Prédication du culte du 29 juin 2025 à Bôle.
Textes bibliques : Ésaïe 52,7-10 et Luc 10,1-12 et 17-20.
Réjouissez vous!
Réjouissez-vous! disait le prophète Ésaïe. Tendez l’oreille aux cris de joie des hommes que vous avez envoyé en sentinelle. Laissez-vous contaminer par leur liesse! Et qu’en vous éclate l’allégresse!
Réjouissez-vous! Une injonction qui, selon le contexte de vie, peine à prendre racine en nous.
Il y a deux semaines, le Synode de notre Église s’est réuni et a voté de nouvelles réductions de postes. Lentement mais sûrement, depuis que je suis dans le ministère, les forces professionnelles dans l’Église n’ont cessé de diminuer. Il n’y a pas de miracle. Quand il n’y a plus assez de sous pour engager, on réduit la voilure! Ces réductions sont objectives. Mais elles sont accompagnées, peut-être amplifiées, par l’impression subjective de la perte. Phénomène naturel, on a tendance à idéaliser le passé et à n’en retenir que les bons côtés. Corollaire, on focalise le regard aujourd’hui sur ce qui n’est plus. L’impression que la situation est beaucoup moins favorable qu’autrefois n’en est que démultipliée. Au début des années 2000, notre territoire paroissial était encore formé de 4 paroisses indépendantes. Je n’ai pas connu ce bon vieux temps où il y avait 4 pasteurs. Dès la rentrée, pour le territoire de La BARC, il n’y aura plus qu’un seul poste à 100 % que Bénédicte et moi nous partagerons en deux mi-temps, soutenues par des postes qui couvriront des missions inter-paroissiales.
Des ouvriers peu nombreux mais…
Réjouissez-vous! nous dit le prophète. Mais oui, réjouissons-nous car, si les ouvriers sont peu nombreux, la moisson est abondante. Nous voici dans une situation bien proche de celle évoquée par l’évangile du jour. Et si notre Synode a voté la réduction de quelques postes en paroisse et d’une réorganisation, il y a de quoi se réjouir. Les disciples de Jésus n’étaient que 12, et on peut dire qu’à 12, ils ont plutôt fait du bon boulot. En tout cas, 2000 ans plus tard, on en voit toujours les fruits. Nous, nous avons le luxe d’être bien plus nombreux.
Je le dis avec une pointe d’humour, mais au fond je suis sérieuse. Les paroles du Jésus de Luc n’invitent pas à l’inquiétude quant au manque d’ouvriers mais à se réjouir car la moisson est abondante. Il y a du boulot! Quel bonheur. S’il y a du boulot, c’est que le monde a besoin de l’Évangile. Que le message de l’Église a sa place dans le monde. Que ses valeurs ont leur rôle à jouer dans la société. Et cela je le crois.
Si nous ne croyons plus à ce que nous faisons, si nous ne pensons pas que l’Église a sa place dans le monde, si nous ne sommes plus convaincus que l’Évangile de Jésus-Christ a un impact sur la vie des hommes, des femmes, des jeunes et des vieux, alors il ne nous reste plus qu’à fermer boutique. La moisson est grande. Il y a à faire et ce que l’Église porte a du sens. Cela je le crois. Le croyez-vous, vous aussi ?
… la moisson est abondante!
Le peuple envoie au devant des sentinelles, mais prête-t-il l’oreille à ses cris d’allégresse? Parvenons-nous à nous réjouir des bonnes nouvelles, des signes de bonne santé de notre Église? Il y a aujourd’hui dans la société un vrai renouveau de la recherche spirituelle. Mais je ne sens pas un grand engouement de l’Église pour y répondre. Je me demande si l’envoi des sentinelles ne sert finalement pas qu’à nous donner bonne conscience. Il ne suffit pas, en tout cas, à nous sortir de notre scepticisme.
