporter à notre Eglise.
Je pense que pour beaucoup, cette chronique n’apprendra pas grand-chose qu’ils ne savent déjà. Par contre, j’espère que vous aurez du plaisir à vous remémorer vos propres expériences de Taizé et si vous pouviez les partager en postant un commentaire, j’en serais ravie !
Lundi 29 août
La naissance de la communauté
Les propos ci-dessous sont un résumé de l’histoire de la communauté décrite dans les détail sur son site internet.
Tout commence donc en 1940, celui qui deviendra frère Roger, alors âgé de 25 ans, quitte la Suisse pour la France. Immobilisé pendant des années par la tuberculose, l’appel à fonder une communauté avait germé en lui. En pleine seconde guerre mondiale, il a la conviction qu’il devait sans tarder venir en aide à des gens qui traversaient l’épreuve. Le petit village de Taizé, où il se fixa, était tout proche de la ligne de démarcation qui coupait la France en deux : il était bien situé pour accueillir des réfugiés fuyant la guerre.
À Taizé, grâce à un prêt modique, frère Roger acheta une maison, sa sœur le rejoint. Les moyens matériels étaient pauvres. Par discrétion, frère Roger cependant priait seul pour ne pas gêner les réfugiés juifs ou agnostiques. Avertis par un ami de la famille que leur activité avait été découverte, ils rentrent en Suisse en 1942, c’est donc à Genève que frère Roger a commencé une vie commune avec ses premiers frères.
Ils purent revenir à Taizé en 1944. En 1945, puisque l’interdiction est faite aux communautés d’hommes d’accueillir les jeunes orphelins de la guerre, frère Roger demanda à sa sœur Geneviève de revenir. Les frères accueillirent aussi le dimanche des prisonniers de guerre allemands internés dans un camp proche de Taizé. Peu à peu quelques jeunes hommes vinrent rejoindre les premiers frères, et le jour de Pâques 1949, ils étaient sept à s’engager ensemble pour toute l’existence dans le célibat, la vie commune et une grande simplicité de vie.
Dans le silence d’une longue retraite, au cours de l’hiver 1952-1953, le fondateur de la communauté écrivit la Règle de Taizé, exprimant pour ses frères « l’essentiel permettant la vie commune ». Cependant, comme le précise frère Aloïs, « même la règle de la communauté, qui restera le texte de base de notre vie commune, il l’a retravaillée à plusieurs reprises. Comme s’il voulait nous entraîner à ne pas nous attacher à la lettre ou à des structures, mais toujours à nous abandonner au souffle de l’Esprit Saint ».
Aujourd’hui la communauté de Taizé rassemble une centaine de frères, catholiques et de diverses origines protestantes, issus de près de trente nations. De par son existence même, elle est une « parabole de communauté » : un signe concret de réconciliation entre chrétiens divisés et entre peuples séparés.
Réflexions sur la genèse de Taizé
Je vous propose quelques points qui m’interpellent dans cette histoire des débuts de la communauté de Taizé.
Persévérer mais rester lucide. Frère Roger a su s’adapter à la situation, il a montré de la persévérance mais aussi de la lucidité en décidant de revenir en Suisse lorsque la jeune communauté était menacée.
Accueillir le proche/prochain dans le besoin. La jeune communauté a exercé l’amour de Christ pour le prochain dans la situation et dans le lieu qui était le sien. Elle n’a pas cherché au loin, elle a été avant tout attentive à ce qui l’entourait. Il me semble qu’à l’heure où nous défendons la cause de personnes très éloignées, nous ne devons pas négliger cet aspect de proximité : nous avons aussi nos pauvres, nos souffrants, etc.
Une règle dans la souplesse. J’admire, et cela contre l’avis de certains protestants lors de la fondation de la communauté et par la suite, la fermeté des aspirations de la communauté, cet appel ressenti pour le célibat et la vie monacale. J’admire d’autant plus cette rigueur qu’elle a su se marier avec un accueil inconditionnel de tout ce qui était extérieur à la communauté. Je crois que beaucoup de choses dans notre Eglises seraient plus claires si nous les concevions sous ce double aspect de l’intransigeance et de la souplesse.
