Prédication – Fête de l’Ascension 2025
Lectures
Actes 1, 6-11 (Trad. Nouvelle Français Courant, 2019)
6Ceux qui étaient réunis auprès de Jésus lui demandèrent : « Seigneur, est-ce en ce temps-ci que tu rétabliras le règne pour Israël ? » 7Jésus leur répondit : « Il ne vous appartient pas de savoir quand viendront les temps et les moments, car le Père les a fixés de sa seule autorité. 8Mais vous recevrez une force quand l’Esprit saint descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’au bout du monde. »
9Après ces mots, Jésus fut élevé vers le ciel pendant que tous le regardaient ; puis une nuée le cacha à leurs yeux. 10Ils avaient encore les regards fixés vers le ciel où Jésus s’en allait, quand deux hommes habillés en blanc se trouvèrent près d’eux 11et leur dirent : « Gens de la Galilée, pourquoi restez-vous là à regarder le ciel ? Ce Jésus, qui vous a été enlevé pour aller au ciel, reviendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller. »
Luc 24, 50-53 (Trad. Nouvelle Français Courant, 2019)
50Puis Jésus les emmena hors de la ville, près de Béthanie, et là, il leva les mains et les bénit. 51Pendant qu’il les bénissait, il se sépara d’eux et fut enlevé au ciel. 52Quant à eux, ils se prosternèrent devant lui et retournèrent à Jérusalem, remplis d’une grande joie. 53Ils se tenaient continuellement dans le temple et louaient Dieu.
Prédication
De Guillaume Klauser
Introduction – Comment lire ce récit ?
Il y a cette croyance persistante qui consiste à croire que nos ancêtres sur cette Terre étaient plus crédules que nous. Qu’on pouvait leur faire croire le plus surnaturel et qu’ils gobaient tout. Mais pas plus pour eux que pour nous, en réalité, ce récit de l’Ascension ne faisait sens si l’on en restait à une lecture littérale, ou qu’on faisait de l’Ascension physique du Christ l’élément central qui concentre toute l’attention.
La preuve, s’il faut en chercher une, c’est que nous avons lu deux récits du même auteur, celui qui a rédigé l’évangile de Luc et les Actes des Apôtres. Et que ces deux récits montrent des différences nettes entre eux. Par exemple, dans l’Evangile, l’Ascension a lieu à la suite directe des événements de Pâques. Dans les Actes, il faut attendre quarante jours pour que le Ressuscité quitte les siens. Dans l’Evangile, les disciples s’en retournent à Jérusalem alors que dans le livre des Actes, ils y sont et y restent. Dans l’Evangile encore, l’Ascension provoque chez les disciples un abaissement (ils se prosternent !), alors que dans les Actes, ils restent les yeux rivés au ciel. « Les deux récits ont aussi des points communs : les disciples sont mis en mouvement. Ils sont désormais envoyés en mission ».[1]
- Dieu est ailleurs et échappe à son enfermement
Bref, ces contradictions apparentes ne sont pas problématiques, à condition qu’on perçoive quelque chose de plus qu’une simple mythologie d’un Jésus élevé dans les airs par magie.
Cela nous permet d’aller vers le premier enseignement de cette fête de l’Ascension.
Dieu est ailleurs. Les récits lus aujourd’hui font suite à ce temps particulier où Jésus ressuscité a encore passé du temps avec ses amis et disciples. Alors le premier message que nous donnent ces récits est le plus simple qui soit : Dieu est ailleurs. Cela ne signifie pas forcément que Dieu se trouve loin. Prenons un exemple. Si je demande à l’un ou à l’une d’entre vous de se rendre dehors, juste maintenant, là dans l’herbe, cette personne se trouvera « ailleurs », et pourtant très proche de nous qui restons ici à l’intérieur du temple.
Ainsi en va de Dieu : il peut être proche tout en étant ailleurs. Dieu ailleurs, c’est Dieu qui « nous devance et résiste à ce qui tend à le chosifier, se l’approprier et le manipuler »[2]. Oui, Dieu dit, par l’Ascension de Jésus : je reste proche, mais je refuse que vous fassiez de moi une chose, un objet. « L’absence apparente de Dieu est véritablement une bénédiction, car nous savons que rien ne peut le contenir, que rien ne peut l’enfermer ; notre Dieu est le Dieu de toutes les ouvertures, de toutes les directions, de tous les possibles »[3] !
Un théologien que je redécouvre ces temps, Raphaël Picon, écrivait que l’Ascension vient ébranler à juste titre « nos attendus et nos certitudes pour nous éveiller à ce qui demeure pour nous insaisissable ; cette fête célèbre le vide et le manque pour nous ouvrir au temps du désir et de la quête »[4].
