Prédication du culte du 11 mai 2025 à Bôle reprise le 18 mai à la Collégiale de Neuchâtel dans le cadre des échanges de chaire.
Textes bibliques: Ésaïe 61,10-11 et Jean 16,16-24
Vieux souvenirs…
Vous souvenez-vous des temps anciens où nous répétions le vocabulaire allemand? Les longues listes de mots et de verbes à s’entrer dans le crane? Les déclinaisons, les verbes irréguliers, les exceptions,…? En plein mois de mai une partie importante des habitants de notre canton est plongée dans cette réalité : les examens de fin d’année s’approchent. Chacun sa technique. Moi c’étaient les petites cartes que je faisais défiler avant de les mélanger pour les repasser. Une fois dans le sens français-allemand puis dans l’autre allemand-français.
Il paraît que pour considérer quelque chose comme une connaissance définitivement acquise, il faut l’avoir oubliée 7 fois. Je vous assure que certains termes récalcitrants, je les ai oubliés bien plus de 7 fois et pourtant, bien des années après, ils ne sont toujours pas inscrits définitivement dans mes connaissances acquises.
Aujourd’hui, les recherches sur le développement du cerveau et les capacités d’apprentissages ont permis de mettre au point de meilleures méthodes et des outils plus adéquats. On sait par exemple que pour appendre quelque chose, il est bon de l’associer avec un moment, une musique, une ambiance, une action. Ainsi, si vous récitez vos verbes irréguliers tout en pelant des pommes pour une tarte, vous pourrez ensuite vous projeter mentalement dans ce souvenir et votre esprit associera gestes, odeurs, ambiance et acquisition desdits verbes. Cela ne peut que me réjouir, j’aime énormément la tarte au pommes. Vivement que mes enfants passent leur bac!
Nous n’y comprenons rien!
Mais qu’est-ce qui lui prend? Vous dites-vous peut-être. Quel rapport entre ces lointains souvenirs d’école que nous sommes bien contents d’avoir rangé dans un coin de notre mémoire, la tarte aux pommes et l’Évangile? Nous n’y comprenons rien!
Ah vous n’y comprenez rien!?! Eh bien heureux êtes-vous. Vous en êtes à la même que les disciples. Il est extrêmement difficile de s’accrocher à un discours lorsqu’on ne voit pas du tout où l’orateur veut nous emmener. C’est le cas de ces hommes, face à Jésus, qui leur dit: encore un peu et vous ne me verrez plus, et encore un peu et vous me verrez.
Hors contexte, cela ne veut pas dire grand-chose. Hors contexte… vraiment?!? Pour nous, lecteurs et lectrices de l’évangile, ces paroles sont absolument inscrites dans un contexte. Nous connaissons la suite de l’histoire, nous savons que Jésus va être arrêté, jugé, crucifié. Mais les disciples l’ignorent.
Et même si nous, nous avons déjà repéré dans bien d’autres paroles de Jésus des annonces de sa mort, les disciples, eux n’ont pas entendu. Ils n’ont pas pu entendre ce qui relève de l’impossible : ils suivent un homme, leur maître, qu’ils considèrent comme celui qui va renverser les valeurs du monde et faire advenir le règne de Dieu. Ils ne peuvent pas saisir les signes avant-coureurs de sa fin. Cela le devient possible uniquement lorsque nous relisons les événements à la lumière de la croix.
Que fait Jésus? Pourquoi ne le leur explique-t-il pas? Pourquoi se borne-t-il à des petites phrases mystérieuses? Vous ne me verrez plus, puis peu de temps après, vous me reverrez. N’aurait-il pas été plus simple de dire: mes amis, l’heure est grave, il faut que je vous parle. On va venir m’arrêter et on me mettra à mort. Mais ne croyez pas que ce sera la fin, je ressusciterai des morts.
Supposons que Jésus ait fait cela plutôt que d’annoncer subtilement sa fin comme il l’a fait: Premièrement, rien ne nous assure qu’il savait aussi précisément ce qui allait lui arriver. Donc il n’aurait peut-être pas pu dire les choses aussi clairement. Mais surtout, est-ce que vous pensez vraiment que les disciples auraient mieux compris?!? Je vais mourir, mais ne vous inquiétez pas, je reviendrai…?!?
Tout en finesse…
Le Jésus que nous présentent les quatre évangiles est un homme infiniment plus fin. A aucun moment il n’assène des vérités, ne se perd dans des explications sans fin, ou ne décrète ce qu’il est juste de croire. Jésus est toujours bien plus subtile. Il est un excellent didacticien et surtout, surtout!, il prend au sérieux ses interlocuteurs. En face de lui, il a des personnes qui sont capables de faire leur chemin par eux-mêmes et il les amène à réfléchir.
Dans cette situation précise, Jésus prépare ses disciples. Les mots qu’il prononce sont certes teintés de mystères, mais c’est une formule extrêmement simple à retenir. Une maxime, presque un mantra. Dans peu de temps vous ne me verrez plus, puis peu de temps encore et vous me reverrez. Pourquoi une telle formule? Pour qu’elle reste inscrite dans leur mémoire. Comme un refrain, une mélodie de mots qui s’inscrit dans l’esprit alors que les mains pèlent une pomme.
Jésus les prépare parce que les événements à venir seront bouleversants. Les disciples seront déstabilisés, perdus, choqués. Et dans ces moments là, seuls les mélodies de refrains familiers ont des chances de résonner quelque part au fond des esprits troublés.
