Soyez toujours dans la joie, priez sans cesse, rendez grâce en toute circonstance…
(1Th 5, 16-18)
Bonjour,
Cette semaine, nous allons suivre une réflexion se basant sur les points phares de la pensée de Karl Barth concernant une théologie particulière : la théologie évangélique.
Barth, personnage incontournable de la théologie du 20ème siècle, dresse en quatre points le portrait d’une théologie évangélique, ce dernier qualificatif n’étant pas à comprendre dans un sens purement confessionnel, mais plutôt dans le sens où cette théologie se propose « de saisir, de comprendre et de faire connaître le Dieu de l’Evangile ».
Ce qui m’a frappé, c’est la proximité entre sa définition aux multiples aspects et ma réflexion personnelle sur le visage de mon église réformée, visage parfois idéalisé dans ma pensée, dans ce cas aussitôt recadré par la réalité. Je vais donc partir des fondamentaux que donne Karl Barth pour proposer une adaptation libre de sa pensée à notre milieu d’église.
Guillaume
Lundi 7 novembre
Le Dieu de l’Evangile est le Dieu qui s’est tourné miséricordieusement vers tous les hommes ainsi que vers toutes leurs théologie ; mais il domine non seulement les entreprises de ces autres théologies, mais également celles de la théologie évangélique. Il est le Dieu qui se révèle et qu’il faut redécouvrir sans cesse à nouveau, et même la théologie évangélique n’a aucun pouvoir sur lui.
K. Barth, Introduction à la théologie évangélique, Labor et Fides, 1962.
Bonjour,
En ces temps où la Réforme est à la fête, l’idée surgit inévitablement : Qui sommes-nous ? Qu’est-ce qui fait notre identité ? Identité. Voilà un terme délicat… Si je réfléchis à mon identité chrétienne ou protestante, cela signifie-t-il forcément que je me compare aux autres, que j’affirme ce que je suis et ce que je ne suis pas ? A mon avis, ce risque est bien là. Pourtant, je ressens dans la société (et de toute part) comme un besoin de s’identifier, ou plutôt de se ré-identifier.
Plutôt que de partir sur une réflexion identitaire exclusive, étroite, voire fermée, j’ai trouvé cette force chez Barth d’une pensée qui ne se veut pas sécurisante, mais qui ouvre l’esprit et me permet d’aborder mon questionnement identitaire d’une manière non dogmatique et libérée d’un terrible carcan, celui du repli sur soi.
La théologie, nous dit Barth, n’a pas de pouvoir sur Dieu. Ce dernier, objet de la théologie, reste donc libre. Dieu garde toute sa liberté. La théologie suit sa propre voie. Bien sûr, et c’est bien normal, elle utilise un trait proprement humain, la raison. Mais elle ne doit surtout pas croire qu’elle puisse, par-là, trouver Dieu ! Elle reste, en somme, une science modeste, précisément à cause de son objet, à cause de la liberté de son objet.
Ce premier point m’a marqué : Dieu, même en église, même lorsque son nom est prononcé dans une prédication, reste pleinement un Dieu libre. Notre église doit et reste modeste vis-à-vis de Dieu, et cela est extrêmement libérateur : au niveau identitaire, cela signifie que j’imagine une église, notre église, libérée et libérante. Libérée du poids d’un passé parfois lourd ne nous aidant pas à aller de l’avant, elle est vouée à explorer de nouveaux terrains, à permettre une pluralité d’expression de la foi et d’activités, car cette liberté permet à ses membres d’exister pleinement et entièrement (c’est bien en cela qu’elle est libérante). Nos efforts restent humains, notre église aussi !
Barth parle donc de modestie. Je crois que c’est un bon terme. Je crois en une église qui reste modeste, qui ne s’imagine pas qu’elle puisse attraper ou manipuler Dieu.
En ce temps d’anniversaire de la Réforme, puissions-nous être témoins d’une église modeste, d’une église ne prétendant pas détenir la vérité, d’une église croyant en l’humanité de l’Homme et d’une église rendant grâce à Dieu pour cette liberté de pouvoir vivre en existant pleinement en tant qu’humains!
Guillaume
Mardi 8 novembre
Bonjour à toutes et à tous !
En premier lieu, quelques mots de Barth pour nous donner du grain à moudre :
Qu’on le remarque : la théologie évangélique ne doit ni répéter, ni actualiser, ni anticiper l’histoire dans laquelle Dieu se révèle tel qu’il est, et il ne lui est pas permis de la mettre en scène comme si elle était son œuvre à elle.