Voilà, demain je parlerai de la vie communautaire de Taizé…
Je serais enchantée d’avoir votre témoignage, tant je sais que Taizé a donné à beaucoup de chrétiens un second souffle dans leur vie de foi…
Bien à vous
Cécile
Mardi 30 août
Bonjour,
Je vais continuer aujourd’hui la présentation de la communauté telle qu’elle le raconte elle-même sur son site internet.
L’idéal communautaire de Taizé
A l’origine, les frères de la communauté vivent de leur seul travail. Ils n’acceptent aucun don. Ils n’acceptent pas non plus pour eux-mêmes leurs héritages personnels, mais la communauté en fait don aux plus pauvres.
Certains frères vivent dans des lieux défavorisés du monde pour y être témoins de paix, aux côtés de ceux qui souffrent.
Au fil des ans, des jeunes de plus en plus nombreux sont venus à Taizé, de tous les continents, pour des semaines de rencontres.
Et en pratique?
Cette vision un peu idyllique du rapport de la communauté au domaine financier a été critiquée en 1999 dans un article de l’Express (le journal français… pas le neuchâtelois), « Taizé: Charité bien ordonnée ».
Le journaliste constate que Taizé, devenue une véritable entreprise, brasse des sommes considérables et accroît chaque année son vaste domaine foncier et bâti – au détriment des riverains. Aller à Taizé, ce n’est pas cher, mais pas gratuit non plus, et, aujourd’hui, l’organisation est très structurée. En 1999, on peut séjourner à Taizé moyennant 6 francs par jour si on est russe ou albanais, et jusqu’à 49 francs si on est suisse ou allemand.
La communauté face aux citoyens
L’Express rapporte que Taizé fait pression sur les habitants avoisinants pour qu’ils n’ouvrent aucun commerce. Certes, le but est de ne pas faire de Taizé un lieu de pèlerinage « commercial » comme l’est devenu Lourdes. Reste que la communauté vend dans sa boutique des souvenirs, et que le petit sculpteur du coin ne peut pas en faire autant.
Qui croire ? l’association l’Echo des collines s’est fondée pour faire face à ce qu’elle estime une main mise de Taizé sur la région, ce qui l’a menée à dénoncer les pratiques d’achat de terrains de Taizé. Depuis une quinzaine d’années, la communauté semble prise d’une frénésie d’achat de terrains et de maisons. En dix ans, l’association L’Accueil à Taizé, qui gère les intérêts de la communauté, a mis la main sur une douzaine de maisons. Pour en faire quoi?
«Loger les groupes d’adultes et les familles qui viennent à la communauté», répond Louis Claret, président de l’association.
«Faux, répliquent les voisins, ces maisons sont inhabitées onze mois et demi sur douze, et encore […] Dès qu’une propriété ou un terrain est mis en vente, ils surenchérissent pour être sûrs de rafler la mise». Jacques Broyer, inspecteur d’académie, membre du bureau de L’Echo des collines, donne l’exemple d’une maison mise en vente à Ameugny vient a été achetée 800 000 francs par l’association L’Accueil à Taizé, à la barbe d’un entrepreneur local, qui voulait y loger une famille d’ouvriers.
Frère Roger se défend de ces accusations et y voit le résultat d’un « soupçon » infondé: «la capacité de défigurer les intentions de l’autre: s’il n’y a plus aujourd’hui de grand inquisiteur, il subsiste de petites âmes inquisitrices qui savent mettre des étiquettes sur le front des autres».
Taizé face à Mamon
Par-dessus tout, une question se pose selon l’Express: avec quel argent L’Accueil à Taizé finance-t-elle ses acquisitions immobilières, payées le prix fort, alors que la communauté affirme ne pas percevoir de don ou d’héritage mais vivre uniquement du produit de son travail – livres, vidéos, poteries?