On le sait lorsqu’on se forme au secourisme. Les gestes doivent devenir des automatismes. On les répète d’abord dans des situations dépourvues de stress. Maintes et maintes fois. Que ce soit pour les secours physiques ou psychiques, ce n’est pas lorsque le situation se présente, dans le vif du sujet, que l’on peut sortir son manuel ou même se demander ce qu’il faut faire. Il faut agir. Sans même réfléchir. Appliquer les gestes justes, appris et intégrés.
C’est à cela que Jésus prépare ses disciples. Dans le stress et le bouleversement des événements à venir, il y a une chance qu’ils se raccrochent à cette parole entendu et répétée. Et qu’ils y entendent une promesse, une espérance.
… et en bonne pédagogie
Jésus est bon didacticien. Et l’évangéliste Jean aussi. En 3 versets, il nous répète trois fois cette formule. D’abord Jésus dit : dans peu de temps vous ne me verrez plus, puis peu de temps après vous me reverrez. Puis les disciples se demandent : mais que veut-il dire lorsqu’il dit … Et Jésus renchérit : vous vous demandez ce que je veux dire lorsque je vous ai dit…
Croyez-vous que c’est un hasard? Quand on sait combien chaque centimètre de parchemin était précieux! Et combien Jean est un auteur plein de finesse. On ne peut pas imaginer que le style littéraire de ces quelques versets soit une maladresse.
Jean reprend simplement habilement ce que Jésus lui-même a fait avec ses disciples. Avec nous ses lecteurs et ses lectrices, il nous rapporte ces paroles comme un mantra. Afin qu’à notre tour nous en soyons imprégnés. Et qu’aux moments de nos vies où il pourrait nous arriver d’être remués, bouleversés, déstabilisés. Face au danger, à la mort ou à la menace… Il nous soit donné de nous raccrocher à cette parole. Et qu’avec elle, nous entendions : aussi terrible soit ce que tu traverses, aussi profonde soit ton impression que tout est perdu, ce n’est pas la fin.
Viser l’autonomie spirituelle
Lorsque Jésus a transmis son Évangile, sa Bonne Nouvelle, il a pris ses disciples pour des gens intelligents. Il n’a pas cherché à les gaver de connaissances détachées de toute réalité, il a cherché à leur donner les moyens d’activer au bon moment de leur vie les bonnes ressources spirituelles. Les évangélistes ont fait de même. En témoignant de leur foi non pas dans des grands traités théologiques mais en mettant en récit la vie de Jésus, ses paroles, ses actes, sa manière d’être avec les hommes et les femmes.
Cela fait un certain nombre d’années que j’ai le privilège d’accompagner des enfants et des ados au catéchisme. Au fil des ans, ma conviction qu’une approche de communication indirecte est la méthode adéquate ne se dément pas. Elle s’est même affirmée.
Bien sûr, il y a un certain contenu à transmettre: des connaissances, de la culture générale, des bases bibliques et théologiques que les catéchumènes acquièrent. Mais si ces connaissances ne servent pas à rendre les individus autonomes spirituellement, si l’objectif n’est pas de leur donner les moyens d’actionner au moment de leur vie les ressources adéquates, alors je crois que cela n’a aucun sens.
Qu’en avons-nous à faire qu’un jeune homme sache réciter l’ordre des évangiles si, lorsqu’il ne trouve pas de place d’apprentissage, il ne peut pas s’appuyer sur la promesse que de toute épreuve, il pourra se relever? Quelle importance qu’une jeune fille sache le nom des 12 tribus d’Israël si, alors qu’elle est harcelée à l’école, elle ne se raccroche pas à la conviction qu’aux yeux de Dieu elle est infiniment précieuse?
Catéchiser, évangéliser, transmettre les fondements de la foi chrétienne, ne sert pas à faire des champions du Trivial Poursuit1. Mais doit tendre vers l’autonomie spirituelle. Offrir les moyens de faire les liens entre ce que je vis et la promesse de l’Évangile. Et ça, ce n’est pas uniquement le travail des pasteurs ou des catéchètes. Ça, c’est le travail de toutes et tous.
Un des grands principes du protestantisme est le sacerdoce universel. Chaque croyant, chaque croyante répond de sa vie vis-à-vis de Dieu, sans intermédiaire. Chacun, chacune est maître de sa foi. Mais ce sacerdoce universel nous donne aussi une responsabilité à toutes et à tous. Celle de proclamer l’évangile. Ce n’est pas réservé aux ecclésiastique, c’est le job de tous!
A la suite du Jésus pédagogue, de l’habile évangéliste Jean, il nous faut nous inscrire à notre tour. Et non pas expliquer, mais transmettre quelque chose. En parole parfois, par l’action, le geste, le témoignage. Habilement, en langage indirect, pour incarner la foi qui nous porte et participer à notre mesure à la faire émerger chez l’autre. En revêtant comme un manteau, pour reprendre l’image du prophète Ésaïe, ce que nous espérons et croyons.
Telle est notre mission. Et je vous parie qu’à partir d’aujourd’hui, vous y repenserez à chaque vous que vous préparerez une tarte aux pommes !
Amen
Merci Seigneur, pour les gestes quotidiens qui évoquent pour nous ta présence. Pour les tartes aux pommes, les madeleines de Proust et les souvenirs d’enfance qui nous rappellent ta fidélité à notre égard.
- La formule vient du pasteur James Woody dans l’excellente prédication La catéchèse, pour un peu plus que la culture et la doctrine. ↩︎