Culte du samedi 13 septembre 2025
Môtiers
Prédication
De Sébastien Berney
Lectures : Job 1, 6 – 12 / Job 42, 1 – 6
Dieu est tout bon… Dieu est tout puissant… Jusque-là, j’ai l’impression que presque toutes les personnes présentes ici dans ce temple ce matin devraient être d’accord avec ces deux affirmations… Que l’on y croie, ou que l’on n’y croie pas, Dieu devrait être tout bon et tout puissant… Sinon, ce n’est pas Dieu… Un Dieu faible et méchant n’est pas très attirant…
Seulement voilà… Aujourd’hui nous avons un problème… Ce problème, c’est le livre de Job… Ou plutôt, derrière le livre de Job, nous avons l’affirmation suivante : le mal existe bel et bien. La réalité de la mort, de la souffrance, de l’injustice, cette réalité fait partie de notre quotidien…Catastrophe naturelle, guerre, mort scandaleuse et j’en passe…
Dieu est tout bon, Dieu est tout puissant, le mal existe… Nous voilà devant une impasse… Si le mal existe, Dieu n’est pas tout bon et en même temps tout puissant… Soit Dieu est tout bon, mais nous avons affaire à un Dieu au rabais, puisque que le mal lui échappe… Soit il est tout puissant, et sa bonté n’est que mensonge, puisqu’il domine le mal…
Une immense question que voilà… Les théologiens et les philosophes de tous ordres s’y sont arraché les cheveux…
Et nous, dans tout cela ? Nous, je crois que nous avons le livre de Job… Nous n’aurons pas toutes les réponses à nos questions, mais avec Job nous pourrons cheminer un petit bout…
Le livre de Job commence par un récit : « Or un jour que les anges de Dieu venaient faire leur rapport au Seigneur, le Satan, l’accusateur, se présenta parmi eux, lui aussi. » Dès le commencement, nous sommes transportés dans un autre monde, presque un monde de science-fiction… Avant de parler de Job, le narrateur veut nous parler de Dieu. Plus que de Dieu, il veut nous parler d’un pari, un pari céleste… Alors moi, tout en sachant que nous sommes dans un conte et non pas dans un récit historique, je me pose une question : qui est ce Dieu qui s’amuse à faire des paris, sur les hommes, dans les cieux ?
Job était un homme connu pour sa richesse et sa sagesse. Le texte nous dit la chose suivante : « Cet homme était irréprochable, droit, fidèle à Dieu et se tenait à l’écart du mal. Il était père de sept fils et de trois filles ; il possédait sept mille moutons, trois mille chameaux, cinq cents paires de bœufs et cinq cents ânesses, ainsi que de nombreux domestiques. C’était le personnage le plus considérable à l’est de la Palestine. »
Mais voilà, un pari céleste et Job perd tout… Bétail, famille, santé…
Dans ce pari, ma vision de Dieu se trouve chamboulée… Qui est ce Dieu qui permet ainsi la souffrance ? J’ai l’impression que ce récit m’ouvre une perspective que je n’avais pas imaginée… Cette perspective est la suivante : Dieu a peut-être un côté obscur, il n’est pas celui que j’avais imaginé… ! Dieu n’est peut-être pas celui que je pensais, avant… Dieu laisse au Satan le pouvoir d’agir sur la terre, pire, de s’acharner sur un homme juste… Le Satan de notre texte est bien loin de l’image du diable que nous a enseignée l’église pendant de nombreux siècles. Dans notre récit, le Satan fait partie de la cour céleste… Dieu dialogue avec lui comme je parle avec ma voisine de palier… Il y a quelque chose de choquant ici… Ce mal, qui ici est incarné par le Satan, c’est bien Dieu qui lui donne la vie… Le Satan est sous les ordres de Dieu. C’est Dieu qui lui permet d’exister, qui lui donne le pouvoir d’agir… Qui est ce Dieu ? Est-ce celui dans lequel j’ai mis ma foi ???
