Notre monde en panne

Par Yvan Bourquin, pasteur retraité

Cette année 2020, tout se met sous un seul toit : le confinement. Pour une bonne partie du monde. Pandémie oblige. Le monde est en panne.

Panne déjà évoquée, avec la maîtrise qu’on lui connaît, par l’écrivain Friedrich Dürrenmatt, dans son roman de 1956 intitulé précisément Die Panne.

Quand la panne de voiture se transforme en panne existentielle

Nous sommes d’accord, Dürrenmatt y décrit la panne individuelle d’un homme. Alfredo Traps, un représentant en textile, se retrouve un soir en panne non loin d’un village, où, faute de place, il doit passer la nuit dans la maison d’un juge à la retraite. Pendant le repas auquel Traps se joint à d’autres invités, le procureur à la retraite enclenche un véritable interrogatoire. Traps accepte ce soir-là de jouer à l’accusé. Après tout, chaque être humain a un petit « crime » à confesser ! Mais il prend son rôle bien trop à la légère et rien ne se déroule comme prévu…

Dans le cours du récit, la différence entre la culpabilité et l’innocence, entre la justice et l’injustice s’estompe, pendant que la toute-puissance des mots se déploie. La panne devient existentielle, elle n’épargne personne et nous met face à l’humain dans toute sa noirceur.

La panne planétaire

Revenons à notre actualité. Il ne s’agit nullement de notre noirceur, nous n’y sommes pour rien !

Vous voyez : l’auteur de ces lignes ne se range pas dans la lecture des événements que se font les « théoriciens du complot ». Non, la pandémie ne découle sans doute pas d’une erreur de manipulation dans une centrale secrète perfectionnant les armes biologiques. Elle aurait pu… Non, la pandémie ne découle sans doute pas non plus de l’accroissement exponentiel d’ondes électromagnétiques dû au développement planétaire des moyens informatiques. Elle aurait pu…

Elle n’a rien à voir avec une punition divine. Elle est le fruit du hasard. Une panne brutale, une panne planétaire, qui nous force à réfléchir – c’est probablement ce que penserait Dürrenmatt. Car nous avons tous à nous poser des questions sur la marche de notre monde, sur les priorités que nous mettons dans nos vies. Et le confinement, accompagné de l’angoisse généralisée devant la menace du virus, aura, on le sait, des conséquences incalculables au niveau économique ; certains en font déjà l’amère expérience dans leur vie quotidienne. Cela étant, nous pourrions nous demander : quel est le message ? Plus précisément : quelle lumière la semaine sainte peut-elle jeter sur ce « confinement » ?

La panne des disciples

  • Les disciples étaient confinés dans la chambre haute pour la Cène – mais Jésus était confiné avec eux. Ils s’étaient « retirés », « isolés » pour ce moment particulièrement intense ; celui des adieux – eux l’ignoraient, mais lui savait. Le dernier repas. Ce confinement était une retraite.
  • Après la mort de Jésus, c’est son corps qui était confiné dans un tombeau. Ce confinement-là n’était pas une retraite, mais plutôt un cloisonnement. On avait pris toutes les précautions : une très grande pierre bouchait le passage. Sait-on jamais.
  • Les disciples s’étaient aussi retirés de leur côté, par peur – c’était en quelque sorte un confinement. Dans la déception et dans l’angoisse. Pour échapper, si possible, à la rage destructrice des élites religieuses. Portes verrouillées. De nouveau un cloisonnement. Volontaire.

Comme nous le proclamons dans le Credo, la mort n’a eu aucun pouvoir d’emprisonnement sur le Vivant : elle-même a été terrassée. Mais les disciples étaient toujours morts… de peur. Alors le Christ leur a dépêché des messagères, Marie de Magdala et ses compagnes, puis il s’est fait voir à eux. Il n’a pas brisé la porte. Il a respecté leur confinement. Mais il leur a insufflé la Joie : « Ils n’arrivaient pas encore à croire, tellement ils étaient remplis de joie et d’étonnement. » (Luc 24,41)

Oui, je le concède, c’est surprenant : la joie d’abord, la foi ensuite. Dans la narration de Luc, aucun reproche n’est adressé aux disciples, du genre « hommes de peu de foi ». Leur doute est compréhensible. L’important, c’est que la joie, suivie de la foi leur ont redonné vie !

Nous aussi, en cette semaine sainte, nous sommes confinés.

Que nous puissions tous nous réjouir en Lui !

Joyeuses Pâques !