«Nous finançons ces achats avec les bénéfices de l’accueil des jeunes», soutient Louis Claret.
L’Express se montre dubitatif: quand bien même l’accueil des pèlerins serait bénéficiaire, l’utilisation à des fins immobilières des fonds collectés paraît singulièrement bizarre au sein d’une communauté qui prêche le partage et le dénuement.
Parmi mes questionnements, je serais curieuse de savoir ce qu’il en est aujourd’hui du « vœu de pauvreté »… je suis en effet fascinée par l’articulation entre un accueil massif de plusieurs milliers de personnes et le refus des dons. Pourtant l’accès payant et la gestion d’un important patrimoine financier par l’association L’Accueil à Taizé soulève des questions… Si vous avez des informations à ce sujet, n’hésitez pas à les partager ici…
Réflexions personnelles
Je suis quant à moi assez encline à croire aux bonnes intentions de la communauté de Taizé. Reste que le maniement de sommes importantes est toujours un risque pour les humains que nous sommes. N’oublions pas que la seule instance du mal à laquelle Jésus donne une position de puissance concurrente directement à Dieu, et en fait donc le principal obstacle à notre foi est Mamon, le dieu de l’argent:
Nul ne peut servir deux maîtres. Car, ou il haïra l’un, et aimera l’autre; ou il s’attachera à l’un, et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon (Matthieu 6)
Or, Taizé, peut-être malgré elle, se trouve, par son succès, obligée de frayer avec Mamon… ce qui n’est pas sans danger même pour les chrétiens les plus affermis.
Taizé a dû s’adapter à la grande affluence des visiteurs en quête de prière, de partage et d’un renouveau dans leur vie chrétienne, cela valait peut-être la peine de faire quelques concessions sur le plan de l’argent?
Différences de vocations dans le monde
Nous pourrions dire que notre Eglise et Taizé ont conscience toutes deux de la parole du Christ « Vous êtes dans le monde, mais vous n’êtes pas du monde (Jean 17, 14-18) ». Simplement sur le plan pratique, nous n’avons pas pris le même type d’engagement envers le monde. Nous ne pourrons jamais faire en cela de Taizé un « modèle » pour notre Eglise, car notre but est moins de sortir le chrétien du monde pour rejoindre notre Eglise que de faire de notre Eglise le lieu où le chrétien pourra assumer sa double identité « dans » et « hors » du monde.
Par contre, la communauté de Taizé peut nous inspirer pour nos activités, notre engagement et notre vision de la foi, nos efforts œcuméniques. C’est d’ailleurs le rôle qu’elle entend jouer, par la démarche du « pèlerinage de confiance » qui souhaite répondre à la question de savoir « comment encourager les jeunes aussi à prier et à s’engager pour les autres, au plus proche de leurs lieux de vie ? »
Taizé le dit explicitement : « La démarche du pèlerinage de confiance veut répondre à ce souci, en proposant avant tout à chacun de se mettre en route… « Avance sur ta route, car elle n’existe que par ta marche. » Demain, je vous propose donc de revenir sur le « pèlerinage de confiance » qui montre que Taizé est pour nous un lieu propice à revenir ensuite dans nos Eglises avec plus d’ouverture et de confiance pour la faire cheminer vers la vérité et la vie en servant le Christ.
Je vous souhaite une belle journée
Cécile
Mercredi 31 août
Bonjour,
Taizé, ce n’est pas seulement la communauté sise dans le village du même nom qui attire des milliers de visiteurs. Taizé se vit partout, et peut apporter son soutien au loin, par le pèlerinage de confiance.
Le pèlerinage de confiance
Voici comment Taizé décrit le pèlerinage de confiance sur son site :
Le pèlerinage de confiance est d’abord une rencontre, avec le Christ ressuscité et avec les autres. Grâce à la prière commune, chacun se rend disponible à Dieu. Et par le partage et l’hospitalité, tous acceptent de dépasser les frontières et les différences pour s’accueillir et s’enrichir mutuellement.
