Prenez garde que personne ne rende à autrui le mal pour le mal;
mais recherchez toujours le bien, soit entre vous, soit envers tous.
Soyez toujours joyeux.
Priez sans cesse.
Rendez grâces en toutes choses, car c’est à votre égard la volonté de Dieu en Jésus-Christ.(1 Thessalonicien 5, 15-18)
Bonjour,
Pendant la période estivale, je n’aurai que peu de temps pour me consacrer à mes habituelles réflexions hebdomadaires. Je vous propose donc d’animer les semaines de cet été par la lecture des RÉCITS D’UN PÈLERIN RUSSE, traduits par Jean Gauvain et tirés de l’édition neuchâteloise de La Baconnière.
L’auteur anonyme de ces Récits est probablement un moine du mont Athos, qui nota les confidences d’un pèlerin vers le milieu du XIXe siècle. Le pèlerin mendiant s’exerce à une méthode d’ascèse spirituelle très particulière. Lisant d’une part des extraits des Pères de l’Église, pratiquant d’autre part la prière perpétuelle, il progresse dans la voie contemplative tout en vivant très humaines aventures.
N’hésitez pas à poster en commentaire vos impressions de lecture !
Bien à vous et bel été
Cécile
Lundi 4 juillet
Premier récit
Par la grâce de Dieu je suis homme et chrétien, par actions grand pécheur, par état pèlerin sans abri, de la plus basse condition, toujours errant de lieu en lieu. Pour avoir, j’ai sur le dos un sac avec du pain sec, dans ma blouse la sainte Bible et c’est tout.
Le vingt-quatrième dimanche après la Trinité, j’entrai à l’église pour y prier pendant l’office ; on lisait l’Épître de l’Apôtre aux Thessaloniciens, au passage dans lequel il est dit : Priez sans cesse. Cette parole pénétra profondément dans mon esprit et je me demandai comment il est possible de prier sans cesse alors que chacun doit s’occuper à de nombreux travaux pour subvenir à sa propre vie. Je cherchai dans la Bible et j’y lus de mes yeux exactement ce que j’avais entendu – il faut prier sans cesse, prier par l’esprit en toute occasion, élever en tout lieu des mains suppliantes.
J’avais beau réfléchir, je ne savais que décider. Que faire – pensai-je – où trouver quelqu’un qui puisse m’expliquer ces paroles ? J’irai par les églises où prêchent des hommes en renom, et, là peut-être, je trouverai ce que je cherche. Et je me mis en route.
J’ai entendu beaucoup d’excellents sermons sur la prière. Mais ils étaient tous des instructions sur la prière en général : ce qu’est la prière, pourquoi il est nécessaire de prier, quels sont les fruits de la prière. Mais comment arriver à prier véritablement – là-dessus on ne disait rien. J’entendis un sermon sur la prière en esprit et sur la prière perpétuelle ; mais on n’indiquait pas comment parvenir à cette prière. Ainsi la fréquentation des sermons ne m’avait pas donné ce que je désirais. Je cessai donc d’aller aux prêches et je décidai de chercher avec l’aide de Dieu un homme savant et expérimenté qui m’expliquerait ce mystère puisque c’était là que mon esprit était invinciblement attiré.
Longtemps je cheminai ; je lisais la Bible et je demandais s’il ne se trouvait pas quelque part un maître spirituel ou un guide sage et plein d’expérience. Une fois l’on me dit que dans un village vivait depuis longtemps un monsieur qui faisait son salut : il a chez lui une chapelle, il ne bouge jamais et sans cesse il prie Dieu ou lit des livres spirituels. A ces mots, je ne marchai plus, je me mis à courir vers ce village ; j’y arrivai et me rendis chez ce monsieur.
— Que désires-tu de moi ? me demanda-t-il.
— J’ai appris que vous étiez un homme pieux et sage ; c’est pourquoi je vous demande au nom de Dieu de m’expliquer ce que veut dire cette parole de l’Apôtre : Priez sans cesse et comment il est possible de prier ainsi. Voilà ce que je désire comprendre et je ne peux cependant y parvenir.
Le monsieur resta silencieux, me regarda attentivement et dit :
— La prière intérieure perpétuelle est l’effort incessant de l’esprit humain pour atteindre Dieu. Pour réussir en ce bienfaisant exercice, il convient de demander très souvent au Seigneur de nous enseigner à prier sans cesse. Prie plus et avec plus de zèle, la prière te fera comprendre d’elle-même comment elle peut devenir perpétuelle ; pour cela il faut beaucoup de temps.
