Prédication dite lors de l’installation du Conseil de Paroisse du Val de Travers,
le 25 août 2019. Texte biblique: Luc 13, 22-30
Pour choisir un texte biblique lors du culte, la tradition dans la paroisse du VdT est de prendre des lectures établies pour chaque dimanche par un lectionnaire réformé.
Mais quand j’ai vu la lecture de ce dimanche, je me suis dit que ça n’était pas très affriolant pour installer un conseil de paroisse !
Cette lecture peut même faire peur. Elle montre une image sévère et pessimiste du message de Jésus, entre la porte étroite, les rejetés, les pleurs et les grincements de dents, les derniers qui seront les premiers… bref, on est loin du message d’amour de l’Evangile !
MAIS… comme dirait Jean Samuel, j’ai fait le choix d’emprunter la porte étroite et de prendre ce texte compliqué !
J’ai eu de la peine… jusqu’au moment où je me suis retrouvée devant la porte d’un grand magasin… Une porte large, à tourniquet, qui bouge toute seule. Et à côté, il y avait une petite porte, toute simple.
En observant le passage des gens, je me suis aperçue que très peu de gens prennaient cette petite porte.
J’ai alors interrogé la seule personne qui avait emprunté cette porte : « Pourquoi êtes vous passé par cette petite porte?
La personne m’a répondu : «La petite porte, c’est seulement quand le tourniquet est en panne, c’est la porte de secours »
Cette réponse m’a fait penser à la porte étroite du texte : dans le contexte de Luc : les grandes villes avaient une grande porte d’entrée qui permettait à des chars, des chevaux de pénétrer dans la ville.
Cette grande porte était fermée à la tombée de la nuit. Une petite porte à côté offrait la possibilité de rentrer dans la ville, une personne à la fois. C’était effectivement la porte de secours, la porte de la dernière chance.
Jésus emploie cette image pour signifier à son interlocuteur que malgré le fait d’avoir passé à côté de la grande porte, il lui reste le choix de la dernière chance pour accéder au Royaume.
Mais notre contexte actuel n’est plus le même. Grâce notamment à la Réforme, nous avons cette espérance d’un Royaume à construire et l’assurance du salut par la grâce.
Alors j’ai choisi de m’attarder sur les autres réponses qui m’ont été données dans le magasin, à savoir : « La grande porte, c’est là où tout le monde passe », « on a toujours fait comme ça », « on n’a pas vu la petite porte » « C’est plus facile pour passer avec les commissions et les poussettes».
C’est humain de ne pas choisir la difficulté et de prendre le chemin le plus aisé.
Avec l’image de la porte étroite, il m’est revenu une autre symbolique que j’ai reçue il y a quelques années dans une lectio divina : : Jésus qui s’avançait sur l’eau à contre-courant pour rejoindre la barque des disciples. Et c’est seulement parce qu’il était à contre-courant que la rencontre avec Pierre et les disciples a eu lieu.
En relisant le chapitre 13 de l’Evangile de Luc, on voit que tous les récits précédents vont à contre-courant : la tour de Siloé (un drame était forcément dû à un comportement inadéquat), la guérison d’une femme le jour du sabbat (il était formellement interdit de travailler pendant le sabbat), la minuscule graine de moutarde qui, contre toute attente, devient un arbre gigantesque.
Je me risque donc à poser une intuition :
Peut-être que l’Eglise doit choisir d’entrer par la porte étroite… ou exprimé autrement : l’Eglise est appelée à marcher à contre-courant dans le monde qui est le nôtre.
Mais qu’est-ce que cela signifie ?
Ça pourrait être de ne pas hurler avec les loups d’aujourd’hui : les loups de la finance, les loups de l’indifférence, les loups du protectionnisme, les loups du « chacun pour soi ».
Cela pourrait être un appel à vivre (pas seulement les prôner !) des valeurs qui ne sont plus à la mode: des valeurs d’entraide, de compassion, des valeurs d’amour, de justice, de pardon.
Cela pourrait signifier que chacunE de nous est appelé à marcher contre le courant actuel, contre la mode de la grande porte.
Mais ce n’est pas le chemin le plus facile. Jésus le dit : « Luttez pour entrer par la porte étroite ».
Il s’agit d’un combat, d’une lutte de chaque jour. Il s’agit de persévérance et d’endurance.
Alors quand un Conseil de Paroisse est installé, il s’agit de se montrer franc et honnête : notre engagement (au Conseil, mais aussi en tant que chrétien !) n’est pas anodin. Il n’est pas de tout repos.
Il s’agira parfois de passer par la porte étroite, de marcher à contre-courant.
Notre engagement sera teinté de découragement, il ne sera pas toujours compris. Nous ne serons pas constamment en adéquation avec nous-mêmes et avec les autres.
Jésus dit aussi que dans nos engagements, il y aura des surprises, des renversements (les derniers seront les premiers). Nous devrons revoir nos attentes en ce qui concerne le Royaume.
Il nous faudra nous ouvrir à des invités et des rencontres inattendues, bien plus larges que notre paroisse (de l’orient et de l’occident, du nord et du sud, v. 29).
Notre chemin à contre-courant devra peut-être passer par un dépouillement à l’image du destin du Christ.
Je vous le disais, ce texte est rude !
J’aimerais y apporter une note d’espérance ! Je vous relis le verset 22 : lire Luc 13, 22
Luc précise que Jésus marche vers Jérusalem et que sur ce chemin, il enseigne à ses disciples, aux gens qu’il rencontre.
- La marche indique un mouvement, rien n’est figé.
- En mentionnant Jérusalem, Luc rappelle que Jésus se dirige vers sa mort, un destin conforme au plan du salut voulu par Dieu pour tous les êtres humains.
- En parlant de l’enseignement de Jésus, l’Evangéliste nous rappelle que celui-ci est toujours d’actualité : il est destiné à interpeller, à susciter nos réactions et à nous inviter à nous engager dans la dynamique du Royaume en marche.
Dès lors, notre engagement n’est pas un risque calculé pour obtenir une récompense, mais une réponse à une Parole et à une vie, celle du Christ.
Notre réponse est aussi celle en faveur de la Vie avec un grand V, accompagnée et voulue par Dieu. (Cf. le chant « en marche vers l’Alliance ».
Amen