Un appel à tisser des liens de vie

Culte 4 mai 2025 à Couvet

Invitée Martine Robert

Prédication

De Martine Robert

Lecture Luc 5, 1-11

Je m’émerveille lorsque je vois des foules se déplacer ainsi pour écouter Jésus.

La Parole ne passe pas. C’est elle qui aujourd’hui encore nous rassemble, en la personne de Jésus le Christ, le Vivant, le Ressuscité.

Et je m’émerveille aussi à chaque fois, lorsque je vois les personnes arriver pour une célébration… Les équipes soignantes, les équipes d’animation se mobilisent et mettent tout en œuvre pour que les personnes puissent participer… chacune, chacun donne du sien et cela me touche beaucoup. Et en EMS, comme au Foyer Handicap d’ailleurs, il y a une soif, un besoin, une perception de Dieu. Ce phénomène des personnes qui arrivent, des soignants qui se mobilisent, ne cesse de se renouveler.

Du temps de Jésus les foules partaient au désert, d’autres fois elles traversaient la mer pour partir à sa recherche et l’écouter ; ici les voilà au bord du lac.

Les pêcheurs sont rentrés. Comme ils n’ont rien pêché, ils lavent juste leurs filets, pas besoin de les réparer. Ils entretiennent leur matériel pour pouvoir repartir.

Mais voilà que Jésus demande à aller dans une barque : s’éloigne-t-il pour ne pas être écrasé par celles et ceux qui l’entourent ? pour être mieux entendu, de plus de monde ?

Finalement c’est étrange de demander à parler depuis une barque : il y a de quoi avoir le mal de mer ! Jésus aurait pu obtenir le même genre de résultat en se faisant fabriquer une estrade ou en parlant depuis un rocher : cela aurait été beaucoup plus stable qu’une barque sur l’eau.

Mais non. Jésus s’invite, entre dans une barque, il demande à s’éloigner un peu du bord.

Dans la Bible, souvent, la mer représente les puissances du mal.

Elle engloutit les navires, personne ne peut la maîtriser. Elle fait peur, on peut mourir en mer. Et c’est de ce lieu de non-maîtrise, de cette place où l’on peut se perdre que Jésus demande à parler.

Jésus vient se placer à notre hauteur, là où nous vivons, travaillons ; là où ce qui fait mal peut nous assaillir, nous blesser. C’est là qu’il vient nous rejoindre, il ne vient pas juste apporter une parole d’en haut, une parole théorique.

Jésus s’assoit donc en mer sur la barque pour donner son enseignement et c’est de ce lieu de non-maîtrise où l’on peut se perdre, où l’on peut mourir, qu’il va parler et enseigner.

Aujourd’hui encore, Jésus demande à entrer dans notre barque comme il l’a fait pour Pierre. Il s’invite sur nos lieux de travail et de vie, dans nos maisons, nos foyers. Il reste près de nous lorsque nous sommes seul-e-s, il nous parle au cœur de nos situations quotidiennes.

Et de là, il nous demande d’avancer au large, en eau profonde, et de jeter les filets pour prendre du poisson. Malgré l’échec de la nuit, Pierre et ses compagnons lui font confiance. Le résultat est tellement extraordinaire qu’ils sont saisis d’effroi : « Éloigne-toi de moi, dit Pierre, je suis un homme pécheur. »

Mais Jésus le rassure : « Je ferai de toi un pécheur d’hommes. « 

Comme Pierre, nous aussi avons l’expérience de ces nuits pénibles et de ces matins désappointés où il faut nous résoudre à l’échec. Pourtant le Seigneur est toujours là pour nous redire : « Avance au large« . « Avance en eau profonde, va plus loin« …

Cette eau profonde peut être l’abîme de l’accident, de la maladie, du handicap. C’est l’abîme du découragement, de l’angoisse, de la solitude, de l’ennui. Mais au-delà de tout cela, l’eau profonde est aussi le lieu où je peux trouver de nouvelles ressources.

On dit parfois que c’est par la souffrance qu’on apprend vraiment, peut-être avez-vous déjà entendu ce genre de réflexion ??

J’ai toujours eu de la peine avec cette maxime ! car elle va totalement à l’encontre de ce que je perçois de l’amour de Dieu.

Ici dans notre texte ce n’est pas l’échec de sa pêche qui apprend quoi que ce soit à Simon. Ce qui le bouleverse complètement, ainsi que Pierre et ses compagnons, est précisément l’inverse : ils sont stupéfaits par l’incroyable abondance de cette prise, qui intervient à un moment où ils n’attendaient plus rien.

Si souvent dans les entretiens, je me sens impuissante face à la souffrance. Chacune, chacun de nous se trouve confronté-e-s à un moment ou à un autre, à des difficultés. Dans notre rôle d’aumônier, nous rencontrons la souffrance de manière très intense, très concentrée si je puis le dire ainsi, puisque nous sommes présent-e-s en institution dans des lieux où se jouent des éléments de vie particulier : le handicap, physique ou psychique, la vieillesse, la maladie, etc.

Il est vital de nous poser cette question, à titre personnel ou professionnel : de quelle spiritualité sommes-nous, suis-je, issu-e-s ? Quelles croyances sont les miennes par rapport à cet épisode de vie que je suis en train de traverser ? Est-ce que j’ai à réviser mes croyances, mes idées toutes faites sur la vie, sur Dieu ? les idées préconçues que j’ai sur moi ?

L’un de nos rôles en tant qu’aumônier est de mettre en lumière ce genre de questionnements, et de chercher avec la personne à sortir de la peur des jugements, des culpabilités qui enferment, d’un écrasement face à certaines choses.

