Semaine du 3 au 9 octobre 2016. Armin Kressmann: Le Salut est hors Eglise…

 

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Arcabas, Le possédé de Gérasa, St Hugues de Chartreuse

[…]  personne n’avait la force de le maîtriser. Nuit et jour, il était sans cesse dans les tombeaux et les montagnes, poussant des cris et se déchirant avec des pierres. »(Marc 5, 4-5)

Bonjour,

peut-être vous rappelez-vous qu’il y a quelques mois j’ai rédigé plusieurs chroniques ayant trait à l' »accueil radical » qui prône une « Eglise inclusive ». Je continue à m’intéresser de près à la question du plein accueil en Eglise et lors d’une table ronde à Genève autour du livre édité par Yvan Bourquin et Joan Charras Sancho, un homme bien surprenant est intervenu…

Il s’agit d’Armin Kressmann qui a proposé une intervention un peu polémique: l’accueil radical… une fausse vocation que l’Eglise se donne? une vaine utopie face aux réalités du monde?

Ses remises en questions m’ont beaucoup interpellée… et je vous propose cette semaine de parcourir l’article qu’il a publié sur son blog nommé ethikos.

Son expérience face aux personnes en situation de handicap, la profondeur de son savoir à la fois scientifique, philosophique et théologique est impressionnante… sa pensée est souvent décapante, et nous resitue face à des réalités qui reste souvent pour nous ignorées…

Je me réjouis donc de pouvoir résumer ici les propos de son intervention

Bien à vous

Cécile

Lundi 3 octobre

Bonjour,

avant d’entrer dans le vif de l’article intitulé  « Le salut est hors Église » – « Accueil radical et Inclusion », je vous propose aujourd’hui le portrait d’Armin Kressmann tel qu’il le livre sur son blog et que vous pourrez lire  en suivant ce lien.

Armin Kressmann par lui-même

dsc04481_01_mail_50_40Scientifique, théologien, éthicien et pasteur, – Eglise protestante du canton de Vaud (EERV), Suisse -, aumônier d’une des grandes institutions socio-éducative, – l’Institution de Lavigny -, je m’occupe de jeunes et de personnes en situation de handicap.

Mes recherches actuelles me mène de Kant à Rawls, de Husserl à Lévinas et Ricoeur, de Kohlberg à Apel ou Habermas, mais aussi de Paul à Bonhoeffer ou à Cox, et surtout d’amis handicapés et de jeunes adolescents en quête d’identité et de reconnaissance à des réflexions sur l’autonomie et la bienfaisance, la justice et l’égalité, la raison et la foi. Et le sens de la vie ? Qui dites-vous que je suis ?

Je suis de passage, dans ce monde, chez moi en famille ou en institution, en Eglise ou à l’université.

La figure du clown me parle et de temps à autre j’entre dans la peau de Sofs Filfo.

C’est seulement en apprenant à rire du désespoir qui nous entoure que nous pourrons toucher le bord de l’espérance. Le Christ en clown manifeste notre appréciation enjouée du passé et notre refus comique d’accepter le spectre d’un avenir inéluctable. (Harvey Cox)

Si nous nous imaginons Dieu comme celui qui a créé l’homme et le monde parce qu’il voulait se reconnaître dans un immense spectacle de destins humains, Dieu est un clown. … On devient clown quand on n’a plus d’autres possibilités. (Johannes Galli)

Je me laisse interpeler par l’altérité de l’autre et je me retrouve dans l’autre comme semblable.

Je crois en Dieu, le tout-autre,
celui qui me surprendra toujours.
Quand je suis triste,
il me fait rire.
Et quand, dans mes rires,
j’oublie la tristesse de la vie,
il transforme mes rires en pleurs.
Je crois en Dieu qui change ma vie.
Avec lui, jamais je ne saurai ce qui viendra,
je sais seulement,
que le rire l’emportera sur les pleurs.
Je crois en Jésus-Christ,
qui me montre l’autre en moi
et moi en l’autre.
Il me montre la vie, comme elle est,
avec ses rires et avec ses pleurs.
En lui, Dieu ne s’est-il pas fait clown …

Après l’homme, place à sa pensée

J’espère que ce portrait a attisé votre curiosité,

et je vous dis à demain pour découvrir ses pensées audacieuses au sujet du salut hors Eglise qui pose des questions sur l’accueil radical auquel nous aspirons: est-il une utopie? est-ce réellement la vocation de l’Eglise?