Pour frère Roger, il était essentiel de ne pas organiser de mouvement autour de la communauté. Au contraire, chacun est invité, après avoir participé à une étape du pèlerinage de confiance, à vivre chez soi ce qu’il a saisi de l’Evangile, avec une conscience plus grande de la vie intérieure qui l’habite, et aussi en accomplissant les gestes concrets de solidarité qui sont à sa portée. Dans beaucoup de pays, des jeunes se retrouvent régulièrement pour prier avec les chants de Taizé, toujours en lien avec les réalités de l’Eglise locale.
Des rencontres de jeunes sont organisées sur tous les continents. À la fin de chaque année, entre Noël et Nouvel An, a lieu une rencontre européenne dans une grande ville. En Asie, en Amérique latine et en Afrique il y a aussi régulièrement des rencontres internationales. Voici les paroles prononcées par frère Aloïs lors de celle de Berlin, en 2011 :
Nous, les frères, nous voulons simplement être là, à Taizé ou dans nos fraternités sur différents continents, persévérer dans notre vie de communauté et de prière. Par notre présence nous voudrions être de ceux auprès de qui vous trouverez toujours un soutien dans votre recherche de confiance.
C’est dans cette grande dynamique que nous accueillons à la Maladière les prières de Taizé ces prochains mois. Je pense qu’il serait important pour nous d’encourager nos proches chrétiens refroidis ou sceptiques à se rendre ensemble à ces prières où souffle l’esprit réconciliateur de Taizé qui réanimera peut-être une foi attiédie.
Réconciliation… et communion
Pour frère Roger, explique son successeur frère Aloïs, rechercher une réconciliation entre chrétiens n’était pas un thème de réflexion, c’était une évidence. Pour lui, ce qui importait avant tout, c’était vivre l’Évangile et le communiquer aux autres. Et l’Évangile, on ne peut le vivre qu’ensemble. Être séparés n’a aucun sens. La vocation première de Taizé est de constituer ce qu’il a appelé « une parabole de communion », un petit signe visible de réconciliation.
En effet, Taizé, c’est être chrétien au-delà des confessions, mais cela n’est pas allé sans problèmes ni critiques de part et d’autre, notamment sur l’épineuse question de la communion à travers la Cène… Nous y reviendrons demain.
Belle journée ensoleillée à vous
Cécile
Jeudi 1er septembre
Bonjour,
Je tiens tout d’abord à remercier Guillaume pour son généreux complément que je vous invite chaleureusement à lire… Je le rejoins entièrement sur ce qu’il nous dit de la simplicité, terme plus approprié que pauvreté.
J’avais choisi le terme pauvreté en référence aux béatitudes, et je le comprenais comme synonyme de simplicité, mais, lié à la question du financement de Taizé, cela pouvait prêter à confusion… et bien sûr que la précarité matérielle est à combattre !
La phrase de frère Roger que nous propose Guillaume me paraît refléter le verset « Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux ». Après un nouveau détour sur le site de Taizé, je tombe sur le passage suivant où Frère Aloïs confirme mon intuition :
Frère Roger se référait souvent aux béatitudes et disait parfois de lui-même : « Je suis un pauvre. » Il nous appelait, nous les frères, à ne pas être des maîtres spirituels mais avant tout des hommes d’écoute. Il parlait de son ministère de prieur comme celui d’un « pauvre serviteur de communion dans la communauté.
Etymologiquement, je crois que le terme que nous traduisons par « heureux » signifie « en marche », et introduit bien ma réflexion de ce jour qui se concentrera sur ce que Taizé peut amener à notre Eglise pour la faire « avancer »…
Je vous propose différentes pistes auxquelles j’ai pensé et sur lesquelles se sont exprimés Fabien Gaulué dans un article de 2000 intitulé « Croyances religieuses, morales et éthiques dans le processus de construction européenne – La Communauté de Taizé : maturation d’un haut lieu chrétien de socialisation européenne » . Je ne suis pas d’accord avec la trop grande « stratégie » qu’il prête aux frères de Taizé que je préfère pour ma part comprendre sous l’angle d’une « adaptation », à l’image du Christ qui savait adapter son langage selon les personnes à qui il s’adressait et les milieux dans lesquels il se trouvait.
