Ne vous inquiétez pas !

Prédication lors du culte du 4 février 2024 à la Collégiale de Neuchâtel, avec Ysabelle de Salis, pasteure.

Textes bibliques : 1Rois 17,8-16 et Évangile de Matthieu 6, 24-34

8 Alors l’Eternel lui adressa la parole en ces termes: 9 Mets-toi en route et va à Sarepta, dans le pays de Sidon, et installe-toi là-bas. J’ai ordonné à une veuve de là-bas de pourvoir à ta nourriture. 10 Elie se mit donc en route et se rendit à Sarepta. Lorsqu’il arriva à l’entrée de la ville, il aperçut une veuve qui ramassait du bois. Il l’appela et lui dit: S’il te plaît, va me puiser un peu d’eau dans une cruche pour que je puisse boire. 11 Comme elle partait en chercher, il la rappela pour lui demander: S’il te plaît, apporte-moi aussi un morceau de pain. 12 Mais elle lui répondit: Aussi vrai que l’Eternel, ton Dieu, est vivant, je n’ai pas le moindre morceau de pain chez moi. Il me reste tout juste une poignée de farine dans un pot, et un peu d’huile dans une jarre. J’étais en train de ramasser deux bouts de bois. Je vais rentrer et préparer ce qui me reste pour moi et pour mon fils. Quand nous l’aurons mangé, nous n’aurons plus qu’à attendre la mort. 13 Elie reprit: Sois sans crainte, rentre, fais ce que tu as dit. Seulement, prépare-moi d’abord, avec ce que tu as, une petite miche de pain et apporte-la moi; ensuite, tu en feras pour toi et pour ton fils. 14 Car voici ce que déclare l’Eternel, le Dieu d’Israël: « Le pot de farine ne se videra pas, et la jarre d’huile non plus, jusqu’au jour où l’Eternel fera pleuvoir sur le pays. » 15 La femme partit et fit ce qu’Elie lui avait demandé. Pendant longtemps, elle eut de quoi manger, elle et sa famille ainsi qu’Elie. 16 Le pot de farine ne se vida pas et la jarre d’huile non plus, conformément à la parole que l’Eternel avait prononcée par l’intermédiaire d’Elie.

Premier livre des Rois 17, 8-16

24 Nul ne peut être en même temps au service de deux maîtres, car ou bien il détestera l’un et aimera l’autre, ou bien il sera dévoué au premier et méprisera le second. Vous ne pouvez pas servir en même temps Dieu et l’Argent. 25 C’est pourquoi je vous dis: ne vous inquiétez pas en vous demandant: « Qu’allons-nous manger ou boire? Avec quoi allons-nous nous habiller? » La vie ne vaut-elle pas bien plus que la nourriture? Et le corps ne vaut-il pas bien plus que les vêtements? 26 Voyez ces oiseaux qui volent dans le ciel, ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n’amassent pas de provisions dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit. N’avez-vous pas bien plus de valeur qu’eux? 27 D’ailleurs, qui de vous peut, à force d’inquiétude, prolonger son existence, ne serait-ce que de quelques instants[8]? 28 Quant aux vêtements, pourquoi vous inquiéter à leur sujet? Observez les lis sauvages! Ils poussent sans se fatiguer à tisser des vêtements. 29 Pourtant, je vous l’assure, le roi Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’a jamais été aussi bien vêtu que l’un d’eux! 30 Si Dieu habille ainsi cette petite plante des champs qui est là aujourd’hui et qui demain sera jetée au feu, à plus forte raison ne vous vêtira-t-il pas vous-mêmes? Ah, votre foi est bien petite! 31 Ne vous inquiétez donc pas et ne dites pas: « Que mangerons-nous? » ou « Que boirons-nous? » ou « Avec quoi nous habillerons-nous? » 32 Toutes ces choses, les païens s’en préoccupent sans cesse. Mais votre Père, qui est aux cieux, sait que vous en avez besoin. 33 Faites donc du royaume de Dieu[9] et de ce qui est juste à ses yeux votre préoccupation première, et toutes ces choses vous seront données en plus. 34 Ne vous inquiétez pas pour le lendemain; le lendemain se souciera de lui-même. A chaque jour suffit sa peine.

Évangile de Matthieu 6, 24-34

Chers Amis, chères sœurs et chers frères en Christ,

Vivre l’instant… Impossible !