Belle journée

Cécile

Mardi 4 octobre

Bonjour,

Je vous propose donc de résumer aujourd’hui et ces prochains jour l’article d’Armin Kressmann, j’y ajouterai parfois des propos qu’il tient ailleurs sur son blog, et j’essayerai parfois d’expliquer sa pensée bouillonnante et difficile à suivre par mes propres mots…

Enfin, je me permettrai d’ajouter ce que m’évoque ses prises de position qu’il a lui-même voulues polémiques : il ne m’en voudra donc pas d’y réagir…

Débattre l’inclusivité, cela a-t-il un sens ?

Lors de son intervention la semaine passée, Armin Kressmann a commencé par présenter son prénom : étymologiquement on ne peut plus païen. Il s’est décrit ensuite comme « bernois, rouquin et retraité » et s’est posé la question de ce qu’il faisait à l’université de Genève, cité de Calvin, lui qui était censé représenter « les exclus parmi les exclus ».

Les personnes qu’il accompagne à Lavigny ne pourraient en effet être présentes à cette table ronde, physiquement d’une part, d’autre part n’ayant pas toujours la capacité de prendre la parole, encore moins d’exprimer leurs pensées ou de se défendre…

Discuter et débattre de la bénédiction des couples, polémiquer autour de l’homosexualité, souhaiter un accueil radical en Eglise… tout cela n’est-ce pas vaine théorie alors que nous sommes si démunis, incapables d’accueil et d’amour envers les « personne folles et idiotes » ? demande Kressmann, précisant qu’il cherche « la petite bête » comme on dit.

Je dirais à ce sujet que sa simple présence parmi nous à l’université, et que tout ce qu’il nous apporté en nous donnant une nouvelle vision de la personne dite handicapée montre bien que le débat ou la conférence, même en l’absence des personnes concernées n’est pas inutile.

Par ailleurs, je préciserais que les personnes homosexuelles peuvent prendre part aux débats qui les concernent, ce qui rend la pertinence à de tels débats.

Je crois qu’Armin Kressmann le sait parfaitement, et que sa « provocation » comme il le dit lui-même avait surtout pour but de nous dire de ne pas réduire les personnes dont nous prenons la défense à des abstractions: cela mènerait assurément à les rendre paradoxalement inexistantes: voyons cela de plus près…

Idiotitude et folie…

Un mot qui revient souvent chez Kressmann : le fou… ceux dont on parle de la « déficience intellectuelle » et dont Descartes disait « mais quoi, ce sont des fous », les excluant ainsi de ses préoccupations philosophiques… et nous, lorsque nous pensons à l’accueil inconditionnel, n’excluons-nous pas d’emblée ces « amentaux » comme disait Foucault?

Armin Kressmann explique que les « personnes avec déficience intellectuelle » sont donc considérées comme des créatures auxquelles il manque quelque chose : ils n’ont donc pas d’identité positive. Ces personnes sont donc considérées comme absentes ou pire, inexistantes… C’est le risque ainsi de prendre leur défense en leur absence: cela ne les mène pas plus à une existence positive…

Là encore, je remarque que les personnes homosexuelles ont parmi elles des « avocats » susceptibles de défendre leur cause tout en vivant la même situation qu’elles. Il est vrai que les personnes en situation de handicap ne peuvent avoir de parole qu’à travers une personne qui ne partage pas leur « déficience » intellectuelle. C’est pour pallier ce manque qu’Armin Kressmann aime à se dire « idiot »: une caractéristique que nous partageons tous!

Armin Kressmann remarque ainsi que Pierre et Jean sont décrits comme deux idiots (Ac 4, 13) et que cette « idiotitude », il la revendique pour lui. Idiotaï signifie ignorant, ou encore « quelconque ». Cela nous fait un point commun qui nous invite à aller vers l’autre sans le juger, en le reconnaissant comme notre prochain, lui qui partage avec nous  l' »idiotitude ». La personne en situation de handicap peut ainsi être considérée comme notre égal en idtiotitude: si nous pouvons prendre sa défense, nous pouvons aussi apprendre d’elle, et la situation initiale se retourne…

Mais du point de vue pragmatique, l’accueil de tous les idiotaï deviendra réalité dans ce que nous nommons le Règne ou le Royaume des cieux… qu’en est-il ici-bas ? L’Eglise n’est pas le Royaume, même si elle essaye d’en être les prémices: elle doit aussi reconnaître ses limites, et d’ailleurs finit toujours par en poser.