Sur ces paroles, il me fit servir à manger, me donna quelque chose pour la route et me laissa. Mais il n’avait rien expliqué. Je repris ma route ; je pensais, je lisais, je réfléchissais comme je pouvais à ce que m’avait dit le monsieur et pourtant il m’était impossible de comprendre ; mais j’avais tant envie d’y parvenir que mes nuits étaient sans sommeil. Après avoir parcouru deux cents verstes, j’arrivai à un chef-lieu de gouvernement. J’y aperçus un monastère.
[…]
Mardi 5 juillet
A l’auberge, on me dit que dans ce monastère vivait un supérieur pieux, charitable et hospitalier. J’allai à lui. Il me reçut avec bonté, me fit asseoir et m’offrit à manger.
— Père très saint ! dis-je, je n’ai pas besoin d’un repas, mais je voudrais que vous me donniez un enseignement spirituel : comment faire son salut?
— Comment faire son salut ? Eh bien, vis selon les commandements, prie Dieu et tu seras sauvé !
— J’ai appris qu’il faut prier sans cesse, mais je ne sais comment prier sans cesse et ne puis même comprendre ce que signifie la prière perpétuelle. Je vous prie, mon père, de m’expliquer cela.
— Je ne sais, mon frère, comment t’expliquer mieux. Mais attends ! J’ai un petit livre où cela est exposé ; et il sortit l’Instruction spirituelle de l’homme intérieur de saint Dimitri. Tiens, lis donc à cette page.
Je commençai à lire ce qui suit : « Ces paroles de l’Apôtre : il faut prier sans cesse, s’appliquent à la prière faite par l’intelligence ; l’intelligence, en effet, peut être toujours plongée en Dieu et Le prier sans cesse. »
— Expliquez-moi comment l’intelligence peut être toujours plongée en Dieu sans distraction et le prier sans cesse.
— C’est là chose fort difficile, si Dieu n’en fait pas don lui-même, dit le supérieur.
Mais il n’avait rien expliqué.
Je passai la nuit chez lui et, l’ayant remercié au matin pour son aimable accueil, je me remis en route sans trop savoir où aller. J’étais triste de mon incompréhension et pour consolation, je lisais la sainte Bible.
J’allai ainsi cinq jours par la grand’route ; enfin, un soir, je rencontrai un petit vieillard qui avait quelque chose d’un religieux.
[…]
Mercredi 6 juillet
A ma question, il répondit qu’il était moine et que la solitude où il vivait avec quelques frères était à dix verstes de la route ; il m’invita à m’arrêter chez eux.
— Chez nous, me dit-il, on reçoit les pèlerins, on les soigne et les nourrit à l’hôtellerie. Je n’avais guère envie d’y aller et je lui dis :
— Mon repos ne dépend pas d’un logement, mais d’un enseignement spirituel ; je ne cherche pas de nourriture, j’ai beaucoup de pain sec dans mon sac.
— Mais quel genre d’enseignement cherches-tu et que désires-tu mieux comprendre ? Viens, viens chez nous, mon cher frère ; nous avons des starets expérimentés qui peuvent te donner une direction spirituelle et te guider sur la voie véritable à la lumière de la parole de Dieu et des enseignements des Pères.
— Voyez-vous, mon père, il y a un an environ qu’étant à l’office, j’entendis ce commandement de l’Apôtre : « Priez sans cesse ». Ne sachant comment comprendre cette parole, je me suis mis à lire la Bible. Et là aussi, en beaucoup de passages, j’ai trouvé le commandement de Dieu : il faut prier sans cesse, toujours, en toute occasion, en tout lieu, non seulement pendant les travaux journaliers, non seulement en état de veille, mais aussi dans le sommeil : je dors, mais mon cœur veille. Cela m’étonna beaucoup et je ne pus comprendre comment on peut accomplir une telle chose et quels sont les moyens d’y parvenir ; un violent désir et la curiosité s’éveillèrent en moi : ni jour ni nuit ces paroles ne sortirent plus de mon esprit. Aussi je me mis à fréquenter les églises. J’entendis des sermons sur la prière ; mais j’ai eu beau en écouter, jamais je n’y ai appris comment prier sans cesse ; on parlait toujours de la préparation à la prière ou de ses fruits, sans enseigner comment prier sans cesse et ce que signifie une telle prière. J’ai lu souvent la Bible et j’y ai retrouvé ce que j’avais entendu ; mais cependant je n’ai pas atteint la compréhension que je désire. Et depuis ce temps, je demeure incertain et inquiet.
