Vaincre le mal par le bien

Prédication du dimanche 20 février 2022 à Auvernier.
Lectures bibliques: 1 Samuel 26,7-18 ; Romains 12,17-21 ; Luc 6,27-39

Brève mise en contexte du récit du premier livre de Samuel

Saül, grand roi du royaume d’Israël unifié choisi par Dieu et désigné par le prophète Samuel, fut un rassembleur. Mais peu à peu il s’éloigna de la volonté de Dieu et, nous dit l’auteur du livre biblique, il perdit ses faveurs. Saül était un homme de caractère. Un homme aussi sujet à des sautes d’humeur. Pour le calmer, un jeune berger nommé David venait lui jouer de la harpe. Le roi s’attacha à ce jeune homme. Puis David commença à faire de l’ombre au roi, et par jalousie ou par peur de la concurrence peut-être, l’affection de Saül pour David se transforma en une haine incontrôlable. Il chercha plusieurs fois à attenter à sa vie. Lorsque David se décida à fuir le royaume pour sauver sa peau, Saül le poursuivit avec sa garde rapprochée pour aller le tuer. Le soir tombe, Saül établit son campement pour la nuit. Vous découvrirez la suite en lisant le chapitre 26 du premier livre de Samuel.

Une distance immense

Une image marquante qui a fait la une de tous les médias ces derniers jours est l’immense table du Kremlin. Assis à un bout Vladimir Poutine et très loin à l’autre bout, Emmanuel Macron. Un meuble gigantesque, blanc laqué avec des pieds en colonnades plaquées or. On connaît l’habileté du président russe en matière d’image et de communication. Le choix de cette table, justifiée par la distance sanitaire qu’il convient de maintenir entre les deux chefs d’État, n’est pas le fruit du hasard. Ce qui aurait pu être l’image de deux hommes assis à la table des négociations est devenue celle d’une distance abyssale entre la Russie et le monde occidental.

Ce qui se passe actuellement en Ukraine est extrêmement inquiétant et je trouve difficile de saisir les enjeux de cette crise. Enjeux géopolitiques, conflits religieux et rancœurs diverses se mêlent, sans parler des guerres d’ego, frustrations et démonstrations de force de la part d’individus qui entraînent des peuples entiers dans leurs guéguerres de chefs. Les textes de ce dimanche nous font faire un pas dans le passé, au temps d’un autre roi dont le pouvoir avait fait perdre le sens des réalités.

David renonce à tuer Saül

Saül poursuit David dans une intention très claire : le tuer. Et voilà que dans la nuit, l’occasion est donnée à David de transpercer Saül avec sa lance. S’il le fait, la menace qui plane sur lui disparaît et, cerise sur le gâteau, il prendra sa place sur le trône. David a donc un intérêt politique à tuer Saül, mais il a aussi une raison évidente : sa seule certitude que Saül ne cherchera plus à le tuer est de le savoir mort. Pourtant, il choisit de ne pas le faire. Quand bien même son compagnon lui dit : Dieu livre ton ennemi à ton pouvoir. David refuse de « régler le dossier » en tuant le roi.

Et se pose ici une question importante : Quelle est la volonté de Dieu ? Une question que nous devrions prendre le temps de nous poser dans les situations clés de l’existence. Pour Abichaï, la réponse est claire : si Saül et ses compagnons sont ainsi plongés dans un profond sommeil, c’est que la volonté de Dieu est de livrer le roi à David. L’occasion lui est donnée de le tuer, il faut la saisir car ce n’est personne d’autre que Dieu qui a permis cette configuration. Pour David, on ne tue pas impunément un homme, encore moins un homme choisi par Dieu pour être roi, quand bien même celui-ci s’est éloigné du droit chemin.

Face à une même situation, les deux hommes n’ont pas la même interprétation de ce qu’est la volonté de Dieu. Accomplir sa volonté n’est pas une évidence. Sa compréhension est soumise à l’interprétation humaine. Mais chez l’un et chez l’autre il y a le souhait d’accomplir dans leurs gestes ce que Dieu veut. David et Abichaï emportent la lance et une cruche d’eau. A leur réveil, Saül et les siens prennent conscience de la menace qui a plané sur eux durant la nuit. La mort les a frôlé. Savoir que David aurait pu mais qu’il ne l’a pas tué produit l’effet escompté. Saül renonce à poursuivre David. Un peu plus loin dans le texte, Saül bénira David, avant qu’ils en repartent chacun de leur côté.

Ils ne deviendront pas pour autant meilleurs amis, nous ne sommes pas dans un film de Walt Disney, mais ni l’un ni l’autre ne cherchera plus à attenter à la vie de l’autre.

Vaincre par le bien

Cet épisode du royaume d’Israël illustre ce que Paul écrira plusieurs siècles plus tard à la communauté chrétienne de Rome : Ne te laisse pas vaincre par le mal. Sois au contraire vainqueur du mal par le bien. Nous sommes ici au cœur de l’éthique chrétienne du refus de la vengeance, du coup de frein dans l’escalade de la violence, … en un mot de l’amour de l’ennemi.