L’Eglise peut-elle prétendre accueillir tous les idiots ? Il y a encore et toujours des cas plus extrêmes note Kressmann :

des hommes et des femmes, des enfants, qu’on ne verrait pas en Eglise […] ce sont des cas qui défient la notion même de l’accueil radical, de l’institution elle-même […] c’est l’institution qui handicape, c’est elle qui inclut et qui exclut.

Et cette exclusion n’est peut-être pas à déplorer mais à accepter…  Car si l’on accueillait radicalement en Eglise les personnes dont s’occupe Armin Kressmann à Lavigny, cela ferait « exploser nos Eglises » : aucune doctrine, aucun rite, aucune liturgie ne résisteraient. De plus, souvent, en les excluant, nous les protégeons… car ils ne sauraient vivre positivement un moment en communauté.

Cette réalité est difficile à entendre… faut-il donc renoncer purement et simplement à l’accueil radical? Nous tenterons de répondre à cette question cette semaine, mais avant, quelques détours sont nécessaires.

Pour mieux comprendre la position qui semble de prime abord extrême d’Armin Kressmann, je propose de revoir avec lui la différence entre handicap et maladie.

Handicap VS Maladie

Tout le monde souhaiterait que les « personnes handicapées » soient « guéries », nous dit Armin Kressmann. Seulement, les personnes handicapées ne sont pas « malades »…

elles sont, telles qu’elles sont, en situation de handicap, avec les difficultés liées à leur corps et leur esprit, ainsi que les obstacles que l’entourage et l’environnement mettent sur leur chemin de vie et qui les handicapent (en tant qu’obstacles à l’épanouissement de la vie). Se retrouver en situation de handicap peut ainsi arriver à tout le monde, sans être malade. Être surdoué peut exposer quelqu’un au handicap, le fait d’être handicapé, qu’on le handicape, parce qu’il est surdoué. Ne confondons donc pas maladie et handicap et soyons prudent avec l’utilisation du mot « guérison » dans le champ du handicap.

Armin Kressmann pense qu’en lecteurs de la Bible nous oublions souvent cela, nous pensons que Jésus guérit le handicap, mais il se pourrait, note Kressmann, que le récit de miracle vise d’abord le lecteur:

les « démons » qui perturbent une « personne handicapée » [pourraient être] les démons d’un environnement qui la mettent en situation de handicap. Ici, quand il s’agit de guérison, il se pourrait qu’il s’agisse d’un « miracle » où une personne mise en situation de handicap s’accepte telle qu’elle est et affronte et surmonte la mise en situation de handicap.

C’est ainsi qu’il propose de relire l’épisode du possédé de Gerasa :

Ainsi, fou comme il est et comme il le reste, le « fou de Gérasa » (Marc 5,-12), à travers la rencontre avec Jésus, sort de sa condition et affronte l’environnement, le village dont il sort et qui l’avait exclu. Fondamentalement c’est cela, la guérison d’une personne handicapée, devenir soi-même et ne plus se laisser handicaper, donc un combat social et politique, là où le regard portée sur la personne la handicape et la met en situation de handicap (lui impose des entraves à vivre sa vie).

Armin Kressmann conclut que souhaiter la guérison d’une personne trisomique ou dite handicapée est peut-être une insulte à cette personne telle qu’elle est :

On se retrouve finalement dans le même combat que celui mené par les femmes contre le sexisme ou celui des noirs contre le racisme. Une personne trisomique est une personne trisomique ; basta. Prenez-la comme vous prenez n’importe qui d’autre, avec ses forces et ses faiblesses. Et ainsi vous faites des œuvres aussi grandes que celles accomplies par le Christ.