Bien évidemment, nous vivons cela aussi dans nos questionnements personnels, entre ami-e-s.

Dans mes entretiens, si souvent je me dis : mais que peut-il se passer ? comment la personne va-t-elle trouver une issue à ce qui se passe, à ce qu’elle vit ? Il est presque toujours spectaculaire de voir à quel point une présence bienveillante, qui se veut non-jugeante, fait du bien, et permet un sourire, un soupir de soulagement, une diminution des douleurs, un lien avec des ressources qu’on avait oubliées ou qu’on ne se reconnaissait pas, ou plus. Dieu est proche de ceux qui ont le cœur brisé, nous disent les psaumes (ps 34), Dieu restaure la dignité, Dieu écoute la prière de celles et ceux qui s’adressent à lui.

Pour Simon et ses compagnons, la parole de Jésus aurait été rude, s’ils l’avaient entendue dans le sens : « Retourne dans cette nuit profonde avec tes filets vides, là où tu as connu l’échec, et recommence jusqu’à ce que tu réussisses… ».

Mais Jésus n’a pas dit à Simon « Retourne en arrière ! »

Il a dit : « Avance ! » Avance, il y a là, plus loin en eau profonde, une expérience nouvelle à vivre » … Je te le dis. Tu peux avancer. (cf Mille ans de fraternité, p. 22).

« N’aie pas peur. Désormais, ce sont des hommes que tu auras à capturer… à pêcher » …Le verbe utilisé est très rare, il contient en fait la racine d’un mot qui signifie vie. Nos traductions sont malheureusement parfois trop pauvres pour rendre cet aspect.

Il s’agit bel et bien de s’engager pour « prendre pour la vie » ! D’entrer dans de nouvelles relations. Et cela reste toujours possible, même lorsque les capacités cognitives s’en sont allées.

Cela n’a rien à voir avec le fait de prendre dans le sens de capturer pour enfermer dans un filet qui fait mourir.

Il s’agit de tout autre chose, il s’agit de tisser des liens autour de nous pour vivre des relations qui permettent la vie, la liberté, la dignité, le pardon, la réconciliation.

Cet appel s’adresse à chacune, chacun d’entre nous. Il s’adresse à l’église tout entière, à la paroisse, aux communautés que nous formons.

Cette abondance pêche miraculeuse va impliquer un grand retournement. Simon et ses compagnons ne voient plus Dieu de la même manière. Peut-être que pour la première fois ils découvrent à quel point Dieu est grand et bon – pourtant les psaumes le disent déjà depuis des centaines d’années ! Cela est tellement fort qu’ils découvrent aussi, et Simon Pierre en particulier, à quel point ils sont démunis et fragiles, petits dans leur capacité face à cette grandeur de Dieu. Ils ne vont plus jamais non plus pouvoir regarder les autres êtres humains de la même manière.

Leurs priorités changent radicalement. Ils laissent tout pour suivre le Christ.

Il est alors devenu vital d’oser aller plus loin, d’oser la rencontre, de s’ouvrir à l’inattendu, l’inespéré. « N’aie pas peur. Désormais, ce sont des hommes que tu auras à capturer… à pêcher » …

Nous ne sommes pas seuls. D’abord parce qu’il y a le Christ. Mais aussi parce qu’il est bon que nous soyons entourés. Vous souvenez-vous du texte qu’Anne-Pascale nous a lu ?

Il y avait une deuxième barque tout près. Oui, Jésus est monté dans l’une des barques, mais il y en avait d’autres et toutes sont importantes ! La preuve en est que Simon, Jacques et Jean ont dû les appeler à rescousse, il y avait tant de poisson à ramener !

Les échecs ? Dieu s’y invite !

Les succès ? L’aviez-vous remarqué ? la barque s’enfonce tellement le poids est lourd… elle ne peut plus avancer.

Que les temps d’échec ou la souffrance n’aient pas le dernier mot dans nos vies !

Mais aussi : que nos succès ne nous prennent pas la tête !

Ouvrons des espaces pour que le Christ puisse s’inviter dans chacune des barques de nos vies. Que Dieu nous donne de continuer d’avancer et de nous frayer un chemin là même où nous n’espérions même plus pouvoir aller, pour retrouver le goût de l’essentiel, les saveurs nouvelles de la vie, le sens profond de nos missions, qu’elles soient personnelles ou ecclésiales.

Et nous découvrons alors pourquoi il est juste de changer le titre de ce passage : plutôt que d’une pêche miraculeuse, il s’agit bel et bien d’un appel à suivre le Christ !!

Au-delà de ce qui est difficile, la bonté de Dieu, son amour inouï, sa générosité infinie, sa douceur, sa légèreté dans nos lourdeurs, nous transforment et nous guérissent.

En toute liberté, nous avançons vers les eaux profondes et nous connectons à l’amour de Dieu, à nos sources apparemment taries, qui se renouvellent. En eau profonde le calme revient. Les eaux agitées se reposent.

Peut-être avez-vous déjà vécu d’être comme entouré dans les bras réconfortants, revitalisants de Dieu. Rappelez-vous le psaume, la tempête s’est calmée, l’eau est devenue douce :

Il est un fleuve dont les bras répandent la joie dans la cité de Dieu,

dans la demeure réservée au Très-Haut.

Dieu est dans la cité, elle tiendra bon.

Amen

(Entre autres sources : Jean Compazieu, prédication, 7 février 2010 ; voir aussi Mille ans de fraternité, la vie au Grand-Saint-Bernard, textes de José Mittaz, 2010)