K. Barth, Introduction à la théologie évangélique, Labor et Fides, 1962.
Si parler de Dieu est difficile, rendre compte de sa dynamique, de son mouvement continu, l’est encore plus… Dieu reste seul maître de ce qu’il nous révèle de lui.
La théologie évangélique perdrait son objet et se perdrait elle-même si elle prétendait considérer et exprimer n’importe quel moment de la présence et de l’action divine d’une manière purement statique. (…) Quelle que soit la nature des dieux des autres théologies, il reste que le Dieu de l’Evangile échappe à toute théologie figée.
K. Barth, Introduction à la théologie évangélique, Labor et Fides, 1962.
La thèse de Barth à ce propos est que la théologie évangélique est une science éminemment critique, dans le sens où elle est exposée à une crise permanente, celle de ne pas pouvoir rendre compte de la dynamique de Dieu, de la permanence de son mouvement. Figer Dieu, c’est en faire une chose.
La première pensée qui me vient à l’esprit est celle d’un ami, distancé de l’Eglise, qui vient me poser des questions sur ma foi. Il y a de grandes chances pour que, consciemment ou inconsciemment, je me mette à donner à mon Dieu des attributs, à dire ce qu’il est à mes yeux. En d’autres termes : à le définir. Mais définir Dieu, n’est-ce pas justement en faire une chose, rangée dans une boite que j’aurais moi-même fabriquée ?
L’église elle-même est exposée à cette tentation. Elle le fait inévitablement (nous le faisons tous dans une certaine mesure). Elle doit pourtant garder en perspective qu’elle n’a pas le dernier mot sur celui dont elle parle.
Cette difficulté à rendre compte d’un Dieu en mouvement, d’un Dieu dans sa dynamique est à prendre au sérieux. Mais je me pose la question de savoir s’il est possible de laisser à Dieu sa dynamique et de n’en rendre déjà rien qu’un minuscule aperçu : laisser agir le mystère de sa révélation en nous, et le laisser s’exprimer au travers de nos gestes et de nos paroles… sans le contraindre, sans prononcer son nom… juste en vivant sa présence dynamique…
Je pense que nous avons un rôle à jouer pour témoigner de ce Dieu que nous n’avons pas capturé, qui reste libre et mobile… Rester à l’écoute de ce Dieu qui se révèle lui-même à nous, et s’ouvrir à l’infinité des formes de sa révélation, c’est, je trouve, un beau message de tolérance relativisant notre volonté de nous identifier à une « juste » manière de recevoir Dieu. Nous ne détenons pas ni Dieu ni l’histoire de sa révélation, à lui seul appartiennent le premier et le dernier mot.
Laissons ces pensées traverser nos habitudes, nos conceptions, nos certitudes… peut-être les bouleverseront-elles un peu ?
Belle journée !
Guillaume
Mercredi 9 novembre
« Théologie évangélique » veut dire précisément le contraire d’une science tournée vers un Dieu inhumain, c’est-à-dire légaliste. Il s’agit d’une science dont l’objet est Dieu, sans doute, mais Dieu avec nous, « Emmanuel » ! Comment ne serait-elle pas dès lors une science reconnaissante et par là même joyeuse
K. Barth, Introduction à la théologie évangélique, Labor et Fides, 1962.
A toutes et tous un chaleureux bonjour !
Aujourd’hui, nous explorons une autre caractéristique de la théologie évangélique. J’ai parlé précédemment du fait que Dieu reste libre, qu’il ne peut être enfermé dans nos conceptions trop étroites, en résumé, qu’on ne peut ni le limiter ni le déterminer.
Karl Barth, loin d’en rester là, va donner une précision capitale : c’est que ce Dieu qui, à première vue, a l’air bien lointain, n’est pas « prisonnier de sa majesté » ! Le Dieu de l’Evangile se tourne vers l’humain ! Il est libre de le faire ! Barth le formule ainsi : Il est libre d’être le Seigneur, sans doute, mais aussi le père, le frère et l’ami de l’homme. Et cela ne diminue en rien ce qui fait de lui un Dieu, à l’exemple d’Esaïe 57, au verset 15 : « J’habite dans les lieux élevés et la sainteté, mais je suis avec l’homme contrit et humilié ».