La première condition d’accueil de l’autre est donc de le reconnaître tel qu’il est, donc son handicap. Si nous ne le faisons pas, nous rendons cette personne plus handicapée qu’elle ne l’est, nous la réduisons à un « malade ».

Je vous propose dès demain de relire avec Armin Kressmann l’épisode du fou de Gérasa en Marc 5 qui nous montrera en quoi, dès lors, l’Eglise comme institution a ses limites, et que l’accueil radical doit être considéré en tenant compte de ces limites…

Bien à vous

Cécile

Mercredi 5 octobre

Bonjour,

Pour approfondir la pensée d’Armin Kressmann, nous aborderons le texte de Marc 5, 1-20 en deux temps. Nous verrons aujourd’hui comment Armin Kressmann propose de renoncer à une lecture littérale du miracle. Demain, nous verrons, comment,  à partir de cet épisode, Armin Kressmann affirme que le « salut » est hors Église. Avant, prenons le temps de relire l’épisode.

Marc 5, 1-20

1Ils arrivèrent de l’autre côté de la mer, au pays des Géraséniens. 2Comme il descendait de la barque, un homme possédé d’un esprit impur vint aussitôt à sa rencontre, sortant des tombeaux. 3Il habitait dans les tombeaux et personne ne pouvait plus le lier, même avec une chaîne. 4Car il avait été souvent lié avec des entraves et des chaînes, mais il avait rompu les chaînes et brisé les entraves, et personne n’avait la force de le maîtriser. 5Nuit et jour, il était sans cesse dans les tombeaux et les montagnes, poussant des cris et se déchirant avec des pierres. 6Voyant Jésus de loin, il courut et se prosterna devant lui. 7D’une voix forte il crie : « Que me veux-tu, Jésus, Fils du Dieu Très-Haut ? Je t’adjure par Dieu, ne me tourmente pas. » 8Car Jésus lui disait : « Sors de cet homme, esprit impur ! » 9Il l’interrogeait : « Quel est ton nom ? » Il lui répond : « Mon nom est Légion, car nous sommes nombreux. » 10Et il le suppliait avec insistance de ne pas les envoyer hors du pays. 11Or il y avait là, du côté de la montagne, un grand troupeau de porcs en train de paître. 12Les esprits impurs supplièrent Jésus en disant : « Envoie-nous dans les porcs pour que nous entrions en eux. » 13Il le leur permit. Et ils sortirent, entrèrent dans les porcs et le troupeau se précipita du haut de l’escarpement dans la mer ; il y en avait environ deux mille et ils se noyaient dans la mer. 14Ceux qui les gardaient prirent la fuite et rapportèrent la chose dans la ville et dans les hameaux. Et les gens vinrent voir ce qui était arrivé. 15Ils viennent auprès de Jésus et voient le démoniaque, assis, vêtu et dans son bon sens, lui qui avait eu le démon Légion. Ils furent saisis de crainte. 16Ceux qui avaient vu leur racontèrent ce qui était arrivé au démoniaque et à propos des porcs. 17Et ils se mirent à supplier Jésus de s’éloigner de leur territoire. 18Comme il montait dans la barque, celui qui avait été démoniaque le suppliait, demandant à être avec lui. 19Jésus ne le lui permit pas, mais il lui dit : « Va dans ta maison auprès des tiens et rapporte-leur tout ce que le Seigneur a fait pour toi dans sa miséricorde. » 20L’homme s’en alla et se mit à proclamer dans la Décapole tout ce que Jésus avait fait pour lui. Et tous étaient dans l’étonnement.

Le miracle… un changement de regard

Armin Kressmann demande « d’abandonner l’idée que Jésus ait changé les faits, donc l’ordre de la création. Il n’adhère pas à une lecture supranaturaliste qui supposerait que par l’intervention miraculeuse de Jésus, l’autiste ne soit plus autiste, les trisomiques plus trisomiques, le rouquin plus rouquin (dit-il avec un sourire malicieux), le surdoué plus surdoué et l’homosexuel plus homosexuel. Toutes ces personnes sont ce qu’elles sont : Jésus ne modifie pas la nature profonde de l’homme, il le guérit des démons qui l’habitent.

