Prendre soin de son prochain

Message du culte aux Bayards le 6 juillet 2025

Prédication

de Jocelyne Mussard

Lecture : Deutéronome 30,11-19 et Luc 10, 25-37

Prédication

Que voilà des textes bien connus ! Mais ce sont les textes du jour, d’après le lectionnaire protestant ! Et cela tombe bien, pour moi en tous cas, parce qu’ils parlent de thématiques qui me travaillent en ce moment.

A la radio, j’ai entendu un philosophe (dont je ne sais plus le nom) qui présentait son dernier livre : l’histoire d’une jeune femme qui passe en revue tous les philosophes depuis les grecs à aujourd’hui, à la recherche d’un mot d’ordre, d’une parole percutante pour orienter sa vie.

L’auteur convenait qu’il était difficile de trouver une seule phrase, un seul slogan, mais le journaliste qui l’interviewait lui a demandé si, lui, il avait trouvé « Sa Phrase », et chez quel philosophe ?

L’auteur a répondu : « oui j’ai trouvé ma phrase, mon mot d’ordre, qui oriente ma vie. Mais ce n’est pas auprès d’un des nombreux philosophes que j’ai étudiés, c’est…dans la Bible, dans le premier Testament : « J’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta postérité ».

C’est simple à dire, mais l’application de ce verset demande une réflexion de tous les instants : qu’est-ce qui, dans cette situation, va vraiment amener de la vie, plus de vie, une vie abondante, pas étriquée…qu’est-ce qui va amener la vie dans un groupe de personnes, une famille, un pays, etc… cela ne veut en aucun cas dire qu’il faut favoriser l’acharnement thérapeutique, par exemple.

Ce qui est sûr, c’est que dans le récit de Luc, le samaritain, en aidant son prochain, a choisi la vie.

Le message du texte de Luc est clair, à première vue, prendre soin de son prochain, qui est malade, blessé, agressé, pauvre, etc… ne pas faire comme le « vilain prêtre » ou le « vilain lévite », mais faire comme le « Bon samaritain ».

D’ailleurs, quand on parle de samaritain, qu’est-ce que cela évoque pour nous ? Cette société de secouristes auprès de laquelle on fait une petite formation obligatoire pour passer son permis, ceux qui sont toujours présents lors des grandes manifestations pour assurer les premiers secours ? et Combien d’hôpitaux s’appellent « le Samaritain, ou le bon Samaritain » dans le monde ? Le personnage du (bon) Samaritain est passé dans le domaine public, l’imaginaire collectif, au point que cela en devient parfois moqueur : il ou elle fait son bon samaritain ou…son St-Bernard !

Alors le message de cette parabole, on connaît, on a compris. Et on peut le mettre en lien avec d’innombrables autres textes, dans les évangiles et dans toute la Bible : regarder aux autres, prendre soin des plus pauvres, des personnes fragiles, blessées, malades, celles et ceux qui ont besoin d’aide. Cet enseignement est la base de la fondation de nombreux hospices, lieux d’accueil, maisons pour enfants, personnes âgées. Les premiers hôpitaux ont été fondés par des congrégations religieuses (à Beaune par ex). Le souci des autres, Jésus le martèle, le répète tout au long des Evangiles, c’était il y a 2000 ans, et on n’a pas vraiment tous progressé dans ce domaine !

Dans ce texte, il y a le message principal qu’on connaît ou croit connaître, mais il y a plein d’autres angles, d’autres éclairages à découvrir :

  • Penchons-nous d’abord sur l’action et ses circonstances :

Des religieux, le prêtre et le lévite descendent de Jérusalem à Jéricho, 900m de dénivelé négatif, 30kms de marche, sur un chemin caillouteux, accidenté et dangereux, car fréquenté par de nombreux brigands. Ils ont fini leur service à Jérusalem et se hâtent de rentrer chez eux. Le Samaritain voyage, probablement pour affaires, on ne faisait pas de tourisme à l’époque !

