Esa\u00efe 6,1-13<\/p>\n
Luc 5,1-11<\/p>\n
\u00ab\u00a0Va dire \u00e0 ce peuple\u00a0\u00bb (Es 6,9) – Esa\u00efe re\u00e7oit un ordre de mission. Il doit transmettre un message.<\/p>\n
Des messages et des avertissements, nous en connaissons. Nous les formulons nous-m\u00eames aussi, ces avertissements.<\/p>\n
\u00ab\u00a0Si nous n\u2019y allons pas maintenant, il va \u00eatre trop tard.\u00a0\u00bb<\/p>\n
\u00ab\u00a0C\u2019est vraiment le moment de nous d\u00e9cider.\u00a0\u00bb<\/p>\n
\u00ab\u00a0Repentez-vous, ou il sera trop tard\u00a0!\u00a0\u00bb<\/p>\n
Ces phrases, vous les avez d\u00e9j\u00e0 entendues. Vous les avez peut-\u00eatre bien prononc\u00e9es vous-m\u00eame \u00e0 l\u2019occasion, comme \u00e7a ou sous d\u2019autres formes.<\/p>\n
Ces appels sont religieux ou possibles dans l\u2019Eglise, mais pas seulement. Les alarmes \u00e0 propos de l\u2019environnement ou de certains conflits dans le monde ressemblent un peu \u00e0 cet appel qui sonne aussi comme une menace\u00a0:<\/p>\n
\u00ab\u00a0Repentez-vous, ou il sera trop tard\u00a0!\u00a0\u00bb.<\/p>\n
Que voil\u00e0 un refrain connu.<\/p>\n
Vous vous souvenez peut-\u00eatre du proph\u00e8te Jonas qui est envoy\u00e9 \u00e0 Ninive, la grande ville, pour lui annoncer que la patience de Dieu est \u00e0 bout et que Ninive sera d\u00e9truite avec tous ses habitants. Pour les ninivites, cette annonce a sonn\u00e9 comme un fameux appel \u00e0 se repentir. Et pour eux, il n\u2019\u00e9tait pas trop tard. Ils ont \u00e9chapp\u00e9 \u00e0 la destruction suite \u00e0 leur conversion.<\/p>\n
Mais avec la vision d\u2019Esa\u00efe, c\u2019est fini\u00a0!<\/p>\n
\u00c7a ne marche plus\u00a0: il est d\u00e9j\u00e0 trop tard.<\/p>\n
La repentance\u00a0? Trop facile, Dieu n\u2019en veut pas\u2026 Dieu n\u2019a pas rang\u00e9 sa baguette magique, il l\u2019a cass\u00e9e. C\u2019est fini, il ne sera jamais le magicien qui arr\u00eate les cons\u00e9quences de nos folies\u2026<\/p>\n
\u00ab\u00a0Va dire \u00e0 ce peuple\u00a0\u00bb (Es 6,9)<\/p>\n
L\u2019ordre de mission que re\u00e7oit Esa\u00efe a un c\u00f4t\u00e9 effrayant\u00a0: \u00ab\u00a0Rends-les donc insensibles, durs d\u2019oreille et aveugles\u00a0; emp\u00eache leurs yeux de voir, leurs oreilles d\u2019entendre et leur intelligence de comprendre\u00a0\u00bb. Et ce n\u2019est pas tout\u00a0! Le Seigneur ajoute m\u00eame\u00a0: \u00ab\u00a0sinon ils reviendraient \u00e0 moi et ils seraient gu\u00e9ris.\u00a0\u00bb (Es 6,9)<\/p>\n
Dieu ne vient pas redresser les aspects tordus des humains. Ici, il vient porter son jugement et faire place nette. S\u2019il y a quelque chose \u00e0 faire entre Dieu et l\u2019humanit\u00e9, cela sera avec d\u2019autres. Ceux-ci ont \u00e9chou\u00e9.<\/p>\n
Si Dieu n\u2019est pas l\u00e0 pour nous \u00e9viter les catastrophes qu\u2019engendrent haines, ambitions, pr\u00e9jug\u00e9s et autres, qu\u2019est-il donc\u00a0?<\/p>\n
Et si nous n\u2019avons plus de porte de sortie, de repentance possible pour \u00e9viter le jugement, que nous reste-t-il\u00a0? Pas le d\u00e9sespoir, ce serait trop\u2026 facile\u00a0! Alors\u00a0?<\/p>\n