Ce n’est qu’un miracle qui peut le délivrer. Un miracle ? Quel miracle ? « Quel est ton nom ? », lui demande Jésus. Il est question d’identité : qui es-tu ? Jésus cherche l’être profond. Jésus m’apprend et m’invite à voir la personne telle qu’elle est, au-delà de l’autisme, de la psychose, de la trisomie, de la paralysie, de la cécité ou de la déficience intellectuelle. (A. Kressmann)

Il est intéressant de voir que le démon répond à la place de l’homme… ce pourrait être une image des personnes en situation de handicap : elles ne sont pas capables d’exprimer ce qu’elles sont en vérité, et il est facile de parler à leur place. Mais Jésus ne s’y trompe pas : il les reconnaît et le chasse. Jusque-là, les hommes de la région n’avaient jamais vu l’aliénation de cet homme, tout ce qu’ils avaient tenté était de l’enchaîner…

Les démons… nos projections discriminantes

Cet homme a les traits de ce qu’on nommerait aujourd’hui un psychotique, autiste et épileptique, traits qui ne peuvent pas être guéris comme on ne guérit pas d’être rouquin, myope et Bernois, dit avec humour Armin Kressmann. L’homme est délivré des démons qui le persécutent, Légion. Pour Armin, les démons sont ce qui persécute. Les personnes homosexuelles, les personnes en situation de handicap le sont par la société, l’Eglise, et tous les a priori portés sur eux. L’homme du récit ne fait pas de mal, on lui en a fait, et il continue à la suite de s’auto-violenter.

Il se pourrait que ce que la Bible appelle « démon » soit mon regard qui déforme celui qui est profondément un être comme moi, désireux d’être aimé et d’aimer comme moi. Accepter l’autre dans son altérité, là où il m’apparaît différent de moi, c’est ce que le handicap m’apprend, voir dans cet autre le Christ qui me regarde et reconnaître en lui le visage du Christ, sans confondre les deux. (A. Kressmann)

Jésus renverse la situation : celui qui a été délivré exerce désormais une action sur les autres, alors qu’avant les autres voulaient par la force avoir prise sur lui. Armin Kressmann en conclut que le démoniaque n’est pas en lui-même démoniaque. Il est aliéné, à la fois lui-même, mais assailli de toute part.

Pour l’auteur, cela est signe que les personnes en situation de handicap, de même que toute personne discriminée, sont victimes des démons que les autres projettent sur eux: c’est le regard des autres qui doit changer. Jésus porte un regard sur lui et le voit en vérité : les démons sont chassés et l’homme n’a plus besoin de se battre contre eux en s’infligeant les punitions que les autres lui suggèrent par leur regard et par leurs tentatives de l’enchaîner. Il n’a plus besoin de se châtier, car il se sait aimé tel qu’il est. De la mort, lui qui vivait près des tombeaux, il va vers la vie et réintègre le cercle familial et social.

Ce qui distingue le possédé du malade, c’est l’aliénation : le démoniaque est à la foi lui-même, et à la fois guidé par une puissance qui le dépasse. Ces démons, selon Kressmann sont peut-être simplement les projections des autres sur l’identité de cet homme. Aussi, lorsque nous plaquons nos représentations discriminantes sur les personnes homosexuelles ou en situation de handicap (ou sur les rouquins), nous les démonisons : nous les poussons ainsi à s’auto-flageller comme l’homme du récit de Marc qui à la suite des violences qui lui sont faites continue de se morigéner.

En chassant ces projections, Jésus nous montre la personne véritable qui est… disciple du Christ en terre païenne. Le possédé devient disciple, mais ceux qui ont vu le « miracle » chassent Jésus. Ils lui en veulent certainement d’avoir précipité dans l’abîme leur sources de richesses, les porcs… cette source richesse et de confort impure, destinée à nourrir l’occupant romain. Cette image est le signe que, pour délivrer les personnes homosexuelles et en situation de handicap, ce sont nos propres préjugés (les démons) et soi-disant sources de confort et de richesse (les porcs) que nous devons précipiter dans l’abîme.

L’homme est donc guéri et Jésus l’autorise non à le suivre, mais à briser le secret messianique en allant annoncer sa délivrance… à vivre déjà de l’Evangile avant même que tout soit accompli sur la croix ! Nous verrons demain en quoi l’épisode nous montre que le salut est hors Eglise pour Armin Kressmann.

