"La relation… un cadeau, une aventure ouverte à l’imprévisible et à la joie de la surprise", le 23 février 2020, Travers

Message de Véronique Tschanz A. selon textes bibliques: Psaume 103, 2-12+ 22 et Matthieu 5, 38-48

Je prends beaucoup le train ! Et il m’arrive parfois des petites aventures. Dernièrement, j’ai perdu mon porte-monnaie, avec l’ensemble de mes papiers et de l’argent. J’ai fait une déclaration de perte d’objet aux CFF qui m’ont signalé que mon porte-monnaie avait été retrouvé ! Ouf ! Mais en le récupérant, je me suis aperçue que l’argent avait disparu jusqu’au dernier centime !

Je l’avoue, après le soulagement d’avoir retrouvé mes papiers, j’ai eu ce sentiment de déception… l’argent avait été volé. Ça ne se fait pas ! Personnellement, je n’aurais pas eu l’idée de me servir ainsi.

Cette histoire vécue est banale. Dans notre vie quotidienne, ne nous arrive-t-il pas parfois d’être déçus des autres ?

Probablement que nous avons tous connu cette expérience : nous pensons pouvoir compter sur un ami. Puis un événement survient (une épreuve, un échec, une maladie) et nous constatons que cette personne n’a pas vraiment répondu à notre attente : aucun geste d’affection, d’amitié ne s’est produit,

Ma petite anecdote de porte-monnaie et ma déception m’a conduite à m’interroger sur ce que j’attends des autres, sur ce que j’espère lorsque se construit une relation avec autrui.

Bien sûr, nous avons tous besoin de reconnaissance, d’amour et d’amitié, mais, s’il nous arrive d’être déçus dans nos relations, n’est-ce pas parce que nous attendons de recevoir un jour en retour – sous une forme ou sous une autre – ce que nous avons nous-mêmes donné ?

Alors forcément… lorsque ce retour n’est pas au rendez-vous… nous éprouvons une certaine déception et même une certaine amertume. 

Dans le fond, une relation basée sur réciprocité est de type commercial : nous attendons une sorte de retour sur investissement.

Or, dans le passage de l’Evangile que nous avons entendu, Jésus nous invite à envisager toutes nos relations sur un autre mode : celui de la gratuité, sans calcul, sans penser à notre intérêt, mais d’abord à celui de l’autre.

Jésus nous propose un retournement complet de notre rapport à autrui : un changement de système, fondé sur l’amour parfait de Dieu, (décrit par David au Psaume 103 et dans l’Evangile de Matthieu.

  • Un Dieu qui distribue généreusement, gratuitement « son soleil sur les méchants et sur les bons et sa pluie sur les justes et les injustes » (cf. Mt 5, 45).

L’enjeu sous-jacent à cette nouvelle manière de voir les choses est de conduire mon vis-à-vis à un changement de regard, à un dépassement de son enfermement et même à un retournement de son hostilité.

Le pari de Jésus, c’est que l’amour peut changer les relations, transformer les individus et les groupes.

Pour changer le regard de l’autre, Jésus nous donne des indications : « A celui qui te gifle sur la joue droite, tends l’autre joue ; (…). Avec celui qui te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui ».

Selon Jésus, la meilleure justice se manifeste dans l’excès du don, ce qui peut faire sortir l’autre de la logique de la réciprocité.

Jésus préconise de sortir d’une logique centrée sur soi, pour prendre part à une nouvelle dimension de l’existence, plus large et plus ouverte, où l’autre n’est plus considéré comme un concurrent, mais où il devient un frère, un fils du même Père.

La seconde partie de notre passage nous livre le fondement théologique de ce nouveau système que Jésus nous invite à adopter (cf. Mt 5, 43-48) : « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? Les collecteurs d’impôts ne font-ils pas de même ?

Notre manière de réagir est généralement fondé sur le système de la loi du talion : « œil pour œil »… autrement dit : je donne de l’amour à   ceux qui m’aiment et je renvoie de la violence à ceux qui me sont hostiles.

Cette logique caractérise le comportement des païens et des collecteurs d’impôts. Mais Jésus appelle ses disciples à dépasser cette manière habituelle d’agir. Il nous invite à : « faire quelque chose « de plus » (v.47).

C’est cet « extra-ordinaire » – qui change tout : « Mais moi je vous dis : Aimez ceux qui vous traitent en ennemis et priez en faveur de ceux qui vous persécutent ».

Ce qui fonde cette attitude, c’est Dieu lui-même, c’est son amour sans limites, qui s’adresse à chacun de ses enfants, sans distinction. Les disciples du Christ sont donc invités à devenir les ambassadeurs – de leur Père céleste, en adoptant la même attitude que lui.

Ce n’est pas par nos propres forces, que nous pouvons adopter ce nouveau modèle, mais c’est en nous appuyant sur Dieu, sur notre relation à Lui.

Ce n’est pas un petit changement que Jésus nous invite à faire, mais une véritable révolution copernicienne qu’il nous invite à opérer.

Car s’enraciner en Dieu, vivre à son image, vivre de son amour gratuit et inconditionnel, c’est agir en rupture avec le monde, c’est sortir de nos logiques calculatrices.

Pour ce faire, Jésus nous invite à prendre l’initiative de l’amour, sans rien attendre en retour que le fait d’accomplir simplement notre vocation d’enfants de Dieu. Il nous demande ni plus ni moins d’agir comme Dieu agit envers nous.

Pour nous, ce n’est ni naturel, ni évident. Il s’agit plutôt de se laisser saisir, d’accepter d’entrer dans une dynamique, dans d’un processus de « devenir »  qui n’est jamais acquis une fois pour toutes.

Il s’agit de répandre l’amour autour de nous… dans l’excès, dans la créativité, dans l’audace et parfois dans l’illégalité (Cf. le procès du pasteur du Locle qui a accueilli un réfugié et qui est jugé pour cela).

Par contre, nous devons être très au clair sur le fait qu’il ne nous appartient pas de savoir ce que notre prochain fera de ce don, de cette marque d’amitié et de bonté.

Il y a là un risque, un pari. Celui qui prend l’initiative est placé devant la liberté de l’autre. Chacun est libre de donner ou de ne pas donner son amitié, de même que chacun est libre de répondre ou de ne pas répondre à l’amour de Dieu.

En ce sens, l’amour est comme la foi, il nous met face à un choix. Dieu espère que nous répondrons à son amour, dans la foi.

De même, nous espérons que notre prochain répondra à notre amitié.

Mais, rien ne peut le garantir. C’est en cela qu’il s’agit de grâce et de gratuité.

Et c’est parce qu’il existe cette heureuse incertitude que toute vraie relation est de l’ordre du don, d’une aventure ouverte à l’imprévisible, à la joie de la surprise, de la découverte et de l’inattendu. Amen.