Tous sont pressés d’arriver au but, tous, probablement, sont partis tôt le matin, et craignent de traîner en route. Le prêtre et le lévite, représentants du pouvoir religieux, et aussi politique, des « gens bien », donc, voient le blessé, ils sont conscients du problème …mais passent outre. Peut-être par crainte de l’impureté, ou par peur de tomber dans un guet-apens et de se faire agresser par des brigands. Ils se sont dit : « si je m’arrête, que va-t-il m’arriver ? »

Alors que le Samaritain s’est dit : « si je ne m’arrête pas, que va-t-il LUI arriver ? »

  • Qui sont les personnages ?
  • Le docteur de la loi, le sage, le spécialiste des Ecritures, qui pose une question à Jésus, question dont il connaît très bien la réponse.  Mais Jésus ne se laisse pas piéger, il lui retourne la question et le fait dire lui-même la réponse.

Si on prend au sérieux le commandement d’aimer son prochain, la question de savoir qui est mon prochain, n’est pas si sotte : qui est celui que je dois aimer comme moi-même ? Celui qui est proche par le sang (famille), celui qui est proche par la pensée (qui est d’accord avec moi), celui qui est proche par la géographie (voisins), ou celui qui est loin ? Nous n’avons pas les forces d’aimer et de secourir tout le monde, ce n’est pas ce que Dieu nous demande, alors qui est mon prochain ?

Jésus répond par une autre question : qui a été le prochain de l’homme blessé ? Et moi, de qui suis-je le prochain/ la prochaine ?  Jésus met le blessé au centre de la parabole.  Le commandement nous invite à nous approcher, à devenir les prochains des blessés de la vie qui croisent notre chemin.

  • Les deux représentants de la religion, ceux qui connaissent les enseignements et les commandements. Ils ont appliqué le premier commandement en aimant Dieu (ont fait leur service à Jérusalem), mais ils oublient d’y associer le second (aime ton prochain comme toi-même). Pourtant, ils devraient être exemplaires…
  • Le blessé : Victime innocente d’une agression sauvage par plusieurs personnes. Volé, battu, gravement blessé, traumatisé, situation qui peut aussi malheureusement nous arriver…
  •  Le samaritain : ennemi religieux d’Israël, celui qui a choisi un autre ensemble de textes religieux, un autre temple, un autre calendrier, d’autres rites. En mettant un samaritain comme modèle de compassion, Jésus nous rappelle que la compassion est universelle, pas besoin d’avoir reçu une révélation particulière pour être ému par la souffrance d’un blessé, pour aimer son prochain. Jésus donne aussi une leçon d’antiracisme au spécialiste de la loi, il le contraint à déplacer son regard et à ne plus juger les gens sur leur origine ou leurs croyances mais sur leur façon d’agir.

Le samaritain était certainement pressé lui-aussi, mais il voit le blessé et se laisse dérouter, il modifie ses plans. Il s’arrête parce qu’il est ému, il est pris de compassion, il est « pris aux entrailles », dit le texte grec. Le même mot est utilisé pour l’émotion de Jésus quand il a vu passer le cortège funèbre du fils de la veuve de Naïn. C’est un élan du cœur qui pousse à l’action. Même si on ne peut évidemment pas porter toute la peine du monde, il est important de ne pas se blinder, de garder le cœur ouvert. Et le samaritain prend complètement soin du blessé, il panse ses blessures sans se laisser dégoûter, il est pratique, efficace, c’est un homme qui agit. En amenant le blessé dans une auberge, et en assumant les frais de l’aubergiste, il est généreux, prévoyant, et aussi réaliste quant à ce qu’il peut faire pour ce blessé sans manquer à ses engagements du jour.

Mais le samaritain est aussi une image du Christ, qui se penche sur l’humanité blessée. Le Christ nous propose, pour parler de lui-même, l’image d’un mauvais croyant, méprisé par les juifs de son temps.