Eh oui, qui dit vide dit manque, et qui dit manque dit quête. Si Jésus était resté parmi les humains, de manière tangible, palpable, qui s’en occuperait ? C’est parce qu’il n’est plus là physiquement que peut naître en nous cette quête, cette attente, cette recherche. C’est parce qu’il nous manque qu’on a soif de lui. Nous pouvons méditer cela quelques instants.
- La séparation : oui, mais pas sans envoi et bénédiction !
Penchons-nous sur un autre aspect intriguant de cet événement biblique. « Aujourd’hui nous fêtons l’Ascension qui, en fait, marque une séparation ! Est-ce que vous avez entendu parler de tristesse, de crainte ou de désarroi de la part des disciples ? Il n’y en a pas, pas un mot. Et pourtant, spontanément quand je pense à cette scène de l’enlèvement du Christ au ciel, je vois les disciples étonnés, un peu perdus. Je ressens avec eux une peur et le sentiment d’abandon »[5]. Leur maître est mort cloué sur une croix. Quelle douleur, quelle tristesse infinie ils ont éprouvé… Puis le voici qui se montre à eux à nouveau, mais différent, ressuscité. On peut imaginer leur joie ! Et le voilà qui disparaît… une nouvelle fois de la tristesse… Mais non, c’est bien de joie dont il est fait mention dans notre texte du jour.
Il y a un geste posé par Jésus, un geste qui change tout, c’est la bénédiction qu’il pose sur eux. « Ce geste de bénédiction de Jésus rappelle celle de ses ancêtres, d’Abraham et d’Aaron. La bénédiction de Jésus est dans la continuité de la bénédiction que Dieu donne à travers ses fidèles serviteurs. Mais la bénédiction n’est pas juste une parole. Elle est (…) une parole qui devient réalité au moment même qu’elle est prononcée. Dans la Bible la bénédiction est signe d’une relation de confiance et d’une relation qui continue malgré la séparation. Jésus les quitte mais il leur laisse sa bénédiction. Jésus est absent, mais il reste présent par sa bénédiction »[6]. Vous vous souvenez ? Dieu ailleurs ne signifie pas pour autant Dieu lointain.
« C’est ainsi qu’ils peuvent se réjouir et retourner à Jérusalem en louant Dieu, confiant que le Christ sera désormais présent par sa bénédiction »[7].
« C’est alors cette bénédiction du Christ qui leur donne la confiance et les remplit avec de la joie. Cette bénédiction a pour effet que la séparation n’est pas vécue comme douloureuse mais comme le premier instant d’un temps nouveau. L’élévation au ciel marque pour eux le seuil entre une vie de disciple de Jésus et la vie de témoin »[8]. C’est le passage de l’état de disciple, qui écoute et obéit à un maître, à l’état d’apôtre, celui qui est responsabilité et en capacité d’agir par lui-même[9].
Et cela vaut pour les disciples comme pour nous : « ainsi nous aussi sommes bénis par le Christ. Par sa bénédiction il reste présent auprès de nous. La fête de l’Ascension n’est alors pas une fête qui célèbre un adieu difficile, mais au contraire l’ouverture vers un avenir, vers un chemin à prendre sous la bénédiction du Christ, en confiance et dans la joie »[10].
La bénédiction de Dieu que nous donne le Christ permet de vivre l’absence physique, elle fait de nous des apôtres à la suite des disciples remplis de joie. Nous pouvons là encore méditer cela quelques instants.
- Aux apôtres de jouer !
J’aimerais terminer par un dernier point, dans le prolongement de ce qui vient d’être dit.
La bénédiction donnée par Jésus responsabilise donc les disciples, qui deviennent apôtres et reçoivent une mission claire : être ses témoins « à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’au bout du monde ». Une consigne claire, nette, précise, un élan donné par Jésus pour, pardonnez l’expression, que les nouveaux apôtres « se bougent ». Allez, hop ! Mais tant dans le texte des Actes que dans l’Evangile, les apôtres semblent assez mous. Dans les Actes, ils restent le nez au ciel, et il faut qu’on vienne leur ramener les pieds sur terre. Dans l’Evangile, voilà qu’ils se mettent à louer Dieu dans le Temple. Rappelons-nous que cet épisode fait suite à la joie de Pâques, la joie de retrouver le Christ ressuscité, celui qui a vaincu la mort. « On entend parfois cette phrase après le week-end pascal : ‘Pâques est passé’. En réalité Pâques ne passe pas, il laisse cette joie qui marque la vie de chaque chrétien. Pâques est à redécouvrir tous les jours. Cette louange constitue alors la première étape du témoignage. Elle est l’une des missions de l’Eglise »[11].
