Ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur

Prédication du dimanche de la Réformation par le professeur de théologie Christophe Chalamet. Dimanche 7 novembre 2021 au temple de Rochefort

Lectures bibliques

41 Que viennent sur moi tes bontés, SEIGNEUR, le salut conforme à tes ordres. 42 Et j’aurai une parole pour qui m’insulte, car je compte sur ta parole. 43 N’ôte pas de ma bouche toute parole de vérité, car j’espère en tes décisions. 44 Je garderai sans cesse ta Loi, et à tout jamais. 45 Je marcherai à l’aise, car je recherche tes préceptes. 46 Devant des rois je parlerai de tes exigences, et je n’aurai pas honte. 47 Je me délecte de tes commandements que j’aime tant. 48 Je lève les mains vers tes commandements que j’aime tant, et je méditerai tes décrets. 49 Rappelle-toi la parole dite à ton serviteur, en laquelle tu me fis espérer. C’est ma consolation dans la misère, car tes ordres m’ont fait revivre. Les orgueilleux se sont bien moqués de moi, mais je n’ai pas dévié de ta Loi. Je me rappelle tes décisions de toujours, SEIGNEUR, elles sont ma consolation. La rage m’a saisi devant les infidèles qui abandonnent ta Loi. Tes décrets sont devenus mes cantiques dans la maison où je ne fais que passer.

La nuit, je me rappelle ton nom, SEIGNEUR, pour garder ta Loi. Ce qui m’appartient, c’est d’observer tes préceptes. Ma part, SEIGNEUR, ai-je dit, c’est de garder tes paroles. J’ai mis tout mon cœur à détendre ton visage, fais-moi grâce selon tes ordres. J’ai réfléchi à ma conduite et je ramène mes pas vers tes exigences. Sans perdre un instant, je me suis hâté de garder tes commandements. Les cordes des infidèles m’ont ligoté, ta Loi, je ne l’ai pas oubliée. En pleine nuit je me lève pour te célébrer à cause de tes justes décisions. Je m’associe à tous ceux qui te craignent et qui gardent tes préceptes. De ta fidélité, SEIGNEUR, la terre est comblée; enseigne-moi tes décrets.

Psaume 119,41-54
traduction TOB

 

Supposez qu’un arbre soit bon, son fruit sera bon; supposez-le malade, son fruit sera malade: c’est au fruit qu’on reconnaît l’arbre. 34 Engeance de vipères, comment pourriez-vous dire de bonnes choses, alors que vous êtes mauvais? Car ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur. 35 L’être humain bon, de son bon trésor, retire de bonnes choses; L’être humain mauvais, de son mauvais trésor, retire de mauvaises choses. 36 Or je vous le dis: les humains rendront compte au jour du jugement de toute parole sans portée qu’ils auront proférée. 37 Car c’est d’après tes paroles que tu seras justifié, et c’est d’après tes paroles que tu seras condamné.

Évangile de Matthieu 12,33-37
traduction TOB

Tout tourne autour de la Parole

Tout, dans la vie de la foi chrétienne et des communautés chrétiennes, tourne autour de la Parole. Tout dépend de la Parole. Il me semble que les deux textes bibliques que nous venons d’entendre le confirment, tout en élargissant de manière importante ce que nous pouvons comprendre par ce mot de « Parole ».

Les réformés se sont dès le début de la Réforme réclamés de la Parole : c’est elle qui devait devenir la « jauge » à partir de laquelle purifier et réformer le christianisme de l’époque. Il fallait de toute urgence se recentrer sur la Parole, l’écouter à nouveau, l’annoncer à nouveau.

Contrairement à une tendance assez forte en protestantisme, la Parole, ça n’est pas en premier lieu la Bible. La Parole, c’est Jésus lui-même, Celui qui vient de Dieu, qui vient au nom du Seigneur, pour manifester la volonté de Dieu, qui est volonté de vie et non pas de mort, pour manifester la bienveillance de Dieu, une bienveillance jamais molle et gentillette mais une bienveillance qui vient découvrir ce qu’il peut y avoir non seulement de bienveillant, mais aussi de moins lumineux voire de malveillant, en nous et dans nos actes.

