Esaïe 9:1-2

Méditorial Jérôme Grandet
Paru dans la pive m°147

Mais les ténèbres ne régneront pas toujours sur la terre où il y a maintenant des angoisses : si les temps passés ont couvert d’opprobre le pays de Zabulon et le pays de Nephthali, les temps à venir couvriront de gloire la contrée voisine de la mer, au-delà du Jourdain, le territoire des Gentils. Le peuple qui marchait dans les ténèbres voit une grande lumière ; sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre de la mort une lumière resplendit.

Esaïe 9, 1-2 

Il y a dans la nuit de Noël quelque chose de profondément inattendu. Une naissance, dans un lieu qui n’est pas prévu pour cela. Une lumière, là où personne ne l’aurait cherchée. Pas dans les palais, ni dans les temples, ni dans les discours bien réglés, mais dans une étable, au cœur d’un monde en désordre.

Tout le récit de Noël est une contestation silencieuse. Là où le pouvoir bâtit des forteresses, la vie choisit la fragilité. Là où l’ordre veut tout maîtriser, un cri d’enfant vient déranger le silence. Cette lumière ne s’impose pas : elle s’offre. Elle ne vient pas éclairer les puissants, mais rendre visibles ceux qu’on ne regarde pas.

Matthieu dira : « Le peuple qui habitait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière. » Ce peuple, ce n’est pas celui qui règne, mais celui qui survit, espère encore, aime malgré tout. Ceux qui marchent sans savoir où mène la route, mais qui continuent d’avancer parce que le vivant les traverse encore.

Noël n’est donc pas la promesse d’un monde parfait, ni la célébration d’un monde idéal.  C’est l’annonce discrète qu’un autre monde est possible, pour autant que l’on accepte de « changer de regard », et qu’il commence chaque fois que quelqu’un choisit d’aimer plutôt que de dominer, de tendre la main plutôt que de juger, de s’ouvrir plutôt que de se protéger.

Il n’y a pas besoin de croire à des miracles pour entendre cela. Il suffit d’avoir déjà vu une lumière surgir dans sa propre nuit : une rencontre, un mot, un regard, quelque chose d’infiniment petit et pourtant bouleversant. Quelque chose que la raison ne peut pas démentir, et qui l’espace d’un instant la dépasse pourtant.

Le message de Noël, pour moi, c’est cela : la vie ne cesse de naître, même au cœur du chaos. Et la lumière ne vient jamais de là où on la programme. Elle vient des marges, des crèches improbables, des gestes gratuits, des visages fatigués qui continuent d’espérer.

Et ce message se matérialise dans un appel : plutôt que d’attendre que la lumière descende du ciel, nous pouvons apprendre à la laisser naître en nous, dans nos relations, dans nos fragilités, là où elle n’est pas attendue. Car c’est toujours là que Noël recommence : dans l’humble résistance de la tendresse, dans la clarté fragile d’une humanité qui refuse de s’éteindre.