Regarder le doigt ou regarder le ciel ?

Prédication prononcée par le pasteur Jean-Jacques Beljean au temple d’Auvernier le dimanche 21 décembre 2025, quatrième dimanche de l’avent.

Textes bibliques : Esaie 7,10-15 ; Philippiens 4,4-7 ; Luc 1, 26-38

Chers frères et sœurs en Christ,

Presque chaque année ce merveilleux texte de l’Évangile selon Luc, nommé l’Annonciation, est lu lors du temps de l’Avent, souvent accompagné de la prophétie du prophète Esaie annonçant la venue d’un mystérieux enfant.

Et, à chaque fois l’on est partagé entre le merveilleux, l’étonnant et le scepticisme. Et l’on ne peut s’empêcher de se demander en quoi une si merveilleuse et étrange histoire pourrait nous parler, nous toucher par son aspect extraordinaire et miraculeux.

J’entends déjà les sceptiques et les agnostiques sourire de ces niais de chrétiens qui croient – encore – en de telles fariboles. Pour eux, un enfant de six ans sait bien qu’il est né d’un père et d’une mère et que la génération spontanée chez les humains est une contre-vérité scientifiquement parlant.

Notons tout d’abord que, dans l’Antiquité, l’union d’un dieu avec une humaine est un thème connu, tant chez les Grecs que chez les Romains. C’est donc que le merveilleux rapporté par Luc ne choquait pas à l’époque. Mais pour les Anciens, était-ce uniquement du merveilleux ? N’était-ce pas plutôt une manière de décrire ce qu’ils ne comprenaient pas ? Ainsi avons-nous à rejeter de tels texte au nom du modernisme ? N’avons-nous pas plutôt, comme les Anciens, à rechercher le sens que peut porter une telle histoire ?

Il nous faut donc reprendre toute la problématique du texte de Luc à nouveaux frais car si les contradicteurs ne sont pas stupides, les anciens chrétiens et nous non plus. Parfois un texte veut dire autre chose que ce que l’on croit au premier abord et se satisfaire des apparences n’est pas une démarche sérieuse.

Nous allons nous faire aider. Et, pour une fois, en recourant à une parole de sagesse attribuée à Confucius comme à St-Augustin. Ce vieux proverbe va nous aider à comprendre notre texte, je le cite, sous l’une de ses nombreuses versions:

« Quand le sage montre le ciel du doigt, l’insensé regarde le doigt »

Autrement dit ne faisons pas preuve de myopie quand nous interprétons les textes bibliques, en ne voyant que les apparences alors que la vérité se dévoile en prenant la distance nécessaire à l’approfondissement et à la compréhension.

Première focale sur notre texte : de quel ordre est-il ? Est-il d’ordre médical, biologique, biogénétique, obstétrique ? A l’évidence, non ! Luc, même s’il est médecin selon la tradition, ne veut pas faire un cours de génétique. Penser qu’un texte des Évangiles veut nous faire un cours de biologie c’est regarder le doigt mais pas le ciel. Notre texte est théologique, il existe pour nourrir notre foi et non pour nous convaincre d’une pseudo-vérité scientifique.

Deuxième focale : si le texte est théologique, que veut-il nous dire par ce paradoxe que reprendra le Credo que nous prononcerons tout à l’heure : incarné du Saint-Esprit et né de la Vierge Marie ? Veut-il nous dire comment le Saint-Esprit fait des enfants ou veut-il nous dire qui est ce Jésus que nous reconnaissons comme notre Seigneur ?

En quelques mots : en empruntant au langage miraculeux de son époque le texte veut nous transmettre non un récit de miracle mais, sous forme imagée, nous dire qui est le Christ.

Il nous faut donc voir non le doigt (la lettre du texte) mais regarder le message qu’il porte (le ciel). La question que le texte pose est : Qui est ce Jésus ? Notre texte tente d’y répondre, sous une forme imagée.

J’ajoute encore quelques précisions pour bien montrer ce que nos textes veulent nous transmettre, tant celui d’Esaïe que celui de Luc. Dans l’Antiquité on ne donne pas simplement un joli nom aux enfants. Les noms ont une signification et sont comme porteur d’un programme, d’une définition, d’une mission. Chez Esaïe l’enfant à venir s’appellera Emmanuel, ce qui, en hébreu, signifie Dieu avec nous. Chez Luc l’enfant s’appellera Jésus, ce qui, en hébreu, signifie Dieu sauve. Ces précisions nous montrent bien que nos textes ne sont pas un plaidoyer pour les miracles mais bien des textes de révélation de l’identité de l’enfant. Et nous, nous savons qu’il s’agit de Jésus, le Christ, car Dieu sauve à travers lui.

Quand le sage montre le ciel du doigt, l’imbécile (ou encore l’insensé) regarde le doigt.

Regarder le doigt c’est considérer que notre texte est un miracle du passé qui n’a plus rien à nous dire. Regarder le ciel c’est comprendre que dans cet enfant qui naîtra dans la crèche de Bethléhem, c’est la manière dont Dieu veut, désormais, être et agir dans notre monde. Non dans la toute-puissance politique, psychologique ou sociale, mais dans la pâte humaine. La naissance de Jésus c’est la venue de Dieu dans le monde des humains, d’abord comme un nourrisson, puis un enfant puis un adulte. Dieu n’est plus, depuis Jésus, un dieu perdu dans le ciel mais celui qui agit à travers les êtres humains.

Avec l’incarnation de Dieu en l’homme Jésus, la présence divine n’est plus confinée au ciel d’où Dieu agirait. La présence divine se découvre en l’être humain, en soi comme dans le prochain, tout être humain que nous rencontrons.

Longtemps l’on s’est battu sur ce texte, sur son interprétation miraculeuse que l’on étendra à l’infini. L’on a peiné à voir son originalité dans l’histoire humaine : En Jésus Dieu s’est fait être humain comme l’un ou l’une d’entre nous, enfant dans la crèche de Bethléhem et non prince à la cour du roi Hérode, voire en dieu antique venant sur terre berner les humains.

Il est légitime de tordre le cou à l’interprétation biologique miraculeuse, ou tout au moins de ne pas la considérer comme centrale. L’Evangile ne nous propose pas un cours de gynécologie miraculeuse. Luc, tout au travers de son Evangile, et par ce langage imagé emprunté à son époque, veut nous dire qui est le Seigneur de l’Eglise : c’est Jésus, le Christ, vrai Dieu devenu l’un d’entre nous pour partager notre destinée humaine et l’inspirer. Dieu se fait serviteur dans la pâte humaine. C’est le sens de la naissance humble dans la crèche de Bethléhem.

Plus de Dieu maître des batailles mais Dieu avec les humains, Emmanuel, et Dieu sauve, Jésus. Dieu s’est incarné dans la faiblesse humaine, tout en restant lui-même. Toute puissance politico-militaire est abandonnée. Plus de Dieu nationaliste et génocidaire prisé dans l’Antiquité comme tout au long de l’Histoire ! C’est pourquoi Dieu s’est confié à la jeune femme de Nazareth, afin d’être l’un de nous tout en restant lui-même. Les vieilles notions de Dieu guerrier, tout puissant au sens politico-militaire sont périmées au profit d’une nouvelle vision d’un Dieu miséricordieux, qui s’incarne dans la pâte humaine.

Une nouvelle lecture de Dieu s’imposera dès le christianisme naissant : un Dieu qui se confie en l’humanité. Hélas cette lecture ne subsistera pas longtemps. Puisse-t-elle renaître à notre époque et pour chaque époque !

Amen !