Quand il est trop tard, on peut encore le dire. \u00c7a n\u2019est pas utile, \u00e7a ne pourra pas susciter de changement puisque la fin est l\u00e0. \u00c7a n\u2019apporte ni baume ni consolation, \u00e7a n\u2019assure aucune protection.<\/p>\n
On peut dire la v\u00e9rit\u00e9 sur ce qui arrive, parce que c\u2019est la seule chose qui reste \u00e0 faire \u2013 et aussi parce que c\u2019est, justement, la v\u00e9rit\u00e9.<\/p>\n
Il y a bien des situations dans notre monde o\u00f9 l\u2019on peut poser ce regard de v\u00e9rit\u00e9. Trop tard pour la Syrie, un pays mourant dans la violence de la guerre civile. Trop tard pour le Mali o\u00f9 l\u00e0 aussi, la violence arm\u00e9e et meurtri\u00e8re est install\u00e9e. Trop tard pour bien des r\u00e9gions du monde o\u00f9 la s\u00e9curit\u00e9 alimentaire n\u2019est pas assur\u00e9e. Trop tard pour le conflit li\u00e9 \u00e0 l\u2019avenir de l\u2019H\u00f4pital de la Providence \u2013 certaines blessures subies ces derni\u00e8res semaines ne se refermeront pas. Trop tard pour certaines atteintes \u00e0 l\u2019environnement \u2013 nos habitudes de consommation sont tellement bien ancr\u00e9es que nous n\u2019allons pas les changer, m\u00eame pour pr\u00e9server notre existence. Trop tard pour certaines choses que nous avons subies dans nos vies. Nous n\u2019en gu\u00e9rirons pas. Nous devons vivre avec.<\/p>\n
Quand le proph\u00e8te Jonas avait dit \u00ab\u00a0trop tard, votre ville sera d\u00e9truite\u00a0\u00bb, le r\u00e9cit a montr\u00e9 qu\u2019une forme d\u2019\u00e9lectrochoc a pu avoir lieu. Cette annonce a retourn\u00e9 les habitants et ils ont pu prendre en main leur destin et retourner aussi leur situation.<\/p>\n
Mais aujourd\u2019hui, peut-\u00eatre que les mots \u00ab\u00a0trop tard\u00a0\u00bb eux-m\u00eames n\u2019ont plus de sens. Et peut-\u00eatre faut-il, comme Esa\u00efe, r\u00e9ussir \u00e0 dire la v\u00e9rit\u00e9 autrement.<\/p>\n
Les deux phrases \u00ab\u00a0Il sera trop tard\u00a0\u00bb et \u00ab\u00a0Il est d\u00e9j\u00e0 trop tard\u00a0\u00bb sont renvoy\u00e9es dos \u00e0 dos. Les deux expressions prennent le m\u00eame sens pour Esa\u00efe. Ou en tout cas, elles produisent le m\u00eame effet.<\/p>\n
Dans le climat d\u2019angoisse qui est le n\u00f4tre, l\u2019esp\u00e9rance et la fid\u00e9lit\u00e9 \u00e9touffent, \u00e9cras\u00e9es sous l\u2019impuissance.<\/p>\n
Trop tard ou presque trop tard, qu\u2019importe\u00a0?<\/p>\n
L\u2019envie d\u2019agir a disparu.<\/p>\n
Il nous semble que nous ne pouvons plus rien y faire. Le monde est dans un tel \u00e9tat et les puissances qui le gouvernent sont si fortes qu\u2019on ne peut pas changer les choses par notre indignation ou par notre action.<\/p>\n
Et si on s\u2019en fichait, une fois, des d\u00e9lais et des ultimatums\u00a0? Si j\u2019agis aujourd\u2019hui, ce n\u2019est pas parce que c\u2019est \u00ab\u00a0juste pas trop tard\u00a0\u00bb, c\u2019est parce que la v\u00e9rit\u00e9 a besoin de moi. V\u00e9rit\u00e9 de l\u2019amour de Dieu. En \u00eatre t\u00e9moin et acteur, actrice, en-dehors de toute menace, de tout compte \u00e0 rebours.<\/p>\n
\u00ab\u00a0Va dire \u00e0 ce peuple\u00a0\u00bb (Es 6,9)<\/p>\n
Ce n\u2019est pas par peur que j\u2019agis, c\u2019est pour proclamer la pr\u00e9sence du Seigneur dans le monde.<\/p>\n
