Présence discrète mais sûre 

Prédication du culte du Jeudi de l’Ascension 29 mai 2025 à Colombier.
Textes bibliques: Actes 1, 1 à 11 et Luc 24, 46 à 53

Le livre des Actes des Apôtres rapporte que, pendant les quarante jours qui ont suivi Pâques, le Christ ressuscité s’est plusieurs fois montré aux disciples. L’Ascension marque la fin des apparitions du Ressuscité : Jésus « est monté au ciel », c’est-à-dire que désormais, ses disciples devront faire le deuil d’un certain type de présence, d’une présence charnelle. Désormais, les disciples devront « croire sans voir », ou plutôt « croire parce qu’ils ont vu ». C’est sur leur témoignage crédible que nous fondons notre foi.
Dans l’Évangile de Jean, Jésus leur dit : « Il est bon pour vous que je m’en aille ». Lui qui ne se laisse pas posséder ni étreindre ne s’impose pas davantage : il laisse ses disciples libres de croire, et donc d’aimer véritablement. Ainsi, la liberté des chrétiens passe par une prise de distance de la part du Christ.

Mais cette absence est en même temps forte d’une promesse et d’une invitation à la mission : « vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre ».
Il ne s’agit pas de rester les yeux levés vers le ciel. L’Ascension est un appel à la responsabilité. C’est aux chrétiens désormais d’être témoins du Christ ! Le mystère de l’Ascension signifie que le temps des témoins commence, c’est le temps de l’Eglise. Sans Ascension, pas d’Eglise.

L’Ascension n’est donc pas la célébration d’un départ triste. Les disciples étaient tristes avant, quand ils ne comprenaient pas le sens des événements de Jérusalem, quand ils ne comprenaient pas que le Messie devait souffrir pour entrer dans la gloire, surtout tant qu’ils n’avaient pas compris que Jésus devait monter vers le Père pour envoyer l’Esprit.

La fête de l’Ascension c’est célébrer la montée de Jésus vers Dieu son Père. Mort et ressuscité, il quitte ses disciples tout en continuant d’être présent auprès d’eux, mais différemment. Il promet de leur envoyer une force, celle de l’Esprit-Saint. Selon sa promesse, Il sera toujours avec eux, mais d’une présence intérieure : ils ne le verront plus de leurs yeux. Le Christ n’est plus visible, mais il n’abandonne pas ses disciples. Il leur promet la venue de l’Esprit à la Pentecôte. Grâce à l’Esprit donné à la Pentecôte, ils vont expérimenter une nouvelle manière, pour Jésus ressuscité, de leur être présent.

Croire que le Christ ressuscité est entré dans la gloire est un acte de foi. Et c’est avec les yeux de la foi que nous devons apprendre à lire les signes de sa présence et de son action parmi nous.

Les lieux de sa présence sont multiples. Il y a la célébration de la cène, puis encore sa Parole. Il y a aussi chacun des gestes que nous partageons et accomplissons dans notre quotidien en son nom. Chacun et chacune de nous, par le sacerdoce universel si cher à Luther, devient prêtre et nous sommes tous égaux sur le plan spirituel. Ainsi, les œuvres de tous les croyants proclament la puissance de Dieu.

C’est alors que cette interpellation prend toute son ampleur : « Pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ?  » (Ac 1, 11) s’entendent dire les apôtres : l’Ascension du Christ est aussi un appel à un plus grand engagement dans le monde pour porter la Bonne Nouvelle, pour proclamer la puissance de Dieu.

Il s’agit donc de devenir des croyants à l’œuvre, portés et encouragés par l’Esprit qui est présence discrète mais sûre. Un encouragement à poser notre regard autour de nous et à notre hauteur, et à injecter dans notre ordinaire, autant que faire ce peu et en fonction des ressources que nous possédons, l’extraordinaire qu’est l’amour de Dieu pour le monde. Et qui plus est, comme le mentionne Luc, de le faire dans la joie. Le texte nous dit en effet que les apôtres s’en retournent à Jérusalem « remplis de joie » et non tristes, comme on aurait pu s’y attendre. De la même manière, aujourd’hui, jour de l’Ascension, nous sommes invités à nous réjouir de cette part qui nous est confiée, à nous réjouir de cette confiance qui nous est accordée, et à prendre le chemin sur les traces du Christ.

Toutefois, que dire de ce ciel que gagne le Christ ? Notion pourtant bien présente dans nos deux textes. Que pouvons-nous discerner dans ce ciel clairement exprimé si nous ne devons pas nous attarder à le contempler ?

L’Ascension de Jésus n’est pas un voyage dans l’espace, vers les astres les plus lointains, car les astres sont eux aussi faits d’éléments physiques comme la terre. Il ne s’agit pas de rejoindre le ciel au sens du firmament, de l’espace que nous observons au-dessus de nos têtes. Il s’agit d’un espace spirituel, celui de Dieu. Comme un espace mystérieux de communion bienheureuse avec Dieu et avec tous ceux qui sont dans le Christ, et qui dépasse toute compréhension et toute représentation. L’écriture nous en parle en images : vie, lumière, paix, festin de noces, vin du royaume, maison du Père, Jérusalem céleste, paradis »…

Et le texte d’aujourd’hui nous apprend encore que le Christ en reviendra de ce ciel. Les deux hommes vêtus de blanc décrits par les Actes des Apôtres annoncent alors que Jésus « reviendra de la même manière ». Et, pour le moment, ils les incitent à ne pas rester les yeux vers le ciel : ils doivent retourner à leurs responsabilités. Celles-ci leur avaient justement été indiquées par le Christ : être ses témoins par toute la terre en annonçant sa mort et sa Résurrection, en faisant connaître son enseignement, en baptisant.

L’Ascension est ainsi un envoi en mission adressé aux Apôtres comme aux hommes et aux femmes de tous temps. Cet envoi en mission est l’articulation entre le désir du ciel et le service des hommes.

La joie qui fait suite à cet événement s’explique aussi par cette annonce du Christ rapportée par Matthieu : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ».

Autrement dit, le Christ est sans cesse présent auprès de nous : même si, à la suite de l’Ascension, il n’est plus là physiquement. Finalement, l’achèvement de sa vie terrestre permet sa présence auprès des hommes et des femmes de tous temps et de tous lieux, présent dans sa Parole, présent là où deux ou trois sont réunis en son nom, présent dans ses prêtres sur terre que sont tous les croyants et croyantes, présent dans le pain et le vin de la cène, présent dans l’affamé nourri ou le malade visité, présent dans la liturgie communautaire comme dans la prière faite dans le secret de nos chambres.

Cette fête de l’Ascension nous rejoint tous au cœur, quelle que soit notre situation. Elle se définit comme le lieu de décision qui oriente toute vie chrétienne, tendue entre le désir du ciel et le service des hommes. L’Ascension fait donc partie des événements fondateurs de la foi en Christ, d’autant plus qu’elle a donné aux hommes leur liberté : loin de s’imposer à eux, Jésus les laisse libres de croire et donc d’aimer avec authenticité.

Amen.