Sauvé ! Oui, mais de quoi ?

Epître aux Hébreux 10,11-18 :

11Et tandis que chaque prêtre se tient chaque jour debout pour remplir ses fonctions et offre fréquemment les mêmes sacrifices, qui sont à jamais incapables d’enlever les péchés,
12lui, par contre, après avoir offert pour les péchés un sacrifice unique, siège pour toujours à la droite de Dieu
13et il attend désormais que ses ennemis en soient réduits à lui servir de marchepied.
14Par une offrande unique, en effet, il a mené pour toujours à l’accomplissement ceux qu’il sanctifie.
15C’est ce que l’Esprit Saint nous atteste, lui aussi. Car après avoir dit :
16Voici l’alliance par laquelle je m’allierai avec eux après ces jours-là,
dit le Seigneur :
En donnant mes lois,
c’est dans leurs cœurs et dans leur pensée que je les inscrirai,
17et de leurs péchés et de leurs iniquités je ne me souviendrai plus.
18Or, là où il y a eu pardon, on ne fait plus d’offrande pour le péché.

Evangile de Marc 10,42-45

42Jésus appela les dix autres disciples et leur dit : Vous savez que ceux qui paraissent gouverner les nations dominent sur elles en seigneurs, et que les grands leur font sentir leur autorité. 
43Il n’en est pas de même parmi vous. Au contraire, quiconque veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ; 
44et quiconque veut être le premier parmi vous sera l’esclave de tous. 
45Car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude

Quelqu’un me racontait avoir vu une de ces grandes affiches bleues sur laquelle figurait le verset des Actes des apôtres 4,12 : « Le salut ne se trouve en aucun autre ; car il n’y a sous le ciel aucun autre nom donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés. » Après le mot « sauvés », quelqu’un avait ajouté en gros caractères : de quoi ?

Christophe Chalamet, lors de la conférence de la Réformation, jeudi soir passé, nous disait que la notion de salut est assez confuse. On dit volontiers « salut » à quelqu’un, lui souhaitant ainsi, sans en mesurer la portée, d’avoir part au salut. Mais que lui souhaitons-nous, au juste ?

Pourquoi les humains auraient-ils besoin de salut ? Ou, pour mieux transcrire la question que beaucoup se posent, pourquoi moi – qui n’ai rien fait de mal – j’aurais besoin de salut ?

En effet, le simple fait de réaliser que nous ne pouvons pas nous sauver nous-mêmes est déjà salvateur. En effet, nous pouvons vivre très longtemps en nous considérant irréprochables et comme n’ayant besoin de personne pour avoir part au salut.

La prise de conscience que je ne suis pas toute-puissante, m’ouvre à plus grand que moi et peut m’ouvrir… à Jésus-Christ.

Mais encore faut-il bien comprendre son œuvre. En effet, certains milieux d’église qui comprennent les trois éléments de la trinité comme trois personnes distinctes, interprètent que Dieu aurait envoyé son Fils sur la terre pour mourir sur la Croix. On peut se dire : mais quel père terrible ! Envoyer son propre fils au casse-pipe ! Comment pourrions-nous faire confiance à un Dieu pareillement ingrat envers son fils ? Il ne peut être bon envers nous ! De ce fait, un certain nombre de personnes ne veulent pas croire en un tel Dieu, et je les comprends. Moi non plus, je ne croirais pas en un Dieu pareil ! Lorsqu’une personne me dit qu’elle ne croit pas en Dieu, j’aime bien lui demander en quel Dieu elle ne croit pas ; bien souvent, je peux lui dire que, moi non plus, je ne crois pas en ce Dieu-là.

Un point qui est essentiel à mon sens, c’est de bien saisir que le Christ n’est pas une émanation de Dieu, une sorte de rejeton que Dieu aurait « balancé » sur la terre, mais qu’il est Dieu lui-même. Jésus-Christ est Dieu qui s’abaisse lui-même et choisit d’offrir sa vie à la croix, par amour.