Procédons à un petit sondage, si vous le voulez bien : combien parmi nous ne se font aucun – mais vraiment aucun – souci pour l’avenir ? Qui applique parfaitement cette exhortation du Christ à ne pas s’inquiéter de sa vie ? Qui a fait de ces mots « À chaque jour suffit sa peine » sa philosophie de vie et l’applique sans faillir ni faiblir ?

Je ne crois pas beaucoup me tromper en disant que nous vivons rarement pleinement le moment présent. Ne sommes-nous pas des experts de l’anticipation, de l’organisation, de la projection ? Que ce soit dans notre vie personnelle et professionnelle, nous avons besoin de prévoir les choses, de noter les rendez-vous à venir, d’entourer des échéances importantes dans l’agenda déjà bien rempli, de penser aux courses de la semaine, de réserver ses vacances d’été, de peut-être même commencer à se demander où et avec qui nous fêterons Noël cette année. Même, notre vie d’église n’échappe pas à la règle : d’une main, nous élevons et proclamons l’aujourd’hui de la foi et de l’autre nous nous projetons déjà dans les engagements à venir.

Toute cette projection vers l’avenir génère de l’inquiétude, de l’anxiété, du stress voire du burnout. Et en réponse, on ne cesse d’entendre comme un mantra qu’il faut ralentir ! Qu’il faut prendre son temps ! Facile à écrire, facile à entendre, n’est-ce pas : prendre son temps, vivre le moment présent.

Certes, mais combien de fois avons-nous profité vraiment de l’instant présent ? Peut-être « juste » le temps d’une méditation ou d’une prière… Et, ce n’est pas si mal, c’est déjà un bon début. Mais, voici que la course du temps nous rattrape et qu’il faut penser à… tant de choses.

« Ne vous inquiétez pas du lendemain. » Ces paroles que le Christ adresse à ses auditeurs, et à nous ce matin, ont quelque chose de l’idéal qui touche à impossible dans la réalité, me semble-t-il. Nous pouvons bien sûr y adhérer en partie, essayer de faire au mieux, de s’accommoder, de faire avec d’un côté nos obligations et de l’autre nos envies, conscients de nos limites et s’en contenter. Mais répondre parfaitement à l’exhortation de Jésus, c’est bien plus que compliqué. 

Tâcher de faire au mieux, est-ce une réponse satisfaisante ? Nous l’avons déjà remarqué à maintes reprises, Jésus n’appelle pas à la demi-mesure. Avec lui, c’est tout ou rien, il le martèle d’ailleurs ici : « on ne peut pas servir deux maîtres à la fois, Dieu et l’argent… Ou bien on haïra l’un et on aimera l’autre, ou bien on s’attachera à l’un et on méprisera l’autre ». Le temps et l’argent sont bien plus souvent de mauvais maîtres que de bons serviteurs.

Si vous fréquentez les librairies, vous avez sans doute constaté, tout comme moi, le nombre croissant de livres qui invitent à reprendre le contrôle sa vie, à s’organiser pour ne plus être débordé, à retrouver une pleine conscience de l’instant présent. Et chacun y va de sa méthode, la meilleure évidemment, qui nous libérera enfin de toute la pression des obligations et saura aérer nos emplois du temps. Le but plus ou moins affiché est de redevenir maître de sa vie plutôt qu’esclave du temps qui file.

Un enseignement à suivre

Jésus, lui, n’a rien écrit, nous le savons. Mais, il a illustré ses enseignements par la nature qui l’entourait. C’était un bon moyen de toucher ses auditeurs. Et c’est un bon moyen de nous interpeller à notre tour aujourd’hui encore. En parlant des soucis et des inquiétudes de l’existence humaine, il appelle à lever les yeux vers les oiseaux du ciel « qui ne sèment ni ne moissonnent » ou à s’arrêter pour observer les fleurs des champs « qui ne peinent ni ne filent »Mt 6,26-28. Et j’avoue que je les envie parfois, ces oiseaux, ces fleurs. Ils et elles ont la belle vie !

Mais, Jésus ne nous souhaite pas une belle vie faite d’insouciance. Il n’appelle pas à regarder naïvement les beautés de la création et s’en contenter. Il affirme que la nature nous dit quelque chose de Dieu et du soin qu’il prend de chacune de ses créatures, même les plus petites.

Dieu sait ce dont chacun-e a besoin, et par conséquent, il appelle à la confiance : « Ne vous inquiétez pas… » C’est beau, mais comment vivre cette confiance, cette foi, dans la réalité du quotidien ?

