Ne jetez pas la pierre à la femme adultère : je suis derrière – 20 mars 2022

Ne jetez pas la pierre à la femme adultère : je suis derrière.

C’est Georges Brassens qui chantait cela. Georges Brassens qui, nous l’avons tous en mémoire, n’en ratait pas une dès lors qu’il s’agissait de pourfendre les croquantes et les croquants, les braves gens qui n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux. 

Brassens est l’auteur de textes magnifiques, drôles, grinçants, où il se place dans la position du mauvais garçon. Et s’il est ici derrière la femme adultère, ce n’est pas tant pour voler à son secours, que pour éviter d’avoir les même ennuis qu’elle : parce que dans cette chanson, il est en fait son amant.

 

Mais il est bien le seul à se revendiquer tel, parce que l’amant, dans l’histoire que rapporte l’évangile de Jean, c’est le grand absent. Le grand absent de cette cour de temple où, avec une foule nombreuse, se trouvent des légistes, des pharisiens, Jésus lui-même, et au plein centre de la scène, une femme surprise en flagrant délit d’adultère.

Mais d’amant, que nenni. Pourtant un délit d’adultère requiert deux participants : c’est un minimum.

Alors soit l’amant avait de bonnes jambes qu’il a prises à son cou, soit ses poursuivants étaient boiteux. J’aurais tendance à pencher pour la seconde hypothèse, parce qu’il y a effectivement quelque chose de boiteux dans cette affaire.

 

Il y a une femme placée au coeur des débats : une personne qui doit assumer seule les conséquences d’une faute qu’en tout état de cause elle n’a pas commise toute seule.

Il y a au plein centre de ce texte une figure humaine à qui d’autres humains veulent appliquer une justice boiteuse, un dispositif incomplet qui punit durement les uns tandis qu’il laisse courir les autres. 

 

Mais est-ce que c’est vraiment de justice que se préoccupent les légistes et les pharisiens de ce temps ? Est-ce que c’est véritablement pour tenter de l’établir au mieux qu’ils s’en viennent trouver Jésus ? 

Qu’ils s’adressent à lui en lui donnant du maître par-ci, maître par-là, ainsi qu’on désigne respectueusement un avocat, soit. Mais de leurs obséquieuses politesses, l’évangile de Jean n’en croit pas un mot. Et il le dit : c’est pour piéger Jésus qu’ils viennent avec leur question. 

Le principe d’une question piège, c’est toujours le même. On sait d’avance que celui à qui elle est posée ne peut donner qu’une seule réponse ; et qu’une fois qu’il l’a donnée, il est pris dans d’énormes et inextricables contradictions

 
 

Et donc cette femme prise en flagrant délit d’adultère, la loi de Moïse nous ordonne de la lapider : toi, Jésus, qu’en dis-tu ?  

Mais ces gens imaginent parfaitement ce que Jésus en dira. 

Ils sont très au courant que le message de Jésus rencontre un large écho auprès de ceux que leur morale réprouve ; qu’il s’adresse volontiers aux petits, aux réprouvés, aux malades et, cela tombe bien parce qu’ils en ont une sous la main, aux femmes de mauvaise réputation.

Si Jésus condamne une telle femme, il trahit ceux que son message libère, et il n’est alors qu’un légiste répressif, un pharisien de plus. 

Mais si, comme ils s’y attendent, il la défend, c’est contre la loi de Moïse que Jésus s’élève. Et la loi c’est la loi, gravée sur les tables de pierre par le doigt de Dieu. On ne se dresse pas contre la loi de Dieu. C’est là que les légistes et les pharisiens veulent prendre Jésus en défaut ; le faire tomber comme faux prophète, hérétique, parce que ses propos iront contre ce qui est sacrosaint, intouchable.

Alors ils les attendent ces mots de Jésus, comme on attend les élucubrations d’un fou qui se prend pour Dieu, justement pour démontrer qu’il est fou dangereux et qu’il doit être écarté.

Mais Jésus ne dit rien, d’abord ; pas fou du tout !

 

Et plutôt que se dresser, il fait tout le contraire, il se baisse et –dit le texte- avec son doigt écrit sur la terre. Enfin sur la terre : sur le sol du temple qui devait probablement être constitué d’un dallage recouvert d’un peu de sable et de poussière.

Peut-être prend-il le temps de la réflexion, certainement aussi, par son attitude, transfert-t-il les regards hostiles portés à la femme sur sa propre personne.

Mais qu’a-t-il écrit ? Aurait-il noté quelques versets de la bible qui temporisent les passages de la loi qu’on lui balance à la face pour justifier des pierres qu’on jettera plus tard. Parce que cela nous savons faire : certes il est écrit ceci, mais dans tel autre verset, on peut comprendre autrement, c’est une question de contexte, de virgule et d’accent, de ce qui nous arrange.  

On ne sait pas ici ce que Jésus écrit : Jésus n’a laissé aucun écrit de sa main. De paroles que les évangélistes ont transcrit oui, mais un texte écrit que nous pourrions sacraliser, non, aucun. 