Cette Parole, nous l’attendons, nous en guettons la venue, car nous savons qu’elle donne la vie.

Le psalmiste s’écrie : « Que viennent sur moi tes bontés, SEIGNEUR, le salut conforme à tes ordres. » Il n’est pas question ici d’un événement ancien, dans notre vie, quelque chose à commémorer ou à rappeler à notre souvenir, mais bien d’une demande instante : « que viennent sur moi, sur nous, tes bontés, Seigneur ! »

Car ces bontés qui sont données et qui sont donc aussi à accueillir, ça n’est rien d’autre que « le salut », c’est-à-dire la vie même de Dieu, que Dieu donne libéralement.

S’il y a commémoration, souvenir d’un événement passé, d’une parole passée, c’est plutôt à Dieu de s’en souvenir, selon le Psalmiste : « Rappelle-toi la parole dite à ton serviteur, en laquelle tu me fis espérer. »

Renversement intéressant ! Ce n’est pas l’être humain qui prie ou qui s’exhorte à se souvenir d’une parole reçue, qui fut source d’espérance, l’injonction ici vise Dieu même, elle s’adresse à Dieu : « Rappelle-toi la parole dite à ton serviteur, en laquelle tu me fis espérer »

L’espérance du psalmiste, l’espérance de la foi juive et de la foi chrétienne à sa suite, repose sur une parole « dite » par Dieu à ses serviteurs. L’espérance est fondée dans cette parole.

Cela dit, l’acte de se souvenir n’est pas simplement une question ou un appel adressé par le psalmiste à son Seigneur, au Seigneur de tous les humains et de tous les êtres vivants ou inanimés. Le psalmiste enchaîne : « Je me rappelle tes décisions de toujours, SEIGNEUR, elles sont ma consolation. » Il y a bel et bien une dimension du souvenir qui concerne l’être humain.

Et ici nous voyons que la Parole est non seulement source d’espérance, sorte de point d’ancrage qui permet à l’espérance de se déployer, elle est également « ma consolation ».

Comment ne le serait-elle pas, cette Parole qui prend les devants pour pardonner et embrasser, cette Parole qui nous libère de nos idoles et ouvre devant nous un chemin de liberté et de joie ?

La « rage » dont parle le psalmiste un peu plus loin à la vue des « infidèles » a de quoi nous effrayer : l’auteur commence à ressembler à un jihadiste… Mais ces mots de « rage » et d’« infidèles » peuvent être traduits un peu différemment, il s’agit de « l’indignation » qu’il éprouve à la vue des « méchants » qui foulent au pieds la Loi, donc ceux qui abusent l’étranger, la veuve et l’orphelin, qui agressent leur prochain.

« Tes décrets sont devenus mes cantiques dans la maison où je ne fais que passer. » Le psalmiste se réjouit de la parole de Dieu ; il chante les décrets de Dieu, il chante donc la volonté de Dieu. Cette volonté ne passe pas, alors que lui, le psalmiste, comme nous toutes et tous, « ne fait que passer ».

Mais en disant tout cela on ne prête attention qu’à un pan, certes décisif, du thème de la Parole. Car nous autres êtres humains nous sommes nous aussi des êtres de la parole. Nous avons été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, qui est lui-même le premier Parole.

Ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur

La parole est constitutive de qui nous sommes comme êtres humains. Elle n’est pas une fonction ou une donnée secondaire dans nos vies. La parole est constitutive d’abord comme parole reçue, entendue, dans le sens de notre mère, à l’écoute de la voix de nos parents. Nous reconnaissons la voix de nos parents à notre naissance car nous avons entendu ces voix avant même notre naissance.

