Prédication du dimanche 23 novembre 2025 à Auvernier.
Lectures bibliques: Psaume 78,1-8 ; 1 Rois 17,1 puis 18,1-18 ; Colossiens 1,15-19
Au temps du roi Achab…
Voilà un récit de l’Ancien Testament que nous ne lisons pas souvent et qui nous fait voyager il y a quelque 3000 ans de cela au temps du roi Achab et du prophète Élie. Le livre des Rois ne date pas de cette époque, il a été rédigé bien plus tard, mais il raconte les événements du peuple de Dieu dans ces temps troublés. Plongeons-nous quelques instants dans l’histoire.
Les anciennes tribus d’Israël, installées dans le pays de Canaan, s’étaient réunies en un seul et même royaume. C’était la temps du roi David, qui resta dans l’histoire comme le grand Roi d’Israël, celui qui était parvenu à créer l’unité. Mais cette unité s’est effritée déjà sous le règne de Salomon, son fils. Et à la mort de celui-ci, ce qui devait arriver arriva : le pays se scinda en deux. Le royaume du Sud, avec pour capitale Jérusalem, prit le nom de Juda. Alors que le royaume du Nord, avec pour capitale Samarie, conserva le nom d’Israël.
Un royaume au Nord, un au Sud
La situation des deux royaumes est très différente. Le royaume du Sud n’a pas accès à la mer. Il est tourné vers les collines de la région de Jérusalem où le terrain caillouteux permet la culture de la vigne et de l’olivier ainsi que l’élevage de moutons. Le fils de Salomon devient le premier roi. On se comprend au Sud comme héritiers de David, roi choisi par Dieu lui-même. On demeure fidèle au roi et à Dieu.
Le Nord a une situation très différente. Avec l’accès à la mer, le royaume de Samarie peut commercer avec les princes cananéens du Nord, la Syrie et le Liban actuels. Le royaume est prospère. Mais cette prospérité engendre des inégalités sociales grandissantes qui seront âprement dénoncées par le prophète Amos. Israël est alors en contact avec la religion cananéenne, séduisante pour un peuple d’agriculteurs, puisqu’elle est centrée sur le culte des forces de la nature divinisées, les Baals, et sur les Astartés, divinités favorables à la fécondité au sol, aux troupeaux et aux humains. Et le peuple est tenté d’adorer son Dieu tout en servant quand même les Baals à côté, histoire de ne pas s’attirer la colère des divinités locales. Dans une région qui n’est pas facilement irriguée, l’eau nécessaire à la vie et à la culture ne peut venir que du ciel. Il convient donc de ne pas se mettre à dos ceux qui l’habitent.
A la fois l’un et l’autre
Alors on joue sur les deux plans. Le roi lui-même, Achab, ne fait pas exception, influencé par son épouse cananéenne Jézabel. C’est exactement ce que dénonce le prophète Élie qui lui, a choisi, sans concession et au péril de sa vie, la fidélité à son Dieu. Le Dieu d’Abraham, Isaac et Jacob. Le Dieu Yahvé.
Fréquemment, on se souvient de ce Dieu qui a libéré le peuple hébreu du joug égyptien. L’Ancien Testament regorge de références au passage de la Mer Rouge. Dieu Yahvé, c’est celui qui a sauvé son peuple de l’esclavage. Mais de plus en plus, on raconte les exploits de ce Dieu comme des événements du passé. Dieu a agi, une fois, il y a longtemps et on tient à le transmettre aux générations suivantes. Mais quand il s’agit de faire face à une sécheresse, une réalité concrète et actuelle, on doute de l’efficacité de ce Dieu-là, on juge les prières inutiles. Et on préfère se tourner vers les divinités de la nature. On a plus confiance en des Baals pour faire tomber la pluie qu’en ce Dieu Yahvé.
On pourrait se contenter de constater des désaccords théologiques, voire d’imaginer quelques disputes intellectuelles, des débats au sein des familles pour savoir qui du Dieu Yahvé ou des Baals il convient d’adorer. Mais la question a pris des tournures dramatiques. L’affrontement a fait des victimes en nombre.
Une question de vie ou de mort
L’enjeu est grand. On en saisit l’étendue dans les paroles de l’intendant Obadia. Obadia est un personnage important de la cour du roi Achab. Mais il n’a jamais renoncé à sa fidélité au Dieu de son père. Malgré la reine Jézabel, malgré que le roi lui-même s’est détourné de la confiance dans le Dieu de Moïse, Obadia, lui, n’a pas fléchi. Mais probablement est-il resté discret sur sa foi. Une discrétion qui lui a permis, parallèlement à son rôle d’intendant à la cour, de mettre en place un réseau clandestin qui a caché, et donc sauvé la vie, de 100 prophètes.