Ce Dieu, qui se révèle au travers de son Fils, le Christ, qui est-il alors ? On aimerait bien qu’Il soit un Dieu fort, grand, guerrier. Qui résout tous nos problèmes par sa toute-puissance. Ce sont les humains qui se prennent pour ce genre de dieu, il n’y a qu’à écouter les infos pour voir que beaucoup de dirigeants se prennent pour dieu tout-puissant !

Tout autre est le visage de Dieu, ce Dieu qui ne fait pas le boulot tout seul, celui qui nous dit : « choisis la vie, suis mes commandements, prends soin de ton prochain ». Il nous met au travail « va et toi aussi, fais de même ». C’est le Dieu qui se fait proche des humains dans la personne de Christ, doux et humble de cœur. Ce Dieu qui naît dans une étable, partage la vie des hommes et des femmes de son temps. Lui qui prend soin, guérit, relève, comme le samaritain.

Il y a quelques temps, j’ai reçu un texte d’un collègue diacre retraité, qui anime un groupe d’écriture. Et son texte parle d’un Dieu qui ressemble à celui de la parabole

L’image de Dieu

Récit du groupe de Philippe Corset :

Il y a quelques jours je suis entré par curiosité dans une petite chapelle de ma région. Quelle ne fut pas ma surprise, en entrant, d’y trouver Dieu lui-même, assis sur un banc. Il était en train de lire sa Bible et de méditer sur un psaume. Aussitôt je me suis prosterné devant lui, évidemment, mais lui, tout aussi prestement, s’est levé, m’a pris par les épaules, et m’a relevé en disant :

 Pas de ça avec moi !

Ensuite il m’a prié de m’asseoir à son côté. Il a passé son bras sur mes épaules, dans un geste de tendre affection.

J’ai vu que sa Bible était ouverte au psaume 96.

  • Prosterné, Philippe ! Prosterné ! Se prosterner devant moi, ça me flatte énormément, mais sais-tu que ce mot n’est pas de moi !

C’est un mot d’hommes. Et pas n’importe lesquels. Ceux et quelquefois celles qui l’ont inventé sont ceux qui détiennent le pouvoir.

Le pouvoir de l’argent, de la politique, de la justice, de la religion, tu te rends compte… de la religion, et de la guerre.

La domination sous toutes ses formes. Baisser la tête, s’aplatir, se coucher par terre. Ça, c’est pas mon truc.

Irénée, tu connais Irénée ? Lui, il a écrit quelque chose qui me touche le cœur et les entrailles. Il a écrit : la gloire de Dieu, donc ma gloire, c’est l’homme debout. Tu comprends ÇA, c’est toi, c’est vous les humains : debout ! Debout pour la justice, la solidarité, le partage, l’accueil. Tous ces mots qui s’ouvrent sur la tolérance, le respect, l’équité. Comme c’est beau et bon.

Y a eu un long moment de silence. Et là, je n’ai pas compris tout de suite. Il a mis son visage entre ses mains et s’est mis à pleurer.

Alors, à mon tour, j’ai passé mon bras sur ses épaules. Et j’ai pleuré avec lui.

Il pleurait parce qu’il se rappelait combien ça coûte d’être debout : une sinistre croix dressée sur une colline en Israël.

Et moi je pleurais avec lui parce que je n’avais plus trop la force de me battre.

Quand j’ai rouvert les yeux, il était parti.

Je crois bien qu’il est allé du côté de Gaza, ou peut-être se mêler à une foule sur une place à Jérusalem, dans une université aux Etats-Unis, quelque part en Ukraine ou avec des manifestants à Moscou. Partout où il y a des hommes et des femmes qui se redressent.

Parce que si moi je suis fatigué, lui n’abandonne jamais. Il espère toujours. Tiens, maintenant que j’y pense, je me demande si ce n’était pas lui qui, vers Noël de l’année dernière, jouait de la trompette devant un grand supermarché à Lausanne avec l’Armée du Salut ?

Amen