La moisson est abondante mais les ouvriers peu nombreux. Telle est la situation de départ. La problématique face à laquelle Jésus fait face dans cet épisode de l’évangile de Luc.
L’envoi des sentinelles
Quelles mesures Jésus prend-il? En tout premier lieu, il désigne 72 personnes en plus des 12. Il ne fait donc pas reposer l’entier de la mission sur ses disciples les plus proches. Eux sont déjà bien accaparés par leur tâche, ils ont choisi de consacrer leur vie à suivre Jésus. Mais tout ne peut pas relever d’eux. Des disciples, il y en a des quantités. Des hommes et des femmes qui adhèrent à son message, qui se sont trouvés renouvelés dans leur existence par la Bonne Nouvelle, qui se sont sentis rejoints dans leur réalité par Dieu. Et parmi toute cette foule, Jésus en désigne 72. Ce ne sont pas tous. Mais quelques uns. Pour une mission particulière car tout le monde n’a pas les mêmes compétences, les mêmes qualités. Tout le monde n’est pas fait pour l’évangélisation, la proclamation sous cette forme.
Il les envoie deux par deux. 36 groupes de 2. Pour qu’ils et elles ne se trouvent pas seuls et puissent compter sur un ami. Pour se réjouir ensemble des succès, échanger sur le sens de leur démarche, développer leur propre foi dans le dialogue, et se soutenir dans les temps plus difficiles.
Jésus les envoie en avant. En sentinelles. Pour le précéder dans toutes les villes et localités où lui-même se rendrait ensuite. Il n’est pas attendu d’eux qu’ils fassent tout le boulot, qu’ils s’occupent entièrement de la moisson, mais qu’ils préparent les cœurs et les esprits à la venue du Christ qui viendra.
Porteurs de paix
36 binômes envoyés dans autant de villes et de localités. 36 groupes qui savent ce qui est attendu d’eux même s’ils ignorent comment ils seront reçus. Mais qui reçoivent des consignes claires: la première chose dont ils se feront porteurs, c’est de la paix. Shalom! Que la paix soit sur cette maison. Ce qui relève d’eux, c’est ce qu’ils apportent. La manière dont cela est reçu ne dépend pas d’eux.
Si une homme ou une femme de paix habite la maison, alors le dialogue sera ouvert. Prenez le temps nécessaire avec cette personne. Ne papillonnez pas. Ne pensez pas déjà à ce que vous pourrez faire ensuite, aux autres personnes auxquelles vous pourrez vous adressez. Ne vous éparpillez pas. Soyez vraiment avec la personne qui est en face de vous. Si la paix que vous apportez n’est pas bien reçue, alors retirez-vous et ne repartez pas blessé ou chargé. Être mal reçu est quelque chose qui arrive. Ne vous alourdissez pas des échecs, n’en emportez même pas un grain de poussière et reprenez votre chemin.
Ce sont des consignes assez libératrices. Et si ce texte s’adresse aussi à nous en tant que membre de l’Église, il est inspirant. Transmettez la parole de Dieu et en tout premier lieu, faites-vous témoins de sa paix. Certains milieux chrétiens cherchent à faire des adeptes en culpabilisant ou en faisant peur. Ils présentent ainsi un Dieu juge et condamnateur. Parler ainsi de Dieu n’est pas être porteurs de sa paix. Ce sont de faux prophètes dont il faut se détourner.
Dans nos milieux réformés, nous sommes parfois trop frileux pour même évoquer Dieu en dehors des milieux sécurisés de nos propres communautés paroissiales. De quoi avons-nous peur? Si nous sommes témoins de la paix de l’Évangile, qu’avons-nous à perdre? Soit ce message est bien reçu et nous aurons participé à la moisson, soit il est refusé mais cet échec ne nous impactera pas.
Une mission large, une vision partielle
36 binômes envoyés ci et là. 72 personnes porteuses de paix. Chacune liée à un compagnon ou une compagne de route. Si l’on suit du regard un de ces binômes, on peut légitimement se demander: que sait-il de ce que vivent les 35 autres? Rien!
