Paraboles sur la vigilance

Cultes du samedi 9 août à Môtiers et du

dimanche 10 août 2025 à La Côte-aux-Fées

Lecture : Luc 12, 35-40

Les Évangiles évoquent parfois Dieu ou Jésus sous la forme d’un roi, d’un époux ou d’un riche maître qui, partant en voyage, confierait certaines tâches à ses serviteurs en attendant son retour.

Mais ici, surprise, c’est à l’irruption soudaine d’un voleur que Jésus compare la venue future du Fils de l’humain en ce jour dont Dieu seul connaît la date et l’heure !

Et ce voleur, à quoi pourrait-il s’en prendre : aux biens du propriétaire ? ou à la santé, voire à la vie de ses serviteurs ?

Comme je n’avais jamais jusqu’ici, en cinquante ans de ministère, eu l’occasion de consacrer une prédication à ce passage de l’évangile de Luc, j’ai cherché à savoir comment on l’interprète habituellement, et j’ai ainsi appris que, dans l’Église catholique notamment, il est souvent repris lors de funérailles pour souligner que la mort survient souvent de manière totalement imprévue et qu’il importe d’y être préparé en ayant accompli ce que le Seigneur attend de ses fidèles.

Cela est probablement dû au rapprochement avec une affirmation de l’apôtre Paul dans sa première lettre aux Chrétiens de Thessalonique :

‘Le jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit ; alors que les gens (se) diront : ‘Paix et sécurité !’, la destruction surviendra subitement sur eux à l’improviste comme les douleurs d’une femme enceinte, et ils n’y échapperont pas.’ (I Th. 5,2-3) 

Il est donc tout à fait légitime de comprendre ces paroles de Jésus comme un avertissement dans l’attente de notre mort et du jugement de Dieu sur la vie que nous aurons menée, sur nos actes et nos paroles : serons-nous, ce jour-là, comptés parmi les servantes et les serviteurs que le Maître, à son retour, accueillera au festin espéré ?

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Je pense pourtant que le message de Jésus ne concerne pas seulement le constat que la mort fait partie de notre avenir et qu’elle peut interrompre à n’importe quel moment le cours de nos jours et de nos activités.

D’ailleurs, si Jésus parle d’un voleur qui menacerait nos biens ou même notre vie, il parle aussi de la manière de s’habiller et de se mettre au travail comme serviteurs, puis d’un maître revenant d’une noce qui, autre surprise, se change et se met aussitôt à servir à son tour… ses serviteurs !

S’il y a donc bien dans ces lignes une ombre de menace et d’avertissement, – la crainte de quelque chose à perdre -, il y règne aussi et surtout une atmosphère de joie, de fête, de festin.

Nouer la ceinture sur les reins, écrit l’évangéliste, et tenir les lampes allumées.

Pour les gens de l’époque, cela voulait dire être prêts à se mettre en route et en action : comme on portait alors des vêtements amples et larges, il fallait, si on avait l’intention de se déplacer, bien serrer la ceinture pour que les habits restent en place et n’entravent pas le mouvement ; et il fallait aussi, pour éclairer le chemin lorsque le jour baissait, avoir des torches allumées.

Ce à quoi Jésus appelait ses disciples, ce n’était pas seulement à agir avant que la mort les surprenne, mais surtout à rester vigilants pour ne pas manquer les heures décisives, celles où le Maître les inviterait à la fête et leur donnerait leur part du festin annoncé.

C’est ainsi à notre vie présente, à notre quotidien, que Jésus invite à porter toute notre attention, non pas d’abord par peur de quelque menace qui planerait sur nous, mais pour ne rien perdre des signes de joie et de bénédiction dont il nous gratifie par sa présence, toujours imprévisible et surprenante, – présence, non d’un juge sévère, mais de celui qui arrive d’une fête de noces !

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Cela dit, pour que nous puissions porter pleinement notre attention à ces signes de Dieu, les paroles de Jésus nous donnent deux précieux conseils.