Dieu, libre, se tourne vers nous, nous offre sa miséricorde, se tourne (verbe qui est à comprendre dans son sens plein de mouvement) vers l’humain et lui dit « oui ». Dieu choisit donc d’entrer en relation avec sa créature !
Ce geste, cette grâce de Dieu suscite une réaction chez l’homme : ce sera la reconnaissance, l’eucharistie dans sa signification grecque de « rendre grâce ». Barth, pour qualifier cette reconnaissance, va parler de la joie. La joie. Voilà qui rejoint le verset choisi pour cette semaine.
Je pense que je peux trouver ici une réponse fondamentale à la question identitaire que je me pose, dans ce temps d’anniversaire de la Réforme. Le chrétien que je suis est plein d’une joie profonde, dont on a vu plus haut les racines. Je pense cependant qu’il ne s’agit pas d’afficher, comme dirait une personne qui m’est proche, une « gueule de sauvé » !
Il n’est pas question pour moi de me créer une « façade de joie », mais de laisser monter en moi cette joie de reconnaissance. Cette dernière s’exprimera bien d’une façon ou d’une autre d’elle-même. Je suis convaincu qu’elle peut s’exprimer dans l’église comme force de propulsion, contre le repli sur soi et contre la naissance possible naissance en notre sein de « racines d’amertume » (épître aux Hébreux 12, 15).
Allons toutes et tous dans la joie ! Belle journée !
Guillaume
Jeudi 10 novembre
Chers amis, aujourd’hui j’ai envie de parler de la joie. La joie qui m’unit à vous, la joie qui nous unit en tant que membre de l’Eglise. Cette partie sera un peu plus libre, suivant le cours de ma pensée…
Les versets choisis pour guider cette semaine, tirés de la 1ère épître aux Thessaloniciens, me semblent très forts : Soyez toujours dans la joie, priez sans cesse, rendez grâce en toute circonstance. C’est un impératif, il faut que nous soyons dans la joie. Barth nous parlait de reconnaissance joyeuse. Si nous abandonnons cette joie, nous abandonnons aussi notre retour, notre gratitude envers notre Dieu qui, en premier, se tourne vers nous et nous donne son amour… Je me pose la question du devoir. Que devons-nous faire pour rendre grâce ? En fait, je crois que partout où l’Esprit souffle, la joie est présente. Pas même besoin de se forcer à sourire. Etre ensemble, réunis, est déjà un mouvement de reconnaissance en une joie partagée.
J’ai fait cette expérience à plusieurs reprises, notamment dans le cadre de l’Aumônerie de Jeunesse de notre paroisse. J’ai vraiment compris que la joie n’est pas qu’un sourire. La joie est quelque chose qui nous dépasse et qui nous unit. Même dans les moments les plus sombres, une lueur est présente. Une lueur qui dit : « vous êtes ensembles, il ne peut rien vous arriver, je suis au milieu de vous ». Nous avons vécu des deuils successifs, des échecs personnels, mais rien n’a pu briser les liens qui font cette joie, joie qui a toujours vaincu la mort.
De même, toujours dans le cadre de l’Aumônerie de Jeunesse, je me suis souvent posé la question de savoir qu’est-ce qui, au fond, nous rassemblait. Autant dire que ce ne sont pas les idées politiques, le spectre des différentes visions du monde et de l’humain étant à peu près représenté dans son ensemble au sein du groupe. Est-ce nos affinités personnelles ? Je ne crois vraiment pas, à voir notre diversité et les divergences qui ont pu naître… Est-ce notre foi ? Mais comment savoir ?
Libres de nos convictions et de nos pratiques religieuses, nous ne faisons subir aucun examen de conscience lorsqu’un jeune souhaite nous rejoindre ! Ainsi, comment pourrait-on dire « nous avons tous une même foi » ? Non, je crois plutôt que nous sommes rassemblés par l’Esprit, par une forme de joie profonde qui transcende les catégories humaines. Lorsque nous nous retrouvons, la joie se pose sans bruit sur nous et, sans le savoir forcément, nous participons à un grand élan de reconnaissance qui nous dépasse complétement !
Je crois que nous ne devons pas perdre l’élan que je viens de citer. Tant de racines d’amertumes, tant de menus problèmes nous empêchent d’aller de l’avant… Notre paroisse peut oser regarder l’autre et lui dire : « Tu es ma joie ! ». N’ayons pas peur également d’exprimer cette dernière tous ensemble ! Osons également remarquer l’évolution globale du « marché religieux », et unissons nos voix pour dire que nous n’avons rien perdu de notre élan de reconnaissance envers ce Dieu qui s’est tourné vers nous ! Rendons visible non pas des « gueules de Sauvés » subites, non pas une parole prosélyte proclamée par peur de perdre son identité, mais bien plutôt notre joie reconnaissante !