Je reprendrai aussi les propos de Claude Baty, pasteur de la Fédération protestante de France et de Laurent Schlumberger pour le journal Réforme en 2013.
Valoriser la chrétienté
Fabien Gaulué parle de Taizé comme un « lieu de socialisation chrétienne », et je crois effectivement que c’est un des aspects de la communauté qui m’attire. Oui, je me sens parfois un peu seule dans ce monde athée, athéisme qui touche ma famille et mes amis… Bien sûr, j’aime et me sens bien dans ma paroisse, mais je crois que Taizé nous offre de nous rendre compte que la chrétienté touche toute la terre, que Christ est partout parmi nous… Je n’ai pas connu la période florissante de notre Eglise, l’effervescence, la solidarité et la confiance qui ont mené à la construction du temple de La Coudre par exemple. Taizé me donne envie de redynamiser mon Eglise dont je n’ai pas de souvenirs propres, sinon le témoignage de mes aînés.
Galué ajoute que le témoignage des jeunes qui y sont allés affichant un épanouissement personnel incontestable, suscite généralement, pour le moins, une certaine attention. C’est mon cas, et je serais heureuse de voir germer au cœur de ma paroisse un peu de cet enthousiasme, de cette ferveur spirituelle et de cette confiance en Christ que l’on ressent lors des pèlerinages à Taizé. Je souhaiterais que la présence du Christ dans nos vies rayonne aux yeux de nos proches, de notre paroisse, de notre ville, de notre canton, de notre pays… me sentir « sel de la terre », « lumière du monde ».
Individualité Vs Individualisme
Une des forces de Taizé me semble résider dans le respect de l’individualité de chacun. Gaulué parle de cette « incomparable souplesse de son système de socialisation, notamment perceptible dans la possibilité offerte à chaque pèlerin de choisir les activités collectives auxquelles il se révèle personnellement le plus sensible ». Claude Baty, pasteur de la FPF ajoute
C’est vraiment un lieu atypique. Quand j’y suis allé en 2007, j’ai été frappé par les paroles des jeunes. Ils disaient trouver là un lieu où ils étaient accueillis sans conditions, sans jugement, à la
différence de leurs Églises. Cela interroge sur le discours moralisateur inconscient qui peut être véhiculé…
En effet, l’accueil inconditionnel est une valeur affirmée par Taizé, qui souhaite avant tout rendre la communion au Christ accessible aux jeunes. Frère Roger considérait qu’un des plus grands obstacles était l’image d’un Dieu considéré comme juge sévère qui punit. Dieu ne peut qu’aimer ne cesse de nous dire frère Roger.
Je pense que notre Eglise a beaucoup à apprendre du plein accueil pratiqué à Taizé, particulièrement envers les jeunes. Moi-même, si j’en ris aujourd’hui, je sais que j’ai dû prendre patience pour que tous mes frères et sœurs plus âgés de la paroisse ne soient plus méfiants vis-à-vis de mes tatouages qui leur faisaient un peu peur, qu’ils associaient à une moralité douteuse ou du moins à un manque de discernement. A ce titre, j’appelle aussi les plus jeunes de la paroisse à faire preuve d’ouverture aux aînés, à accepter leurs réticences et à entrer en dialogue afin d’aplanir les obstacles à la communion de tous et toutes en Christ. Je me sens aujourd’hui pleinement accueillie et je souhaite que tout.e nouvel.le arrivé.e dans la paroisse puissent vivre le même sentiment d’être aimé pour soi-même.