Il ne sait rien des réussites et des échecs des autres. Il ne sait rien des discussions qui ont existé dans tous les binômes et qui demeureront les échanges privilégiés de deux personnes en chemin. Un binôme ne sait rien des rencontres qu’ont fait tous les autres. Il ne sait rien non plus de ses revers. Il ignore tout de cet habitant d’une petite ville qui a invité ces deux étrangers à partager son repas du soir. Il ne connaît pas le bruit de cette porte qui s’est fermée devant leur nez. Il n’a pas entendu les chants qui se sont élevés dans cette maison. Il n’a pas prié avec cette femme qui venait de perdre son mari. Il n’a pas célébré avec cette famille la naissance du petit dernier…
Jésus les a envoyés deux par deux dans des villes éparses. L’immense majorité de la moisson est absolument inconnue. Et cette réalité m’interpelle. Car nous avons toutes et tous une vision absolument partielle du monde et de l’Église, mais il me semble que nous avons tendance à considérer notre propre réalité comme étant la seule existante, voire la seule juste. Alors que dans l’Église, il se passe des quantités de choses que nous ignorons tout à fait. En aumôneries et en paroisses.
L’Église est plus grande que ce que j’en perçois
Ce matin, nous sommes ici, réunis pour le culte. Mais bien des gens actifs dans notre paroisse ne sont pas là. Ne pensez-vous pas qu’ils parviennent tout de même à se réjouir pour nous? Lorsque vous et moi, nous n’allons pas au culte un dimanche, nous savons qu’il a lieu et qu’il réunit des personnes qui y vivent un moment important.
La semaine dernière, toute une équipe a séjourné à Adelboden dans le cadre du camp 60+. Je n’ai pas besoin d’y avoir participé pour être convaincue que c’était un beau moment communautaire, un temps important de vie d’Église pour celles et ceux qui l’ont vécu.
Avec les jeunes et les familles, il me semble que cette capacité d’abstraction n’est pas toujours aussi aiguisée. J’entends: « on ne les voit jamais à l’Église ». Pourtant, ils vivent des temps d’Église intenses. En camp, lors de leurs réunions ou lors des cultes qu’ils animent durant l’année. En une année de catéchisme, un catéchumène aura vécu près de 200 heures en communauté d’Église. Ne pouvons-nous pas nous en réjouir? Un jeune moniteur bénévole, pas loin de 400 heures!! Cela fait une heure par jour tous les jours de l’année en engagement ecclésial. N’est-ce pas ce que nous souhaitons qu’ils et elles vivent?
Est-ce que ces occasions de vivre l’Église auraient moins de valeur parce qu’ils sont différents de ma manière de vivre l’Église, en me rendant régulièrement au culte dominical par exemple? L’Église ne se réduit pas à ce que j’en vois. Elle existe bien au-delà. Être ensemble au même endroit au même moment est une chose, faire Église en est une autre. Et la reconnaissance mutuelle que ce qui est vécu, même dans ma plus grande ignorance, a autant de valeur que ce je peux vivre moi en Église est fondamental.
Nous réjouir des paroles des sentinelles
La moisson est grande, mais les ouvriers sont peu nombreux. Pourtant, Jésus parvient à en envoyer 72! Mais 2 ne connaissent rien de ce que vivent les 70 autres. Et si nous parvenions à nous réjouir des signes que les sentinelles nous envoient? Des paroles du participant au camp d’Adelboden qui nous dit: c’était un beau moment. Des témoignages des catéchumènes à Pentecôte qui expriment: ce que je vis au KT, ça a du sens pour moi.
Si nous parvenions à recevoir cela et juste nous en réjouir sans arrière pensée utilitariste ou velléité de récupération? Autrement dit, sans directement leur mettre dans les mains des outils en leur disant: maintenant, à ton tour, bosse à la moisson!
La moisson est grande. Réjouissons-nous!
Amen