Je vous souhaite une belle journée

Cécile

Jeudi 6 octobre

Bonjour,

Hier, nous avons vu que le possédé de Gérasa ne l’est pas par sa faute, mais à cause des regards qui pèsent sur lui. Jésus le libère… puis quitte la région.

Pour Armin Kressmann, l’histoire du fou de Gérasa illustre que c’est hors de l’Eglise que la guérison peut se faire… et que cette guérison n’a pas pour corollaire l’inclusion dans l’Eglise. Il interprète la barque dans laquelle montent Jésus et ses disciples comme une métaphore de l’Eglise. Elle débarque en terre païenne. Jésus guérit et convertit un homme jusqu’alors considéré comme démoniaque. Il veut le suivre, mais Jésus refuse et l’envoie proclamer ce qu’il a fait pour lui.

L’homme est parmi nous, il est devenu disciple. Si je l’écoute, je reçois l’Évangile. Il est fou, mais il n’est plus possédé ; désormais il est libre, et il proclame ce qui est possible en Christ. Ensemble, nous pouvons former Église, communauté de ceux et celles qui sont reconnus en ce que nous sommes profondément, au-delà de tous nos handicaps. La guérison, c’est ce regard qui change quand nous suivons celui du Christ, le regard sur autrui et le regard sur nous-mêmes. Et c’est ainsi que l’histoire commune peut enfin commencer : le tombeau est vide, restent juste les bandelettes et le linge, le fauteuil roulant, la canne, nos handicaps, mais la personne vit. (Armin Kressmann)

Être chrétien hors Eglise

Etre disciple du fou de Gérésa, propose Armin Kessmann, c’est se laisser guérir par le Christ, proclamer son salut sans pouvoir le suivre.

Le Christ libère et s’en va, chassé. Le possédé de Gérasa est réintégré parmi les siens qui en retour, chassent Jésus ! Jésus prend donc ici au sens propre le péché sur lui, ce que nous confessons souvent sans le comprendre explique Armin Kressmann. Quant au possédé de Gérasa, Jésus lui interdit de le suivre. Il reste parmi les siens et annonce ce que Jésus a fait pour lui, il devient donc disciple mais pas parmi les proches de Jésus, en cela c’est comme s’il fondait une Eglise en sa terre natale païenne… avant Paul !

Cet épisode montre donc que le salut est hors l’Eglise, mais, comme nous avons besoin des disciples pour comprendre que ce ne sont pas que les proches de Jésus qui seront sauvés, l’Eglise doit être là pour montrer que le salut ne lui appartient pas. C’est en Christ que nous devons proclamer le salut, pas en Eglise.

Aussi, la foi et la vie en Christ sont possibles hors du cercle des disciples, là où Jésus est désormais absent (alors qu’il est encore en vie !). Le fou raconte ce que Jésus a fait pour lui, il annonce l’Evangile, et mène ainsi les païens de son village à former Eglise : Armin Kressmann pense que les fous qu’il accompagne en institution sont dans la situation du fou de Gerasa, d’où son exclamation : « je suis un disciple du fou de Gérasa ».

Distinction à faire entre inclusion et intégration?

La discrimination c’est rejeter ce qu’est une personne. Etre inclusif signifierait donc paradoxalement demander à une personne d’être autre chose pour pouvoir rejoindre l’Eglise. Je me demande si une distinction n’est pas ici à faire entre intégration et inclusion. L’intégration supposerait pour moi qu’une personne change pour satisfaire la norme du groupe. En cela, ce serait être discriminatoire. En effet, la discrimination, selon Kressmann, c’est lorsque nous rejetons une personne telle qu’elle est. Demander à un enfant de ne pas faire de bruit pendant le culte, demander à une femme de ne pas prendre la parole, demander à un homosexuel de devenir hétéro ou demander à un trisomique de savoir se comporter selon nos codes cultuels, ou encore demander à Armin Kressmann de teindre ses cheveux roux en brun : cela serait vouloir une intégration basée sur la discrimination.