Car Taizé, ce n’est pas seulement valoriser l’individu, c’est aussi aller contre l’individualisme, un des fléau de notre époque. Taizé est à l’écoute et exhorte en retour à nous mettre à l’écoute. La communauté n’en reste pas aux mots, elle met en pratique, elle est un exemple vivant de cette écoute, particulièrement à travers la figure de son fondateur frère Roger. Frère Aloïs rappelle que frère Roger a donné à la communauté d’aujourd’hui le modèle d’écoute et de plein accueil auxquels elle aspire sans cesse :
Maintenant notre petite communauté se sent poussée à continuer sur le chemin qu’il a ouvert. C’est un chemin de confiance. Ce mot « confiance » n’était pas pour lui une expression facile. Il contient un appel : accueillir en grande simplicité l’amour que Dieu a pour chacun, vivre de cet amour, et prendre les risques que cela suppose.
En cela, entretenir le souvenir de la figure fondatrice de frère Roger est un rappel concret de ce que l’engagement de la communauté suppose, un encouragement et un exemple :
Constamment il cherchait à concrétiser la compassion du cœur, surtout pour les pauvres. Il citait volontiers saint Augustin : « Aime et dis-le par ta vie. » Cela l’entraînait à accomplir des gestes parfois surprenants. On l’a vu revenir d’un séjour à Calcutta un bébé sur les bras, une petite fille que lui avait confiée Mère Teresa, avec l’espoir qu’un départ pour l’Europe lui sauverait la vie, ce qui fut en effet le cas.
Edification et expérience
Claude Baty souligne la qualité pédagogique de la transmission de la Parole par les frères de Taizé. Il souligne que ceux-ci suivent souvent des formations, organisent des rencontres afin de sans cesse améliorer la qualité de leur enseignement. Taizé ne rejette pas l’intelligence et la raison pour ne garder que les sentiments et l’expérience. L’édification a sa place à Taizé, ce qui est intéressant pour la jeunesse universitaire que je représente.
Mais Taizé a su ne pas séparer l’enseignement de l’expérience sensible. Edifier et vivre… la présence de Dieu s’appréhende tant à travers l’écoute et l’étude de la Bible qu’à travers l’expérience sensitive. Fabien Gaulué note l’exceptionnelle variété des registres – spirituels, émotionnels, relationnels, éthiques, esthétiques, interculturels, festifs, etc. – dont dispose la matrice taizéenne pour emporter l’adhésion. Je ne crois pas pour ma part que Taizé cherche l’adhésion (mot qui suppose la manipulation), mais plutôt le partage et l’expérience du Christ vivant. Taizé, selon Laurent Schlumberger, offre une vraie alternative à nos culte cérébraux, en intégrant le corps, sans pour autant tomber dans l’émotionnel et le bruit. Il ouvre un chemin de spiritualité pour notre Église. Je ne peux qu’espérer que nous apprenions ensemble à vivre davantage qu’à penser intellectuellement l’Evangile… dans un sain équilibre entre édification et expérience.
J’ai été un peu longue aujourd’hui, mais je pense que la liste de ce que Taizé peut nous apporter est loin d’être close, et j’espère de tout cœur que nous saurons nous inspirer de cette communauté… La présence toute proche des sœurs de Grandchamp peut certainement nous soutenir sur ce chemin…
Belle journée
Cécile
Vendredi 2 septembre
Bonjour,
Pour cette dernière journée à méditer sur Taizé et ce que la communauté peut nous apporter, je souhaite aborder la réconciliation au-delà des confessions que Taizé tente de réaliser. L’œcuménisme est aujourd’hui en veille dans notre paroisse, et je pense que Taizé peut nous apporter un renouveau de souffle pour nous engager à nous rapprocher encore et toujours plus des autres confessions chrétiennes avec lesquelles nous cohabitons.
Frère Roger a été l’exemple vivant de la possibilité (de la nécessité) d’être chrétien au-delà de sa confession. D’une famille protestante, il s’est dit « marqué par le témoignage de la vie de ma grand-mère, et encore assez jeune, j’ai trouvé à sa suite ma propre identité de chrétien en réconciliant en moi-même la foi de mes origines avec le mystère de la foi catholique, sans rupture de communion avec quiconque ».