La religion chrétienne est en perte de vitesse aujourd’hui dans le monde. Elle s’amoindrit au profit d’autres formes de spiritualité d’un part, et d’une forme de désespérance d’autre part. Et je crois qu’il est important d’affirmer aujourd’hui une foi incarnée, de laquelle découle une éthique concrète, porteuse d’une justice va parfois à l’encontre des valeurs du monde. L’éthique chrétienne est aujourd’hui encore – et peut-être plus encore que jamais – pertinente et interpellante.

Aimez vos ennemis.
Faites du bien à ceux qui vous haïssent.
Bénissez ceux qui vous maudissent.
Priez pour ceux qui vous maltraitent.

Les diplomates tiennent-ils de tels propos ?!? Ce qui se dit autour des tables de négociation, quelles soient petites ou immenses, demeure dans le secret de l’Histoire. Mais la destinée du monde repose parfois sur très peu. La bonne parole dite au bon moment, l’interprétation d’un mot ou d’une situation et tout peut basculer. Et que pouvons-nous faire, nous, ici ? Notre capacité d’action réside dans la prière. Que Dieu puisse créer l’étincelle. Non pas celle qui met le feu aux poudres mais celle qui allume les consciences.

La règle d’or

Aimer ses ennemis demande une grande force intérieure. Cette exhortation est totalement paradoxale. Car si c’est mon ennemi, c’est bien que je ne l’aime pas. Et si je l’aime alors il n’est plus mon ennemi. Remarquez que Jésus ne demande pas que nous ayons de l’affection pour celles et ceux qui nous font du mal. Il nous demande d’agir. Prier, bénir, faire du bien. Aimer l’autre, c’est le faire grandir. Parvenir à aimer son ennemi, c’est arriver à le considérer comme un enfant de Dieu au même titre que moi, c’est donc aussi changer de regard sur lui ou sur elle. Et de même que pour David et Abichaï, c’est laisser Dieu entrer dans l’équation.

D’une pure relation horizontale, avec deux fronts qui se font face et s’affrontent, laisser une place à Dieu c’est permettre à la relation de devenir triangulaire. C’est sortir du face à face, configuration dans laquelle les fronts ne peuvent que se durcir.

L’amour des ennemis est au cœur de l’éthique chrétienne. Mais dans beaucoup d’autres religions on retrouve ce que l’on appelle la règle d’or : Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse!
Cette règle est universelle. Elle balise la vie en société et à émerger dans toutes les régions du monde. On la retrouve dans l’islam, le bouddhisme, l’hindouisme et le judaïsme. Toutes les grandes religions du monde la proclament comme règle.

Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse. C’est ainsi que je viens de formuler cette règle d’or. Mais si nous regardons de plus près dans l’évangile, cette règle est dite un peu différemment : Faites pour les autres exactement ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous.

La règle d’or est formulée de manière positive. Spécificité chrétienne. Car l’amour chrétien est une action. Aimer demande d’être pro-actif et d’agir en faveur de l’autre qu’il soit le prochain pour lequel j’ai de l’affection, ou même celui ou celle qui me fait du mal. Aimer l’autre, c’est lui permettre de grandir.

Aimer. Faire du bien. Prier. Bénir : Agir!
Et tout cela ne repose pas uniquement sur nos propres capacités. Que Dieu nous donne les forces nécessaires pour vivre concrètement l’évangile dont nous nous réclamons!

Amen

Prière d’intercession

Rassemblé·es ce matin en ton nom, nous te prions, Seigneur.
Pour les hommes et les femmes dont les décisions ont un impact sur des populations entières.
Que les tensions, les enjeux politiques, les frustrations, la haine ne se transforment pas en conflits armés.
Nous te prions pour chaque individu engagé dans les discussions diplomatiques.

Rassemblé·es ce matin en ton nom, nous te prions, Seigneur.
Pour toutes les personnes qui ont vécu l’injustice, la violence, le rejet.
Qu’elles ne trouvent jamais dans la vengeance l’illusion de la revanche
mais qu’elles trouvent justice dans l’amour et dans la paix donnés et reçus.

Rassemblé·es ce matin en ton nom, nous te prions, Seigneur.
Pour celles et ceux pour lesquels nous peinons à ressentir de l’affection.
Les personnes qui nous ont fait du mal, qui nous ont blessé·es,
qui ont eu des paroles destructrices à notre égard.
Nous te prions pour elles.

Et si il est trop dur pour moi de te prier pour une personne qui me vient à l’esprit car la blessure est encore trop vive,
je te prie de me donner la force, un jour, de parvenir à prier pour lui ou pour elle.

Oh Dieu, tu comptes sur les croyants et les croyantes pour être tes témoins dans le monde.
Donne-nous la force nécessaire pour porter ton Évangile en paroles et en actes. Amen