Mais le geste est là, et il ramène au geste de Dieu écrivant, sur les tables de pierre, la loi de Moïse, celle-là justement que légistes et pharisiens entendent figer jusque dans la dureté des pierres qu’ils tiennent en main.

 

Loin de se dresser contre la loi de Moïse, Jésus la rappelle, dans son essence, dans son origine vivante.

Jésus, de son doigt, écrit dans la poussière, dans la terre : dans ce matériau dont est pétri l’être humain, pour le dire comme le premier livre de Moïse. 

Jésus ne fait que de leur rappelé Moïse. Toujours Moïse. Mais est-ce qu’on se souvient de ce que Moïse a commencé par faire avec les Tables de la loi ? 

Il les a brisées. Non pas qu’elles lui aient glissé des mains : il les a fracassées, de colère, de dépit, devant ces gens à qui elles étaient destinées et qui ne faisaient que courir après leur veau d’or (Exode 32.19). 

Dieu va redonner des tables à Moïse pour qu’il reste avec son peuple, pour qu’il vive avec lui. Moïse restera, vieillira au milieu d’eux. Et nous l’entendons leur dire, dans ce passage du Deutéronome, où à la toute fin de sa vie il pose comme un pari : « voici je mets devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction : choisi la vie pour que tu vives ». (Deutéronome 30, 19). Au-delà des colères et des dépits, Moïse intègre le fait que la loi de Dieu s’inscrit dans la vie, et pour la vie. 

 

Alors Jésus maintenant se redresse, se dresse contre les pulsions de mort de ceux qui condamnent. Et c’est cette phrase cinglante que nous avons tous en mémoire : que celui qui est sans péché jette la première pierre.

Alors là évidemment…

Tous se retirèrent. Il faut leur laisser cette honnêteté-là que d’avoir eu conscience de leur propre insuffisance et d’en avoir tiré les conséquences.

L’évangile de Jean note ce détail : tous, en commençant par les plus vieux jusqu’au derniers se retirèrent. 

Comme si la liste des péchés additionnés s’allongeait immanquablement avec les années, ou plutôt qu’avec l’âge, l’urgence de se départir de ses illusions se faisait plus pressante.

Alors il ne reste plus personne : que la femme avec Jésus. Et c’est curieux parce que le texte dit qu’elle est toujours au milieu. Mais au milieu de quoi, de qui ? D’une cour de justice vide que recouvre une fine couche de poussière ! 

Mais c’est que désormais, même la poussière porte les signes de pardon que le doigt du Christ a tracé. 

 

L’évangile garde cette femme adultère au centre, parce qu’au centre de l’évangile, il y a toujours la personne humaine que Jésus-Christ ne condamne pas mais libère de son péché. Du péché au sens premier du verbe qui signifie rater, bousiller sa relation avec Dieu et avec les autres. Et pour ce qui est de bousiller une relation, l’adultère en est l’exemple type.  

C’est à toute personne humaine que Jésus-Christ dit, « je ne te condamne pas, va et ne pèche plus ». 

Et c’est à chacun de nous de l’entendre ce « va et ne pèche plus ». De l’entendre pour ne plus passer à côté de sa vie, pour ne plus rater les occasions de pardons qu’elle offre. Pour aimer toujours plus. 

Et tant qu’à faire, et parce que c’est déjà la loi de Moïse, choisir la vie, pour nous puissions vivre, nous et tous ceux qui viennent à notre suite.

 

Yves-Alain Leuba 20.03.2022

Jean 8, versets 1 à 11

1 Jésus se rendit au mont des Oliviers. 2 Mais dès le matin il revint dans le temple et tout le peuple s’approcha de lui. Il s’assit et se mit à les enseigner. 3 Alors les spécialistes de la loi et les pharisiens amenèrent une femme surprise en train de commettre un adultère. Ils la placèrent au milieu de la foule 4 et dirent à Jésus: «Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. 5 Moïse, dans la loi, nous a ordonné de lapider de telles femmes. Et toi, que dis-tu?» 6 Ils disaient cela pour lui tendre un piège, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus se baissa et se mit à écrire avec le doigt sur le sol. 7 Comme ils continuaient à l’interroger, il se redressa et leur dit: «Que celui d’entre vous qui est sans péché jette le premier la pierre contre elle.» 8 Puis il se baissa de nouveau et se remit à écrire sur le sol. 9 Quand ils entendirent cela, accusés par leur conscience ils se retirèrent un à un, à commencer par les plus âgés et jusqu’aux derniers; Jésus resta seul avec la femme qui était là au milieu. 10 Alors il se redressa et, ne voyant plus qu’elle, il lui dit: «Femme, où sont ceux qui t’accusaient? Personne ne t’a donc condamnée?» 11 Elle répondit: «Personne, Seigneur.» Jésus lui dit: «Moi non plus, je ne te condamne pas; vas-y et désormais ne pèche plus.»]