Culte du 30 novembre 2025 – Môtiers
Prédication d’Ion Karakash
Esaïe 63-64 et Marc 13 (extraits)
‘Si seulement tu déchirais les cieux, Seigneur, et que tu descendais…’
Combien de femmes et d’hommes de tout âge, combien de malheureux, de malades ou de maltraités pourraient aujourd’hui pousser ce cri comme un appel à leur Dieu en un temps de détresse ou d’angoisse !
‘Si seulement tu déchirais les cieux, Seigneur, et que tu descendais…’
Ce cri, un prophète le lançait à Dieu il y a 2500 ans, – cri de détresse, mais aussi d’espérance pour lui, alors que le peuple de Jérusalem rentrait enfin d’un long exil à Babylone après des décennies de servitude et de souffrance.
Le peuple avait retrouvé sa ville, – mais Jérusalem n’était plus ce qu’elle avait été : détruit par les Babyloniens, le Temple de Dieu n’était pas encore reconstruit, et nul roi ne siégeait sur le trône, nul descendant n’avait pris la succession des grands David et Salomon.
Israël vivait désormais sous la loi du roi des Perses, Cyrus, et de ses gouverneurs.
Entre le soulagement de la fin de l’exil et le sentiment de sa faiblesse et de sa dépendance, le peuple d’Israël était tiraillé, – et le message du prophète oscillait aussi entre un appel implorant le secours d’un Dieu qui semblait avoir délaissé son peuple et la cité où s’élevait jadis sa demeure… et un appel à ce même peuple à ne pas perdre espoir : Dieu ne venait-il pas d’intervenir par l’entremise du roi Cyrus pour vaincre Babylone, permettant ainsi aux déportés de regagner enfin leur maison et leur terre, contre toute attente, toute probabilité ?
Entre détresse et espérance, le prophète mettait aussi en évidence les fautes passées de son peuple, son manque de constance dans la foi :
‘Nos semblants de justice sont comme des vêtements tâchés de sang ; nous sommes comme des feuilles mortes, desséchées, qu’emporte le vent ; il n’y a personne qui se fie en Dieu et qui se lève le matin pour s’attacher à lui…’
Et pourtant, ajoutait le prophète, ‘nous sommes, nous, un vase d’argile, et Dieu est le potier qui nous a façonnés, – il est, il reste notre Père…’
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En ce premier dimanche de l’Avent, ne sommes-nous pas tiraillés, nous aussi, entre confiance et inquiétude, alors que des conflits armés ont éclaté sur notre continent, que les lieux où vécut Jésus sont devenus terres de violence et d’exil et que la planète entière s’est transformée en champ d’une guerre commerciale dont les plus pauvres sont les premières victimes ?
Le temps de crise que nous vivons n’est pas sans rappeler les signes de violence et de destruction qu’évoquent dans l’évangile de Marc les paroles de Jésus sur les temps à venir : loin de promettre à ses disciples une ère prochaine de paix et de prospérité, il leur annonçait des guerres et des confrontations, des catastrophes naturelles et des détresses humaines !…
Il les appelait ainsi à ne pas se bercer d’illusions et se méfier de ceux qui prétendaient avoir – ou même être – la solution, ceux qui se présentaient comme le Messie ou le Sauveur qui détiendrait le secret de la sagesse ou les clés de la paix et du bonheur pour tous.
‘Si on vous dit : ‘Christ est ici !’ ou ‘il est là !’, ne vous laissez pas abuser !’, leur disait-il.
La fin n’est pas encore pour demain, – ce ne sont là que les soubresautsd’un monde qui est encore à naître, ‘les douleurs d’accouchement’ d’une vie que Dieu façonne comme un vase nouveau…
Et le message de Jésus sur les temps à venir se concluait par une image que les disciples étaient invités à méditer : celle d’un arbre au printemps, – un figuier couvert de feuilles, promesse de fruits que l’été verrait parvenir à maturité…
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En ce premier dimanche de l’Avent, cette image d’un arbre en pleine éclosion permettant d’espérer une abondance de fruits nous oriente à Jésus, – celui en qui ont pris corps les promesses anciennes d’un monde nouveau et d’une nouvelle humanité.
‘Si seulement tu déchirais les cieux et que tu descendais…’, s’écriait le prophète.
Or, rappelez-vous, à l’heure où Jésus remontait des flots du Jourdain où il venait d’être baptisé, l’évangile affirme qu’il entendit une voix céleste lui révéler son identité et sa mission de Fils de Dieu : annoncer et attester le Royaume de Dieu, – et l’évangéliste ajoute que Jésus vit alors ‘les cieux se déchirer et l’Esprit, tel une colombe, descendre vers lui’. (Marc 1,10)
En Jésus, Dieu déchirait les cieux et il descendait, – non seulement vers son unique peuple élu, mais vers l’humanité entière, vers chacune et chacun de nous !
En Jésus, Dieu nous a rejoints, avec nos joies et nos peines, nos amitiés et nos abandons ; comme nous, avant nous, il a connu la violence et l’inquiétude, la détresse et l’incertitude…
Et avec Jésus, – à l’image de Jésus, à la suite de Jésus -, c’est vers nos semblables en humanité que Dieu nous appelle à porter nos regards et notre attention pour faire face à la violence et aux détresses qui nous inquiètent ou nous accablent.
Nous ne verrons sans doute pas de suite la fin des conflits qui mettent à feu et à sang notre continent, ni celle des humiliations et des terreurs qui frappent ceux qui habitent aujourd’hui les terres où vécut Jésus, ni celle de la guerre commerciale qui affecte surtout les plus vulnérables de nos semblables ; nous ne nous laisserons pas non plus assoupir par ceux qui s’affirment capables d’apporter, voire d’imposer demain au monde entier la paix et la prospérité…
Les douleurs d’accouchement perdureront sans doute encore jusqu’à ce qu’advienne enfin ce jour tant espéré où tout enfant d’humanité sera enfin pleinement reconnu et traité comme un enfant de Dieu, – mais nous pouvons contribuer, maintenant déjà, à disséminer, au nom de Jésus et sur ses traces, des signes des cieux qui s’entrouvrent et de l’Esprit de Dieu qui, aujourd’hui comme autrefois, descend vers ce monde, faisant naître et mûrir des fruits de vie et de paix, de pardon et de compassion.
C’est d’ailleurs à cela que nous appellent justement les derniers mots de la réponse que donnait Jésus aux disciples qui lui demandaient quand surviendrait la fin des temps, – la fin des guerres et des catastrophes, des injustices et des détresses qui nous inquiètent ou nous révoltent.
D’après l’évangéliste Matthieu, il leur disait :
‘Chaque fois que vous avez recueilli un étranger, rendu visite à un malade ou à un prisonnier, nourri quelqu’un qui avait faim et soif et vêtu quelqu’un qui était nu, c’est à moi que vous l’avez fait.’ (Matthieu 25,35-36 ; 24/3)
Chaque fois que nous reconnaissons en ceux que croisent nos chemins des visages dont Jésus partage pleinement l’humanité comme il a partagé la nôtre, et chaque fois que nous agissons en conséquence, les cieux se déchirent et les nuages noirs qui semblent peser pour toujours sur la terre se dissipent, ne serait-ce que pour un instant, laissant transparaître la lumière de Dieu qui brillait sur le visage de son Fils, descendu parmi nous pour nous ouvrir un chemin de vie, de paix et de bénédiction, – le chemin qui s’ouvre devant nous en ce premier dimanche de l’Avent, orienté à Noël et à une année nouvelle de la grâce du Dieu qui est venu à nous… et qui ne cesse de venir.