L’inclusion suppose d’intégrer la personne telle qu’elle est… en cela elle ne peut être discriminatoire. Par contre, il est évident que sur le plan pragmatique, l’inclusion restera toujours relative. En effet, un autiste ne sera certainement jamais à l’aise entouré d’une cinquantaine de personnes au culte le dimanche matin… Cependant, l’Eglise ne peut-elle pas lui manifester son accueil sans pour autant rêver que cette personne puisse prendre part à toutes ses activités ? La communion des membres d’une Eglise ne dépasse-t-elle pas infiniment les moments où ils sont visiblement réunis ?

Armin Kressmann le dit d’ailleurs : l’Eglise est nécessaire, mais pas faite pour tous et il propose une théologie du reste, une théologie qui est consciente que l’essentiel se joue hors de l’Eglise. Que je sois en Eglise ou non, nous dit Armin Kressmann, la grâce de Dieu seule me fonde et me sauve. Etre en Eglise est en cela une chance : elle nous donne le privilège d’être conscients de notre salut par la seule grâce de Dieu.

C’est dans notre idiotitude que Dieu nous sauve. L’appel qui nous est adressé c’est de devenir ce que nous sommes devant Dieu : des idiots, des personnes « quelconques », nous serons sauvés comme tels par Dieu. (Armin Kressmann)

Et c’est là qu’est l’espoir et la confiance :

Désormais tout est possible, en Galilée, là où il nous précède. Tout est possible, tout est à faire maintenant. La situation a changé, il n’y a plus de handicap, juste des personnes trisomiques, autistes, malvoyantes, sourdes, indigènes et étrangères, jeunes et vieilles, hommes et femmes, des personnes différentes comme moi, parmi le nous en Christ. (Armin Kressmann)

Comment alors nous positionner en Eglise ? Nous verrons demain que, derrière ses propos quelques peu provocateurs, Armin Kressmann ne jette pas la pierre à son Eglise. Au contraire, il l’appelle à reconnaître ses limites, et, dans l’humilité, persévérer à suivre le Christ en cherchant à vivre et manifester le plein accueil qu’il a fait de notre humanité…

En cela, Armin Kressmann ne rejette pas l’envie de l’Eglise de devenir inclusive, mais l’invite à reconnaître ses limites dans la réalisation de cet idéal qui sera toujours à poursuivre et jamais pleinement atteint avant le retour du Christ…

A demain donc pour ce dernier développement,

Bien à vous

Cécile

Vendredi 7 octobre

Bonjour,

Derrière la légère provocation, l’ironie et l’humour des propos d’Armin Kressmann cachent un cœur d’or qui toutefois ne souhaite pas vivre dans l’illusion. Armin Kressmann dit ainsi aimer son Eglise, tout en reconnaissant que le salut ne passe pas par elle.

L’Accueil radical appartient au Tout Autre

Le scandale de la croix nous montre d’ailleurs, comme à Gérasa, que le salut a lieu hors l’Eglise… Dieu seul pratique l’accueil radical. Vouloir le réaliser en Eglise, ce serait prétendre nous estimer son égal, réaliser ce qui n’est encore qu’une promesse n’est pas notre rôle. Prétendre à l’accueil inconditionnel c’est pécher : c’est vouloir se mettre à la place de Dieu.

L’Eglise sera toujours la loi, explique Kressmann… elle regroupe les « inclus », et Jésus nous presse de nous préoccuper d’abord des exclus, comme le dit Matthieu au chapitre 18 . L’Eglise peut donc estimer dans son rôle d’aller vers l’incusivité, de toujours chercher davantage à rendre son accueil le plus inconditionnel qu’il lui est possible.

Armin Kressmann se demande : comment vivre en Eglise, et nous confronter à ceux et celles que nous avons de la peine à accueillir ?

Agir en « avocats »

Sans aucune provocation cette fois-ci, il donne des pistes qui peuvent nous redonner espoir et confiance. Il souligne d’abord la nécessaire et positive « attitude d’avocature » que l’on peut représenter. Nous pouvons aider notre Eglise à s’ouvrir à l’accueil des personnes homosexuel.le.s… Il évoque pour sa part une expérience qu’il a vécue avec des accompagnants de personnes polyhandicapées lors d’une rencontre à l’université de Lausanne.  Il explique que cette invitation faite aux personnes polyhandicapées dans un lieu qui leur est en général fermé (l’université) a amené un bénéfique changement de perspective.

