« Le jeune homme », ou la brisure et l’acceptation 

Prédication sur Marc 14, versets 51 et 52 d’Yvan Bourquin au temple d’Auvernier, le 27 avril 2025

Notre étonnement porte sur les derniers versets (51-52) : que vient faire ici ce jeune homme anonyme qui s’enfuit tout nu ? Notons qu’il est le dernier à être resté auprès de Jésus. C’est un point positif. Mais enfin, pourquoi l’évangéliste a-t-il tenu à nous rapporter cette scène peu glorieuse ? Matthieu et Luc vont la passer sous silence.

Il y a une vingtaine d’années, je prêchais sur ce thème dans le Jura. Le lecteur n’avait pas pris connaissance du texte avant de le lire en public. Et il s’est esclaffé en apprenant que ce jeune homme s’est enfui tout nu. Effectivement, la scène est cocasse.

C’est là que les choses deviennent intéressantes. L’auteur du deuxième évangile, Marc, a pris un risque évident. En littérature, dans le code de bienséance du temps de Louis XIV, il est impensable de commettre une telle faute de goût. Là où Shakespeare pouvait se permettre d’introduire du comique dans une scène tragique, ni Corneille, ni Racine, ni même Molière ne pouvaient consentir à un tel mélange. Cherchez dans les autres évangiles, aucune trace de comique. De l’ironie, oui, envers les témoins qui se contredisent ou Pierre qui commet un parjure en reniant son Maître. Mais l’ironie n’est pas l’humour. 

Alors ? Quel sens peut avoir cette scène pour nous, dans nos vies de croyants ? Pour le découvrir, il nous faut continuer la lecture. Au chapitre 16, verset 5, on retrouve la mention d’un jeune homme : « Étant entrées dans le tombeau, les femmes virent un jeune homme assis à droite, vêtu d’une robe blanche, et elles furent saisies de stupeur. » A deux reprises, lors de l’arrestation de Jésus et le matin de Pâques, le jeune homme (en grec neaniskos) apparaît – et nulle part ailleurs chez Marc.

Soit, il s’agit, pour les personnages du récit, d’une apparition angélique (cf. les textes parallèles). Mais cet « ange », Marc le désigne autrement : comme un « jeune homme assis à droite, vêtu d’une robe blanche ». Dans un livre à paraître prochainement, Daniel Marguerat souligne que les anges sont, dans la Bible, présentés comme des hommes, et c’est par la suite qu’on les reconnaît comme des messagers de Dieu (voir notamment les expériences d’Abraham, de Jacob et de bien d’autres).

Revenons à la question : pourquoi le jeune homme nu du chapitre 14, et pourquoi le jeune homme en blanc du chapitre 16 ? Pour mieux le saisir, nous sommes invités à reprendre la lecture dès le départ…

C’est comme si l’aveugle (8,22-26) disait : « Je vois, mais si mal ! » Et le père éploré (9,24) : « Je crois, mais si mal ! » Du coup, une parenté se dessine avec le jeune homme qui fuit en abandonnant son vêtement : « J’ai suivi Jésus, mais si mal ! » Il représente un parcours de vie que l’on peut résumer ainsi : nudité (chap. 14) – mort de Jésus (chap. 15) – revêtement (chap. 16). En fonction de la mort et de la résurrection du Christ, ce jeune homme esttransfiguré !

Nous sommes amenés à voir dans son expérience traumatisante le comble de l’échec et de la honte (fuite et nudité). Mais c’est précisément là que Dieu le trouve, et l’accepte. Comme l’écrit si bien Corina Combet-Galland, une Neuchâteloise qui a enseigné le Nouveau Testament à Paris, dans sa thèse intitulée Le Dieu du jeune homme nu : « Paradoxalement selon l’évangile de Marc, il n’y a pas d’autre imitation de Jésus-Christ que l’échec dans la suivance même. »

Le lecteur de l’évangile prend conscience que son échec même est accepté, il se voit réconcilié avec lui-même et avec Dieu. 

La rédaction de l’Apocalypse prend place une trentaine d’années après la rédaction du deuxième évangile. Et nous y trouvons un écho saisissant au chapitre 3 :

17 Tu t’imagines : me voilà riche, je me suis enrichi et je n’ai besoin de rien ; mais tu ne le vois donc pas : c’est toi qui es malheureux, pitoyable, pauvre, aveugle et nu ! 18 Aussi, suis donc mon conseil : achète chez moi de l’or purifié au feu pour t’enrichir ; des habits blancs pour t’en revêtir et cacher la honte de ta nudité ; un collyre enfin pour t’en oindre les yeux et recouvrer la vue.

Il s’agit de garder conscience de notre pauvreté, de notre nudité. Au Dieu du jeune homme nu, je prête volontiers ce conseil : « Si tu cesses de croire à ta valeur, tu as de la valeur à mes yeux – une immense valeur !… »

Amen