Je pense que diverses occasions nous sont données pour témoigner de cela. La fête paroissiale qui aura lieu l’automne prochain n’est-elle pas exactement une chance inouïe de faire jaillir d’un seul corps notre joie ?
Dans l’attente d’en discuter avec vous de vive voix, je vous souhaite une très belle journée, dans la paix du Christ.
Guillaume
Vendredi 11 novembre
Bénis le Seigneur, mon âme ! Et n’oublie aucun de ses bienfaits ! Psaume 103, 2.
Bonjour à toi chère lectrice, à toi cher lecteur !
La reconnaissance par la joie, pour les bienfaits du Seigneur. Voilà bien tout un programme. Ce court verset du psaume 103 m’a interpellé par sa force de frappe, par son sens d’impératif. Je ne vais pas aujourd’hui disserter davantage. Si nous avons commencé cette semaine par une réflexion plus théologique, j’ai souhaité un certain glissement vers une pensée quotidienne de plus en plus méditative. J’ai acquis la conviction que l’un ne va pas sans l’autre. C’est ce que j’ai pu expérimenter à plusieurs reprises, notamment lors d’une visite à la Communauté de Bose, au nord de l’Italie. Les quelques jours que j’ai eu la chance de vivre ont été un mélange tout à fait harmonieux entre un cheminement théologique assez complexe et une approche intériorisée et méditative.
C’est donc par la prière que je souhaite conclure cette chronique. Je vous propose une adaptation libre de la prière que l’on attribue à François d’Assise. A toutes et à tous un excellent week-end !
Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix, par la joie : expression du « merci » que je t’adresse et qui s’exprime auprès de mes frères et de mes sœurs. Donne-moi de ne jamais perdre courage, de ne jamais perdre cette joie, mais de toujours mieux rendre compte de l’amour que tu me portes.
Là où est la haine, que je mette l’amour, l’amour qui parle de toi, qui témoigne de ta miséricorde, de ton mouvement qui nous touche avant que nous n’ayons pu dire un seul mot. L’amour, en somme, qui ne viens pas de moi, mais de toi.
Là où est l’offense, que je mette le pardon. Là où est la discorde, que je mette l’union. Là où est l’erreur, que je mette la vérité. Là où est le doute, que je mette la foi. Là où est le désespoir, que je mette l’espérance, l’espérance que nous ne sommes pas seuls, que tu prends sur toi nos manquements. Là où sont les ténèbres, que je mette la lumière. Là où est la tristesse, que je mette la joie.
O Seigneur, que je ne cherche pas tant à être consolé qu’à consoler, à être compris qu’à comprendre, à être aimé qu’à aimer, par un mouvement inébranlable et croissant de reconnaissance pour tous tes bienfaits.
Bonjour Guillaume!
Merci pour cette chronique: je suis fascinée par Karl Barth, et le fait de faire de Dieu une « idole » est un problème que je rencontre chaque jour…
Moi aussi, j’ai de la peine à ne pas l’enfermer dans une définition statique, ces derniers temps, face à aux interrogations de certains proches athées ou agnostiques, j’aime à parler de Dieu qui m’échappe, mais qui s’est révélé en Christ et qui nous accompagne aujourd’hui dans nos vies… : et que la vie en Christ c’est apprendre à reconnaître et accepter cette présence…
Après, je dois dire aussi que je recours à la Bible et ce qu’elle nous dit de Dieu, mais en essayant de ne pas l’enfermer, par exemple: « Seigneur, toi qui a sauvé ton peuple de la servitude en Egypte, viens me libérer de cette situation qui…. » et j’essaye de ne pas m’attendre à un miracle sachant que les « voies de Dieu sont impénétrables » (et qu’Israel a cheminé 40 ans dans le désert, a eu l’impression durant ce temps que Dieu était parfois absent – d’où le veau d’or, etc) et donc de m’en remettre à lui…
Le chemin de toute une vie!
Bref, merci car avec Barth, je me rappelle que je ne dois pas faire de mon Dieu, notre Dieu une idole!
Je me réjouis de la suite de ta chronique!
Cécile