Mais voilà qu’avec l’arrivée d’Elie, qui pour une fois vient annoncer une bonne nouvelle (fait rare pour un prophète), tout le réseau d’Obadia risque d’être découvert. Et bien évidemment son rôle également. Obadia risque sa peau. La question de la fidélité à Dieu ou l’adoration des divinités de la nature dépasse le débat théologique. Pour certaines personnes, il est question de leur vie, de leur survie.
Tirer les leçons du passé
Les textes du livre des Rois ont été écrit bien plus tard que l’époque où se sont passés les événements qu’ils racontent. En écrivant, les auteurs relisent l’histoire de leur peuple. Et interprètent les périodes les plus difficiles comme étant les périodes où le peuple s’est le plus éloigné de son Dieu. Les périodes où il s’est le plus perdu dans ses illusions de maîtrise, dans ses erreurs humaines, où il s’est tourné vers de faux dieux. En racontant ces événements, les auteurs appellent les lecteurs à ne pas retomber dans les mêmes travers.
On retrouve cette injonction dans le psaume 78 dont nous avons lu le début.
Mon peuple, écoute !
Ce passé nous voulons le raconter.
Pour que les générations à venir ne commettent pas les mêmes erreurs.
On vit à l’époque dans un monde de l’oralité. On raconte des histoire, on se raconte l’Histoire. C’est ainsi que s’est faite la transmission pendant des siècles. Écoute!, dit le psaume. Écoute et tend une oreille attentive. Il s’agit, par l’écoute, de se laisser interpeller. Ce que j’écoute ne concerne pas uniquement le passé, mais cela me concerne moi. Laisse se dégager les leçons du passé !
En voyant ce qui se passe dans notre monde aujourd’hui même, on sent bien combien ceci est d’une actualité brûlante. Qu’a appris l’humanité du passé ? Comment l’Europe peut-elle laisser l’extrême droite arriver à nouveau au pouvoir ? Comment des dirigeants peuvent-ils aujourd’hui tenir des discours d’épuration ethnique ? Qu’a appris l’humanité ?…
Mon peuple, écoute !
Alors ils n’imiteront plus cette génération de leurs ancêtres qui fut indocile et rebelle, de cœur inconstant et d’esprit infidèle à Dieu.
On a parfois tendance à désespérer des générations à venir. A penser que c’était mieux avant… Le texte du psaume nous met dans une perspective tout à fait différente. L’espérance est placée en ceux qui viennent. Eux qui, peut-être, ne commettront pas nos erreurs. C’est pourquoi nous leur racontons nos propres erreurs et celles de ceux qui nous ont précédés. Et nous ne les transmettons pas seulement comme des faits historiques, mais comme une histoire habitée par Dieu.
Le psaume met l’accent sur trois éléments : raconter, mettre sa confiance en Dieu et obéir à ses commandements. Dans cette histoire de la transmission, nous sommes tous à la fois enfant de nos ancêtres et parents de nos descendants. Nous appartenons donc aussi bien à la génération indocile et rebelle qu’à celle en laquelle est placée l’espoir.
De quel Dieu parlons-nous?
Héritiers d’une histoire et responsables de la transmettre. On rejoint ici les hommes et les femmes de l’époque du prophète Élie qui se référaient au Dieu Yahvé pour parler du passé mais qui se tournaient vers de fausses divinités pour leurs problèmes concrets.
Et il convient de nous interroger. De quel Dieu parlons-nous à nos enfants ? A nos petits-enfants ? Leur racontons-nous un Dieu qui a agi une fois dans le passé, ou un Dieu actuel ? Et de quel Dieu nous a-t-on parlé ? D’un Dieu d’autrefois ou d’aujourd’hui ?
Croyons-nous en un créateur une fois à l’origine de notre monde ou croyons-nous que sa puissance créatrice agit tous les jours ? Croyons-nous en un homme qui est mort crucifié un jour près de Jérusalem ou au Christ ressuscité présent dans nos vies ? De quel Jésus parlerons-nous à Noël ? Du joli petit enfant couché dans la paille ou de la puissance de Dieu qui est venue dans le monde ? De l’image visible du Dieu invisible ? Celui qui est à l’origine de tout ?
Malgré les 3 millénaires qui nous éloignent du roi Achab et du prophète Élie, nous nous sentons étonnamment proches de leur situation. Nous souscrivons des assurances, nous thésaurisons dans des banques, nous soumettons le moindre de nos actions professionnelles à l’expertise de tests de qualité. Pour ce qui est des affaires terrestres, c’est bien à d’autres pouvoirs qu’à Dieu que nous nous remettons.
Mais prenons garde à ne pas reléguer Dieu dans le passé, dans l’Histoire. Laissons-le agir dans notre histoire!
Amen