Frère Aloïs raconte que souvent frère Roger répétait souvent ces mots : « Le Christ n’est pas venu sur la terre pour créer une nouvelle religion, mais pour offrir à tout être humain une communion en Dieu. »
La conviction de la communauté de Taizé est donc que « cette communion unique qu’est l’Église est là pour tous, sans exception », selon les mots de frère Aloïs.
Cependant, pour ne parler que des protestants, certains ont remis en question cette ouverture de Taizé et ont émis des reproches à son encontre, les taxant d’être trop « catholiques ». Michel Leplay analyse la situation des protestants face à Taizé dans un très complet article publié en 2005 sur le site protestants. org. Il analyse notamment le numéro de Réforme du premier septembre 2005, « Taizé, un amour déçu », où plusieurs protestants faisaient part de leur déception : crainte d’une cléricalisation de Taizé, d’une relative désincarnation de son message, déception face à la cérémonie funèbre de frère Roger présidée par un cardinal romain.
Michel Leplay constate avec bonheur que la plupart des témoignages recueillis dans cet article reconnaissent cependant que Taizé n’engage aucun chrétien à quitter son Eglise. Bien au contraire, la communauté souhaite que les jeunes qu’elle accueille soient ensuite renvoyés dans leurs Eglises d’origine et non agrégés à une super et virtuelle communauté nouvelle.
Je ne crois donc personnellement qu’il faille souhaiter que les confessions cessent d’être ou, pire encore, que nous tâchions de fonder une super-religion chrétienne qui nous réuniraient tous. Personnellement, il y a des points théologiques sur lesquels je ne pourrai jamais m’accorder avec les catholiques, par exemple, je ne me vois pas prier la Vierge tant je suis convaincue que Jésus-Christ est mon seul chemin vers le Seigneur. Par contre, je n’ai aucune prétention de vérité quant à ces choix, et l’œcuménisme c’est avant tout pour moi m’ouvrir à d’autres manières de célébrer et d’être en relation avec Dieu au travers du Christ (à ce titre, si l’on adore la Vierge, c’est comme mère immaculée de notre Seigneur).
Taizé, c’est pour moi l’exemple qu’on peut se réunir en Christ au-delà de nos confessions, tout en gardant nos spécificités intactes, en respectant celles des autres, en apprenant à mieux les connaître, à les vivre ensemble dans le respect et la foi dans la communion de tous et toutes dans le Seigneur par Jésus-Christ.
Littéraire de formation, je souhaite donner encore ici le témoignage du regretté Paul Ricœur qui s’est exprimé sur Taizé dans un entretien avec un des frères lors de la semaine sainte en 2000 :
Ce que je viens chercher ici ? Je dirais une sorte d’expérimentation avec ce que je crois le plus profondément, à savoir que ce qu’on appelle généralement la religion a à faire avec la bonté. […]
Ce que j’ai besoin de vérifier en quelque sorte, c’est – ce que je crois d’une façon encore trop spéculative – qu’aussi radical que soit le mal, il n’est pas aussi profond que la bonté. Et si la religion, les religions, ont un sens, c’est de libérer le fond de bonté des hommes, d’aller le chercher là où il est complètement enfoui.
Or ici, je vois des irruptions de bonté dans la fraternité entre les frères, dans leur hospitalité tranquille, discrète, et dans la prière, où je vois des milliers de jeunes qui n’ont pas d’articulation conceptuelle du bien et du mal, de Dieu, de la grâce, de Jésus-Christ, mais qui ont un tropisme fondamental vers la bonté.
Paul Ricoeur dit se rendre compte, sur le plan personnel, de vivre sa foi de façon « spéculative ». Ce mot me semble important. Notre Eglise ne « spécule »-t-elle pas trop ? Nous jugeons souvent notre situation au sein de notre ville à partir d’a priori, de discours spéculatif : nous cherchons des raisons à la baisse de fréquentation de nos Eglises, tâchons de nous améliorer, mais allons-nous réellement à la rencontre de celui ou celle qui, pour une raison ou une autre, a déserté l’Eglise ? Nous attendons que la brebis égarée retrouve elle-même le troupeau, mais ne devrions-nous pas aller la chercher ?