Comme aumônier à Lavigny, il souligne à quel point un culte ne pouvait être traditionnel… il faut savoir s’ouvrir à l’imprévu, à la spontanéité, à la rencontre. Les participant.e.s à la cérémonie sont imprévisibles dans leur comportement et la régulation est parfois difficile : mais elle se fait… mystérieusement, par la présence de l’Esprit ressentie par tous et toutes. Puis, dans le temps, on apprend à mieux connaître les personnes et pouvons leur donner des rôles qui leur conviennent. Une attitude qui peut être un exemple pour nous, même dans des situations moins complexes.

Finalement, il évoque une activité commune à tous à Lavigny : les parties de swing-golf sur le terrain adjacent à l’institution. Les règles sont simples : mettre la balle dans le trou…. Mais y arriver est une autre affaire, et les polyhandicapés ne sont pas les moins doués. Le parcours des 18 trous devient ainsi la métaphore du vivre et cheminer ensemble. En Eglise, ne pourrions-nous pas favoriser également quelques activités « hors Eglise » au sens strict qui pourraient resserrer les liens entre des personnes d’horizon différents, tout en respectant la singularité de chacun et chacune ?

Persévérer dans nos limites

En conclusion à cette semaine, nous dirions qu’Armin Kressmann nous invite à vivre le plus possible l’accueil inconditionnel, mais nous exhorte aussi à la prudence et l’humilité : se proclamer inclusif, c’est se mentir à soi-même. Car l’accueil inconditionnel est une de ces réalités dernières en lequel nous pouvons croire avec confiance en la mort et la résurrection du Christ, mais ne sera réalité qu’aux temps de son retour en gloire.

Armin Kressmann conclut que cela ne nous affranchit pas de devoir lutter, à la suite du Christ, pour l’inclusion, mais nous devons concevoir celle-ci non comme une œuvre, mais comme une grâce. Un changement de regard sur l’inclusivité qui me semble salutaire pour éviter de tomber dans l’utopie et l’illusion : l’inclusivité ne sera jamais acquise mais toujours à chercher, comme nous ne posséderons jamais Dieu. A nous donc de nous laisser travailler et guider par sa grâce, celle qu’il a manifestée en Christ et qu’il nous garantit aujourd’hui et maintenant par le don de l’Esprit.

Assumons que l’Eglise corps du Christ ne sera jamais sur cette terre ce qu’elle sera dans le Royaume, car pour l’instant elle est, selon les mots de Kressmann « corps brisé, éclaté et dispersé ». Une Eglise humaine sera toujours une institution régie par les structures, les règlements, la doctrines et les rites : donc la loi, nous dit Kressmann. C’est une réalité dont il ne faut pas avoir honte, mais qu’il faut reconnaître.

La croix nous a montré que nous avons crucifié le Fils de Dieu lui-même au nom de la loi, c’est une leçon d’humilité mais aussi un fait : l’institution humaine est vouée à l’imperfection. Armin Kressmann insiste : seule la foi en la résurrection (foi car  ce n’est pas un fait, mais une confiance accordée devant le tombeau vide) peut nous pousser à cheminer à la suite du Christ pour l’inclusivité, mais en aucun cas prétendre la réaliser pleinement du seul point de vue humain.

J’espère avoir pu cette semaine rendre la pensée complexe d’Armin Kressmann sans trahir ses positions qui tout à la fois sont provocantes et bénines. Je le remercie de m’avoir secouée et ouvert les yeux sur certaines réalités de l’Eglise, comme de m’avoir donné l’espoir que nous pouvions agir dans ce cadre avec l’humilité et le pragmatisme qui convient,

Je vous souhaite un très beau week-end

Cécile

Une réflexion sur « Semaine du 3 au 9 octobre 2016. Armin Kressmann: Le Salut est hors Eglise… »

  1. C’est touchant, voire bouleversant, de tomber sur quelqu’un qui nous comprend mieux qu’on se comprend soi-même (ce n’est pas une remarque polémique !). Merci beaucoup, aussi pour les clarifications et le grand travail de dépouillement. Enfin, comme il se doit entre « protestantEs », reste un reste de petites différences et de divergences, source pour prolonger les débats et ouverture pour d’autres visions. Armin Kressmann

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