Passons maintenant à Job… Nous sommes dans un conte. Job n’a pas le récit du pari céleste sous les yeux, lui… Par contre, il subit… La perte de ses biens, le deuil de sa famille, la souffrance physique…
Quelle est sa réaction face au mal ? Dans un premier temps, on peut dire que Dieu a gagné son pari : l’histoire nous dit que « Dans tous ces malheurs Job ne commit ainsi aucune faute ; il ne dit rien d’inconvenant contre Dieu (…) Job ne prononça aucun mot qui puisse offenser Dieu ». Mais dans un deuxième temps, Job va commencer à se poser des questions, il va commencer à crier sa souffrance… Il va demander des explications à son Dieu, la question du pourquoi… Ce cri dure quarante chapitres…
Face aux belles théories de ses amis qui sont venus le soutenir, Job se défend… Il n’a pas péché aux yeux de Dieu, le malheur qu’il subit n’est en aucun cas mérité… C’est ici toute la théorie de la rétribution qui prend l’eau… L’homme de bien souffre alors que celui qui exerce le mal vit dans la paix… Les trois amis de Job essayeront de persuader Job que la souffrance qu’il endure a une cause : il a péché d’une manière ou d’une autre… Mais Job persiste à crier son innocence… Ce qu’il veut, c’est des explications, il n’est coupable de rien. Les malheurs qu’il subit sont totalement injustifiés. Accablé par la souffrance physique et morale, il se révolte… La logique des hommes, selon lui, est incapable d’expliquer sa souffrance… Les belles théories ne suffisent plus… Ce n’est pourtant qu’à la toute fin du livre que Dieu répondra à Job…
Et nous dans tout cela ? N’avons-nous pas également nos souffrances injustes, personnelles ou collectives… La mort d’un proche… Les catastrophes naturelles… Les guerres… Les injustices sociales… Faces à la réalité du mal, nous demandons également des explications… Dieu nous répond-il ? Comme il ne nous répond pas, nous trouvons alors, comme les amis de Job, des réponses moralisatrices : ce que vous subissez, vous l’avez mérité… C’est horrible, mais je suis sûr que nous le faisons tous…
Dans le livre de Job, Dieu finit par répondre… Une fois de plus, ce n’est pas vraiment une réponse qui est là pour nous rassurer… Quand Dieu prend la parole, il commence comme ceci : « Qui est-tu pour oser rendre mes plans obscurs à force de parler de ce que tu ignores ? Tiens-toi prêt, sois un homme : je vais t’interroger, et tu me répondras. Renseigne-moi, si tu connais la vérité : où donc te trouvais-tu quand je fondais la terre ? » Dans la réponse de Dieu, aucune explication n’est donnée à Job ; au contraire, Dieu, dans toute sa grandeur, écrase Job encore un peu plus… Job n’est qu’un homme, Dieu est Dieu et n’a de compte à rendre à personne… Et c’est tout !!!
Alors voilà, nous retournons à notre point de départ… Dieu est tout bon, Dieu est tout-puissant, le mal existe…
A partir de ce constat, si l’on ajoute ce que nous avons dit, deux solutions s’ouvrent à nous…
La première solution, devant ce constat d’échec, rejette la foi… Rejette la réalité de Dieu… Dieu n’existe pas… Le monde ne suit qu’une seule loi, celle de la nature… Tout ce qui se passe sur la terre est le fait de la nature… L’homme fait partie de cette nature et doit accepter ce qui lui arrive…
Cette explication est logique… Mais bien plus difficile à maintenir que l’on pourrait le croire… On a vite fait de se réinventer un dieu… Histoire de remettre la faute sur quelqu’un quand la loi de la nature n’a pas prévu la situation qui nous fait souffrir…
La deuxième solution est celle de la foi… Elle s’appuie sur les dernières paroles de Job, nous l’avons lu : « Je reconnais que tout est possible pour toi, (…) je l’avoue : j’ai parlé d’un sujet trop ardu, je n’y comprenais rien et ne le savais pas ! ». Il ne s’agit pas ici de dire tout simplement et bêtement les voies de Dieu sont impénétrables… Il s’agit plutôt, en suivant l’interprétation du philosophe Paul Ricœur, de dire que la foi en Dieu ne dépend pas de l’explication que je peux donner à la réalité du mal. Avec d’autres mots, il s’agit de croire malgré le mal.
Toujours en suivant la pensée de Ricoeur, nous pouvons affirmer que 90% du mal subit sur notre terre provient de la méchanceté de l’homme… Si l’homme avait comme fondement l’amour et non pas le profit, la réalité du mal en prendrait un sacré coup… Reste le reste… La petite partie du mal qui n’est pas explicable… A l’image de Job, Ricoeur nous propose un saut, celui de la foi… Celui du malgré (comme nous l’avons dit dans la confession de foi)…
Croire malgré le mal, c’est dans un premier temps accepter les limites de sa condition. Croire malgré le mal, c’est accepter que ma foi ne dépend pas des explications humaines donnée à la réalité du mal. Croire malgré, c’est entrer dans le domaine de la confiance…
Face au pari céleste, Job va lui aussi parier. Ce pari, c’est celui du malgré…
Il me faut gentiment conclure… Que m’apprend le récit de Job. Beaucoup de choses évidemment… Et bien d’autres que nous n’avons pas abordé ce matin…
Tout d’abord, Dieu ne se laisse jamais enfermer dans nos catégories humaines. Dieu garde toujours une part de secret et la logique humaine n’arrive jamais à le saisir complètement…
Ensuite, que la plainte a sa place dans le dialogue avec Dieu. Job crie sa révolte… La souffrance doit être dite… Même si Dieu ne répond de la façon que l’on espère, il répond, et la plainte est prise en compte…
Enfin, que la foi ne trouve pas son fondement dans une explication du mal, mais dans un malgré… Un malgré nourrit par une promesse, celle d’un amour qui va également plus loin que les limites que je peux lui donner…
Amen