Comme le dit Paul Ricoeur, je souhaite de tout cœur que nous réfléchissions aller chercher notre prochain « là où il est complètement enfoui ». Prenons donc le temps, chaque fois que l’occasion se présente, de nous mettre à l’écoute de l’autre et d’aller creuser avec lui dans ce qui recouvre ses profondeurs, à creuser une galerie afin que parvienne en lui les rayons de la lumière de Christ.
Taizé, c’est un appel pour moi à ne pas vivre et partager ma foi en l’Evangile uniquement dans mon Eglise mais au-delà, partout, tout le temps. Je peux manifester l’amour du Christ à l’arrêt du bus, dans la file d’attente de la Migros, et je prie le Seigneur :
Père, ouvre mon esprit, mon cœur, mon intelligence et ma sensibilité pour trouver la force de témoigner à chaque instant de l’amour que tu nous manifestes en Jésus-Christ.
Viens à bout de mes peurs, afin que j’aie le courage d’approcher mon prochain avec confiance, sans réticence et sans préjugés.
Que ton Esprit me guide pour trouver les bons mots, les bons gestes. Qu’il ouvre mes yeux à reconnaître en l’autre son fond de bonté, de le rencontrer là où il est enfoui.
En Christ, garde-moi, Seigneur pour que chacun de mes instants soit pleinement vécu en toi, par toi et pour toi.
Je te rends grâce pour ton Fils et me remets en confiance à ta parole donnée en Lui, que ton Esprit m’ouvre chaque jour un peu plus à ta gloire et ta splendeur, dans la reconnaissance d’être ta fille bien-aimée et dans la joie de partager cet amour avec tous les humains
Amen
Je vous souhaite à tous et toutes un très beau week-end
Bien à vous
Cécile
Chère Cécile,
Merci pour cette chronique que je lis avec attention.
Je me suis rendu quatre fois à Taizé. Expériences inoubliables de fraternité, de partage et de prière.
J’avais lu, avant d’y aller pour la première fois en 2014, l’article de l’Express, soulevant des questions assez virulentes. D’autres sources sont quand même bien plus modérées. Ma semaine ne m’a coûté que 70 CHF (Nuits et repas), on ne peut donc pas dire que cela leur fait un énorme bénéfice. Cela suffit juste à couvrir la « Nourriture Taizé », comme on l’appelle, qui n’est pas de la gastronomie (Cela rajoute un charme certain et un plus quant à la simplicité!) Cet argent est vraiment séparé de la vente des ateliers, où les frères vendent leurs travaux. Les dons, héritages et, si je ne me trompe pas, une partie de leur revenus sont versés à l’ « Operation Hope », leur œuvre d’entraide. Quoi qu’il en soit, ce que j’ai vécu à Taizé, notamment en rencontrant des gens des quatre coins du monde, en discutant et en priant avec eux, reste l’essentiel de ce chemin de communion et d’espérance.
Quant au vœux de pauvreté, à Taizé comme à Grandchamp, on préfère parler de simplicité: La pauvreté est à combattre, partout dans le monde, alors que la simplicité « est dans la joie libre du frère qui renonce à l’obsession de ses progrets ou reculs, pour fixer ses regards sur la lumière du Christ. » (La règle de Taizé, Fr. Roger, 1954 et 2010)
Il me reste à dire qu’il y a une histoire commune passionnante entre la communauté de Taizé et celle des sœurs de Grandchamp, vivant à deux pas de chez nous. Ces dernières vivent d’ailleurs avec la Règle de Taizé. A chacun de mes passages auprès d’elles, c’est un même esprit d’accueil et de prière que je retrouve. Je ne peux que conseiller les offices et les moments de paix qu’offre cette communauté ( le site internet est le suivant: http://www.grandchamp.org/ ).
Au plaisir de continuer la lecture,
Fraternellement,
Guillaume