Le premier est de veiller à ne jamais nous assoupir sur nos certitudes et nos assurances acquises, mais à rester toujours en éveil, en mouvement et en recherche.

Lorsque tout semble aller au mieux pour nous dans un train-train paisible et confortable, une forme de paresse spirituelle nous guette, qui nous incite à fermer prudemment les yeux sur ce qui va mal autour de nous, – sur les malheurs qui frappent d’autres, nos semblables, au loin et parfois même pas loin de nous : maladies ou violences, injustices ou maltraitances…

Or, nous ne pouvons pas attendre ni espérer le Royaume de Dieu pour nous exclusivement, seuls, à l’écart et à l’abri du reste des humains qui sont, comme nous, enfants d’un même Père, – et ce d’autant plus que notre propre vie n’est pas à l’abri, demain, du malheur qui frappe d’autres aujourd’hui.

L’évangéliste Luc le souligne dans les paroles qui précèdent immédiatement notre texte : ‘Vendez vos avoirs et faites-en don par compassion ! Constituez-vous ainsi un trésor inaliénable dans les cieux, là où aucun voleur n’approche et où aucune vermine ne détruit !’

L’attention et la compassion envers autrui nous aident à ne pas nous endormir, à ne jamais baisser la garde ; elles nous préparent ainsi à faire face au malheur qui peut nous atteindre subitement, un jour futur, comme il en atteint d’autres aujourd’hui, plus ou moins près de nous.

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Le second conseil n’est pas sans lien avec le premier : il concerne l’image que nous nous faisons de Dieu ou de Jésus, image qui peut aussi relever d’une forme de paresse.

En lisant ces paroles de Jésus, j’ai été surpris et intrigué par le nombre et la diversité des images qu’elles associent à Dieu ou au Fils de l’humain, successivement comparés à un maître, à un homme qui revient d’une noce, puis à un maître qui endosse une tenue de travail et se met à servir ses serviteurs, … et enfin à un voleur qui survient à l’improviste, en pleine nuit !

Ne serait-ce pas là une incitation à ne pas nous en tenir à une unique image de Dieu ou de Jésus, – ou plutôt à ne pas les figer, à ne jamais nous faire d’eux une statue immuable de pierre, que ce soit celle d’un Surveillant céleste qui épierait et jugerait chacun de nos faits et gestes ou même chacune de nos pensées, ou au contraire celle d’un bon Père débordant de bienveillance, toujours prêt à tout accepter et à tout pardonner à ses enfants ; – que ce soit celle d’un Seigneur lointain qui nous laisserait nous débrouiller seuls dans nos difficultés et nos dilemmes avant de revenir soudainement et tout reprendre en mains, ou au contraire celle d’un Ami, compagnon fidèle qui nous accompagnerait jour après jour, de nuit comme en plein jour, pour nous soutenir dans nos épreuves et nos difficultés comme une ombre secourable, une voix de bon conseil…

Aucune de ces images n’est fausse, et nous en avons probablement, chacune et chacun, partagé plusieurs au fil de notre vie…  Je crois d’ailleurs qu’il est inévitable que nous nous fassions une image de Dieu ou de Jésus, comme nous en avons une aussi des êtres au cœur de notre vie.

L’important, c’est de ne pas nous y accrocher comme à une certitude ou à une vérité définitives, mais de nous laisser toujours encore surprendre par ce que Dieu ou Jésus peuvent faire d’inattendu dans notre vie, veillant à rester attentifs aux signes de leur passage : ils peuvent survenir aux jours de joie et de tranquillité comme aux heures plus sombres et éprouvantes.

Laissons à Dieu et à Jésus une place libre dans notre vie, dans notre foi et dans nos espérances : ils ne cessent de venir vers nous jusqu’en ce jour tant attendu où nous les verrons face-à-face !

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Ion Karakash