L’urgence de l’aujourd’hui

En méditant les textes proposés ce matin, je ne peux m’empêcher de penser aux visiteuses et visiteurs de la Lanterne que nous accueillons. En pensant à elles et à eux, je reconnais en certains d’entre eux la veuve de Sarepta, qui était dans la survie de l’aujourd’hui : « je préparerai ces aliments pour moi et mon fils – dit-elle au prophète – Nous les mangerons puis nous mourrons. »1R 17.12 Et je reste à moitié convaincu de la réponse du prophète Elie : ni le pot ni la jarre ne se videront avant que le Seigneur ait mis fin à la sécheresse1R17,14. Confiance en ce Dieu qui pourvoit, oui. Mais est-ce audible dans l’urgence du besoin ? 

Nos amis de la rue et de la Lanterne s’inquiètent pour la nourriture et le vêtement, avec souvent ce même sentiment d’urgence.  « Que vais-je manger aujourd’hui ? » est une préoccupation de chaque jour pour certains d’entre eux. « De quoi vais-je me vêtir ? » devient une question « brûlante », si je puis dire, lorsque la saison froide arrive et que le portemonnaie est presque vide. Et nous qui accueillons à la Lanterne, nous ne pouvons pas juste répondre « Ne t’inquiète pas, Dieu sait ce dont tu as besoin ! Aie confiance ! »  Nous avons à donner une aide concrète : un bol de soupe ou de bircher, un café ou un thé. Nous ne distribuons pas de vêtements, mais nous pouvons relayer auprès d’autres acteurs sociaux de la Ville. Et ce que nous pouvons donner surtout, c’est une présence, une écoute, en trois mots : une chaleur humaine. C’est de cela dont nos visiteurs ont tant besoin.

Et voilà que le Royaume de Dieu se fait jour. Dans l’accueil, l’écoute, la présence, dans le souci du prochain. C’est là dans cette relation naissante ou déjà installée que nous faisons une place à Dieu, même sans le dire ouvertement. Nous essayons avec nos moyens de chercher d’abord le Royaume. Le chercher, c’est visiter toujours et à nouveau cette relation entre Dieu et l’humain, l’humain à Dieu.

C’est accueillir et discerner Dieu en nous et au milieu de nous, c’est accueillir cette confiance que chacune et chacun compte aux yeux de Dieu au-delà de toute considération. Le reste va presque de soi : offrir notre amitié, notre accueil inconditionnel, notre écoute sincère, nos prières, un peu de pain, quand dans la vie il fait faim. C’est sans doute le premier pas vers ce que Jésus appelle le Royaume et sa justice.

Revenons à nos préoccupations. N’est-ce pas un vrai défi que de ne pas céder à l’inquiétude et à l’anxiété de l’aujourd’hui du monde ? Nous pouvons nous convaincre que Dieu veille et qu’il sait ce dont nous avons besoin. C’est vrai, mais ce n’est pas évident de garder notre confiance intacte. Nous pouvons nous répéter : « À chaque jour suffit sa peine ! »Mt 6,34, c’est vrai, mais on ne peut s’empêcher de regarder déjà à demain. Alors quoi ? Utopie, illusion que tout cela ?

Alors, que faire ?

On peut espérer. Espérer, ce n’est pas attendre qu’un monde meilleur remplace celui-ci dans un avenir plutôt lointain et que nos soucis disparaissent d’un coup de baguette magique. Espérer, c’est dire OUI à cette vie-ci qui nous est donnée et nous pousse de l’avant. Une vie que rien ne peut arrêter, parce que placée sous le regard de Dieu et de sa grâce. Regardez les fleurs qui, après chaque hiver, renaissent à la vie. Regardez-les, ces arbres qui poussent là où on n’y croyait plus, là où on était certain qu’ils n’auraient aucune chance. Et pourtant… Et ces oiseaux qui ne se demandent pas si la branche sur laquelle ils se posent sera assez solide, mais qui ont confiance en leurs ailes et au vent qui les porte.

On peut aussi faire confiance au message des Évangiles qui prend tout son sens pour nous aujourd’hui. Il nous invite à nous mettre en route à la suite du Christ pour que, là où nous sommes, là où nous allons, nous cherchions d’abord le Royaume et sa justice dans nos rencontres. Et nous pourrions être bien étonnés de tout ce qui nous sera donné en plus.

Amen.