Une autre manière par laquelle on a souvent défiguré cette œuvre tellement extraordinaire, c’est en laissant croire qu’il aurait existé une loi qui exigeait que du sang soit versé pour que le pardon devienne possible. Et la lettre aux Hébreux pourrait nous induire dans cette impasse. Rappelons que cette épître s’adresse à des Juifs à qui on a martelé l’importance des sacrifices pour recevoir le pardon. Pour expliquer le pardon offert en Jésus-Christ, son auteur part donc de là où sont ses interlocuteurs. Mais c’est périlleux et surtout, cela ne fait plus sens pour nous qui n’avons pas ce même arrière-plan. Il ne faudrait pas croire que le Christ devait se sacrifier pour que le Père puisse pardonner.

Le rédacteur de cette épître essaie de montrer l’évolution entre les sacrifices à l’ancienne et celui de Jésus. Il affirme qu’on a beau offrir fréquemment des mêmes sacrifices à l’ancienne, ceux-ci sont incapables d’enlever les péchés. A l’inverse, l’œuvre du Christ est un sacrifice de type nouveau : ce sacrifice n’a pas besoin d’être répété pour avoir une portée absolue. Et l’auteur a l’air de se reprendre : au v. 12, il utilise le terme de sacrifice, alors que deux versets plus loin, il évoque une offrande, faisant allusion aux offrandes de bonne odeur qui brûlaient dans le temple, alors que des sacrifices sanguinolents avaient lieu sur le parvis du temple.  Une offrande a un caractère noble. « Offrande » a la même racine que « offrir ». C’est un don qui vient de Dieu. Mais comment comprendre ce terme : est-ce Dieu qui s’offre à lui-même une offrande ? Dieu le Fils offrant sa vie au Père ? Cela n’aurait aucun de sens. Non c’est Dieu, en Jésus-Christ, qui offre la libération au monde. Oui, c’est bien de libération qu’il s’agit.

Nous l’avons entendu en Marc 10,45, « le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie afin de libérer la multitude ». Malheureusement, ce verset est lui aussi traduit généralement par une formulation répulsive : Le Fils de l’homme serait venu « donner sa vie en rançon pour la multitude ». En effet, le terme de rançon est lui aussi piégé : qui réclame la rançon pour nous libérer ? Serait-ce Dieu ? Quelle image terrible cela donnerait de lui ! En fait, le mot « lutron » que nos Bibles traduisent par « rançon », vient du verbe « luô » dont le sens premier est « délier, détacher, délivrer ». Cela nous éclaire : Le Fils de l’homme est venu pour donner sa vie afin de délier, délivrer, libérer.

Mais nous libérer de quoi ? Nous retrouvons la question qui était griffonnée sur la grande affiche : Nous sauver de quoi ? Eh bien, de nous-mêmes ! De la tentation d’être notre propre Dieu, de se suffire à nous-mêmes, d’être égocentrés, de n’avoir besoin ni des autres, ni de Dieu. Ainsi donc, Jésus-Christ nous libère de nous-mêmes, de l’oppression de soi, pour nous ouvrir à plus grand que soi. Symboliquement, j’ouvre mes bras pour que l’Autre m’accueille et me sauve. Je suis libérée de moi-même. J’existe par et pour Dieu, qui me remplit de l’intensité de sa vie. Je n’ai plus besoin de me prouver que je suis parfait ; cela ne compte pas pour lui, la plénitude de sa présence est plus merveilleuse que tout. C’est cela, le salut : le salut survient en moi dès que je reçois l’intensité de la présence de Dieu. Ce Dieu n’exige pas ma repentance préalable pour s’approcher de moi. Je le découvre au plus profond de moi comme le Dieu qui m’accueille et me libère. C’est alors que ma vie est transformée, parce que je suis délivrée de moi-même. Sauvée de mon moi tentaculaire. Notre texte affirme que Jésus-Christ, par son offrande, nous sanctifie et nous mène à notre accomplissement.

C’est pourquoi nous pouvons dire que le salut commence maintenant déjà. Il n’y a pas besoin de l’attendre dans notre vie de l’au-delà. Le salut, c’est cette plénitude de la présence de Dieu qui me comble et me ravit. Plus de sensation de vide en moi, Dieu le remplit et me libère des multiples pressions que cette société m’impose. La présence de Dieu m’apaise et me rassure. Il est là, tout au fond de moi et donne valeur à ma vie.

Merci, Seigneur, pour ton salut. Pour tous les bienfaits qu’il m’apporte et pour la qualité de vie que ta présence me donne. Merci pour un don si merveilleux !

Amen