Je trouve qu’on ne parle pas assez de la louange. Non pas de la louange comme signe extérieur de religiosité, mais comme « communion au Christ ressuscité, au Christ vivant »[12].
La louange, c’est comme la prière, une attention active à Dieu. La louange donne la joie de la communion avec Dieu, avec tous les soubresauts de nos vies. Avec la reconnaissance envers Dieu pour tous ses bienfaits, mais aussi avec les temps plus difficiles dans lesquels il n’est pas possible d’exprimer à Dieu un merci. Comprendre l’élan de ma vie comme un élan de louange, ce n’est pas être béat ou niais devant Dieu. C’est communier avec Dieu dans toutes les dimensions de ma vie, avec sa complexité. Une posture continue, celle du croyant, de la croyante toujours en quête de ce Dieu qui se dérobe à notre champ de vision.
Le témoignage des apôtres et de l’Eglise commence dans cette communion qui appelle à devenir louange, à être louange. (…) Au final, dans la louange, les apôtres et l’Eglise sont appelés à rayonner de la vie du Christ ressuscité.[13]
Conclusion – Que retenir de tout cela ?
Chers amis, vous voyez dans quelles directions l’Ascension du Christ nous a fait aller. Il est temps de conclure en résumant.
Loin d’être un récit mythologique d’une montée au ciel miraculeuse et spectaculaire, l’Ascension nous dit quelque chose de la présence d’un Dieu ailleurs, qu’on ne peut pas enfermer dans nos conceptions, mais qui pourtant reste proche et nous donne sa bénédiction, celle qui nous permet à notre tour de devenir acteurs et actrices, de devenir apôtres avec une mission. Cette mission, ce n’est toutefois pas de se précipiter hors de ce temple et de crier à qui voudrait bien l’entendre n’importe quoi sur Dieu et sur Jésus. Non, la première étape, c’est celle que les premiers apôtres on aussi vécu, c’est celle de la louange, cette communion de tous les jours avec Dieu, dans le meilleur comme dans le pire. C’est ainsi que le témoignage peut se poursuivre : par notre communion avec Dieu, c’est tout notre être, toute notre personne qui devient témoignage. C’est par la communion avec ce Dieu qui se dérobe à nos yeux que nous devenons des signes rayonnants de sa présence, dans notre maison, dans notre village, dans le monde. Amen !
Prière de préface (action de grâce qui débute le temps de la sainte Cène)
Frères et sœur, chers amis, nous avons des raisons de nous réjouir et d’être plein de reconnaissance envers Dieu. Nous prions.
Oui, il est juste et bon d’être plein de reconnaissance envers toi, Dieu éternel et tout puissant en amour, par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur et notre frère.
Par son Ascension, il nous montre ta liberté de te tenir toujours là où tu le veux, loin de nos conceptions figées qui feraient de toi une chose. Par son Ascension, il nous montre de quelle bénédiction tu nous abreuves et quelle joie contagieuse nous donne la communion avec toi, pour faire de nous des témoins rayonnant de ton amour. Pour tout cela et pour tous tes bienfaits, nous sommes envers toi plein de reconnaissance.
C’est pourquoi, avec les anges ainsi qu’avec les croyantes et les croyants de tous les temps et de tous les lieux, avec la création tout entière, nous proclamons ta gloire, en chantant d’une seule voix : Saint, saint, saint est le Seigneur !
[1] Pour le paragraphe : Romain Schildknecht, pasteur UEPAL, prédication du 14 mai 2015.
[2] Raphaël Picon, Un Dieu insoumis, Genève, Labor et Fides, 2017, p. 46.
[3] Jean-Jacques Delorme, pasteur à Oberbronn, prédication du 5 mai 2016.
[4] Raphaël Picon, op cit., p. 47.
[5] Léa Langenbeck, pasteure UEPAL, prédication du 18 mai 2023.
[6] Léa Langenbeck, op cit.
[7] Léa Langenbeck, op cit.
[8] Léa Langenbeck, op cit.
[9] Cf. Romain Schildknecht, op cit.
[10] Léa Langenbeck, op cit.
[11] Matthias Hutchen, pasteur à Ingwiller-Menchhoffen, aide à la prédication du 14 mai 2015.
[12] Matthias Hutchen, op. cit.
[13] Matthias Hutchen, op. cit.