[…]
Jeudi 7 juillet
Le starets se signa et prit la parole :
– Remercie Dieu, frère bien-aimé, de ce qu’il t’a révélé une attirance invincible en toi vers la prière intérieure perpétuelle. Reconnais là l’appel de Dieu et calme-toi en pensant qu’ainsi l’accord de ta volonté avec la parole divine a été dûment éprouvé ;
il t’a été donné de comprendre que ce n’est pas la sagesse de ce monde ni un vain désir de connaissances qui conduisent à la lumière céleste – la prière intérieure perpétuelle – mais au contraire la pauvreté d’esprit et l’expérience active dans la simplicité du cœur.
C’est pourquoi il n’est pas étonnant que tu n’aies rien entendu de profond sur l’acte de prier et que tu n’aies pu apprendre comment parvenir à cette activité perpétuelle.
En vérité, on prêche beaucoup sur la prière et il existe là-dessus de nombreux ouvrages récents, mais tous les jugements de leurs auteurs sont fondés sur la spéculation intellectuelle, sur les concepts de la raison naturelle et non sur l’expérience nourrie par l’action ; ils parlent plus des accessoires de la prière que de son essence même.
L’un explique fort bien pourquoi il est nécessaire de prier ; un autre parle de la puissance et des effets bienfaisants de la prière ; un troisième, des conditions nécessaires pour bien prier, c’est-à-dire du zèle, de l’attention, de la chaleur de cœur, de la pureté d’esprit, de l’humilité, du repentir, qu’il faut avoir pour se mettre à prier.
Mais qu’est-ce que la prière et comment on apprend à prier – à ces questions pourtant essentielles et fondamentales, on trouve bien rarement réponse chez les prédicateurs de ce temps ; car elles sont plus difficiles que toutes leurs explications et demandent non un savoir scolaire, mais une connaissance mystique.
Et, chose beaucoup plus triste, cette sagesse élémentaire et vaine conduit à mesurer Dieu avec une mesure humaine.
[…]
Vendredi 8 juillet
-Beaucoup commettent une grande erreur, lorsqu’ils pensent que les moyens préparatoires et les bonnes actions engendrent la prière, alors qu’en réalité c’est la prière qui est la source des œuvres et des vertus. Ils prennent à tort les fruits ou les conséquences de la prière pour les moyens d’y parvenir, et diminuent ainsi sa force. C’est un point de vue entièrement opposé à l’Écriture : car l’apôtre Paul parle ainsi de la prière : Je vous conjure avant tout de prier. Ainsi l’Apôtre place la prière au-dessus de tout : je vous conjure avant tout de prier.
Beaucoup de bonnes œuvres sont demandées au chrétien, mais l’œuvre de prière est au-dessus de toutes les autres, car, sans elle, rien de bien ne peut s’accomplir. Sans la prière fréquente, on ne peut trouver la voie qui conduit au Seigneur, connaître la Vérité, crucifier la chair avec ses passions et ses désirs, être illuminé dans le cœur par la lumière du Christ et s’unir à Lui dans le salut. Je dis fréquente, car la perfection et la correction de notre prière ne dépendent pas de nous, comme le dit encore l’apôtre Paul : Nous ne savons pas ce qu’il faut demander.
Seule la fréquence a été laissée en notre pouvoir comme moyen pour atteindre la pureté de prière qui est la mère de tout bien spirituel. Acquiers la mère et tu auras une descendance, dit saint Isaac le Syrien, enseignant qu’il faut acquérir d’abord la prière pour pouvoir mettre en pratique toutes les vertus. Mais ils connaissent mal ces questions et ils en parlent peu, ceux qui ne sont pas familiers avec la pratique et les enseignements mystérieux des Pères. En conversant ainsi, nous étions insensiblement arrivés jusqu’à la solitude.
[…]
Quant à moi, je vous souhaite un beau week-end et vous retrouve la semaine prochaine pour la lecture de la suite du cheminement spirituel de notre pèlerin russe…
Bien à vous
Cécile