La parole de Dieu, par contre, nous devons l’apprendre, être enseignés. Cet enseignement a à peu près disparu de notre société, en un siècle environ… Mais plutôt que de sombrer dans la nostalgie, cherchons ensemble des chemins pour que la Parole de Dieu soit méditée, écoutée, partagée, là où nous vivons, même très modestement !

Ce n’est pas en étant des communautés tristes, nostalgiques, que nous donneront le goût de la Parole à celles et ceux avec qui nous vivons !

Commençons d’abord par balayer devant notre propre propre avant d’accuser un monde sécularisé, sans Dieu, qui ne veut plus du christianisme et surtout de ses institutions !

Recherchons un contact avec la Parole de Dieu, seule à même de transformer nos tristesses en véritable joie, seule à même de faire nos communautés et de nous des arbres qui portent du bon fruit, plutôt que des fruits malades ou sans-goût.

« Car ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur » ! Voilà le nœud de l’affaire !

Vivre une vie qui a du sens passe par une transformation de notre cœur, que nos cœurs de pierre toujours à nouveau soient changés en des cœurs de chair, des cœurs qui palpitent, qui vibrent, qui pleurent avec ceux qui pleurent, qui se réjouissent avec ce qui sont dans la joie, des cœurs attentifs à ce que Dieu veut pour nous, à ce que Dieu donne, libéralement, gratuitement, avant même que nous ne le lui demandions.

La Réforme a tout recentré sur la Parole de Dieu, qui est le Christ, et dont témoignent les Écritures. C’est cette Parole, provenant de Dieu, qui est la source de la vie. Elle est la réalité qui, nous en ayant transformés de l’intérieur ou plutôt nous transformant petit à petit de l’intérieur, nous permet de produire du bon fruit plutôt que du fruit malade.

Ce bon fruit, cela signifie des paroles qui soutiennent et encouragent plutôt que des paroles qui heurtent, qui font du mal, qui rabaissent autrui. Ce ne sont pas forcément des paroles mielleuses et doucereuses, par contre ! Ce sont des paroles qui choisissent de dire la vérité même lorsque la vérité ne plaît pas ou ne va pas dans le sens du poil.

Nous sommes responsables de nos paroles, des mots qui sortent de notre bouche et qui révèlent ce qui est dans notre cœur, dans notre esprit.

Et quand, dans notre cœur, dans notre esprit, nous trouvons des choses pas très présentables, eh bien nous pouvons présenter cela devant Dieu, car nous pouvons nous tenir en vérité devant Dieu, avec nos joies comme aussi nos parts d’ombres, de jalousie, de peurs. C’est une très grande vérité de la vie de foi que nous pouvons nous présenter devant Dieu tels que nous sommes.

Dieu ne regarde pas à nos mérites ; Dieu prend les devants et nous rejoints par sa grâce, c’est-à-dire par le don de son amour, où que nous nous trouvions, même au plus profond de la dépression, de la tristesse ou du désespoir. Il n’y a pas de lieu si profond que Dieu ne puisse nous y atteindre et nous rejoindre, pour nous relever. C’est là l’une des implications ou des conséquences de l’espérance pascale, l’espérance fondée dans l’événement de la croix de Jésus et le relèvement du crucifié au troisième jour.

La distance qui nous sépare de Dieu a beau être grande, Dieu nous rejoint là où nous nous trouvons, non pas pour nous condamner, mais avec son pardon et le don de la réconciliation. Vivre de ce pardon, nous en réjouir, rendre grâce à Dieu pour le don de la vie et le don de son amour, témoigner de ce don autour de nous, devenir des témoins de cette bonne nouvelle là où nous vivons, voilà des sens possibles de la vie chrétienne et de la vie en Église.

Voilà la confiance et la conviction qui animé les réformateurs il y a 500 ans, la confiance qui a animé les protestants et beaucoup d’autres chrétiens pendant ce demi-millénaire, la confiance qui peut aujourd’hui encore nous animer nous, en 2021. Marchons, avançons dans cette confiance ! Voilà ce à quoi nous sommes toutes et tous invités. Amen !