Dans ce que doit proclamer Esa\u00efe, la destruction est totale.<\/p>\n
L\u2019arbre n\u2019est pas malade. Il est abattu. Si des rejetons poussent de la souche, ils doivent \u00eatre coup\u00e9s et jet\u00e9s au feu\u00a0! La catastrophe est compl\u00e8te. Ce n\u2019est qu\u2019une fois la catastrophe consomm\u00e9e et consum\u00e9e que la promesse intervient. Ce sont les derniers mots du texte\u00a0: \u00ab\u00a0cette souche est le gage divin d\u2019un nouveau commencement.\u00a0\u00bb<\/p>\n
\u00ab\u00a0Va dire \u00e0 ce peuple\u00a0: Vous aurez beau \u00e9couter, vous n\u2019entendrez pas. Vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas.\u00a0\u00bb (Es 6,9)<\/p>\n
Il n\u2019y a pas pour Esa\u00efe et son peuple le moyen de se dire \u00ab\u00a0ouf, ce n\u2019est pas si grave\u00a0!\u00a0\u00bb.<\/p>\n
C\u2019est grave, oui. Et dans cette gravit\u00e9 sans appel, nous sommes lib\u00e9r\u00e9s d\u2019un poids dont nous avons pris l\u2019habitude de nous charger\u00a0: ce n\u2019est pas \u00e0 nous d\u2019\u00e9viter la catastrophe. Ce n\u2019est pas \u00e0 nous de sauver le monde. Ce n\u2019est pas \u00e0 nous d\u2019\u00eatre \u00e9cras\u00e9s sous ce souci-l\u00e0. Dans le texte d\u2019aujourd\u2019hui, le proph\u00e8te est m\u00eame engag\u00e9 pour autre chose. Il ne doit pas redresser la situation du mal dans son monde. Il doit rendre ses interlocuteurs insensibles, durs d\u2019oreille et aveugles\u00a0! Autant dire que le proph\u00e8te lui-m\u00eame n\u2019y comprend plus rien dans une situation pareille. Il est lui-m\u00eame inclus dans ce peuple qui subit la catastrophe et qui n\u2019y comprend plus rien.<\/p>\n
Nous, avec Esa\u00efe, restons attach\u00e9s \u00e0 la v\u00e9rit\u00e9 et \u00e0 ce qu\u2019elle peut produire en nous et entre nous.<\/p>\n
Il ne nous reste que les termes de la vision du d\u00e9but du texte.<\/p>\n
Il ne reste que les mots de la louange, ces mots qui reconnaissent la saintet\u00e9 du Seigneur, ces mots qui reconnaissent la juste place de Dieu\u00a0:<\/p>\n
\u00ab\u00a0Saint, saint, saint, le Seigneur de l\u2019univers\u00a0! La terre enti\u00e8re est remplie de sa glorieuse pr\u00e9sence.\u00a0\u00bb (Es 6,3)<\/p>\n
Nous le chanterons tout \u00e0 l\u2019heure en pr\u00e9parant la Sainte C\u00e8ne. Nous le chanterons aussi demain et ces prochains dimanche.<\/p>\n
Il y a la v\u00e9rit\u00e9 de la d\u00e9tresse et du malheur de l\u2019humanit\u00e9. C\u2019est une d\u00e9tresse qu\u2019elle subit. C\u2019est aussi un mal qu\u2019elle provoque et qu\u2019elle cr\u00e9e.<\/p>\n
En chantant dans nos c\u00e9l\u00e9brations \u00ab\u00a0Saint, saint, saint, le Seigneur de l\u2019univers\u00a0!\u00a0\u00bb, nous affirmons que la v\u00e9rit\u00e9 du mal et du malheur n\u2019est pas la seule. Nous affirmons la v\u00e9rit\u00e9 de la saintet\u00e9 de Dieu qui, m\u00eame quand il est trop tard, peut encore \u00eatre dite.<\/p>\n
Il est trop tard. Nous avons jet\u00e9 nos filets toute la nuit et nous n\u2019avons rien pris. Il est trop tard. Jetons encore le filet.<\/p>\n
Amen.<\/p>\n
David Allisson<\/i><\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"