Peut-on décemment se réjouir au sein des épreuves les plus terribles de nos existences ?

Nicole rend visite à Joséphine (prénom d’emprunt), une amie de longue date qui vit dans la campagne belge. Il y a un an, elle a perdu son mari, un ouvrier agricole de 56 ans. Il a été victime d’un accident lorsqu’il réparait une machine. Celle-ci l’a écrasé.

Cette femme, paroissienne de longue date, mère de quatre enfants vit dans le contexte d’une famille très engagée dans la foi. Quelques mois plus tard, Nicole va lui rendre visite.


Joséphine : Nicole, j’ai quelque chose à te montrer. C’est un texte qu’on a abordé dans le cadre d’un groupe de lecture au sein de la paroisse.  Il m’a mise hors de moi. Il se trouve dans l’épitre de Jacques :

Mes frères, considérez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves que vous pouvez rencontrer, sachant que l’épreuve de votre foi produit l’endurance. 

Or il faut que l’endurance accomplisse son œuvre pour que vous soyez accomplis et parfaits à tous égards, et qu’il ne vous manque rien. Prier pour la sagesse

Si l’un d’entre vous manque de sagesse, qu’il la demande à Dieu qui donne à tous généreusement et sans faire de reproche, et elle lui sera donnée. 

Mais qu’il la demande avec foi, sans la moindre hésitation ; car celui qui hésite est semblable au flot de la mer que le vent agite et soulève. 

Qu’un tel homme ne s’imagine pas recevoir quoi que ce soit du Seigneur : c’est un homme à l’âme partagée, inconstant dans toutes ses voies.

Jacques 1,2-8

Nicole : Qu’est-ce qui t’a mise comme ça hors de toi, Joséphine ?

Joséphine : Eh bien, pour moi, c’est impossible ! La joie, elle a disparu de ma vie ! Je ne comprends pas comment la terrible épreuve que je subis pourrait se vivre dans la joie.

Nicole : Oui, je te comprends, « Considérez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves que vous pouvez rencontrer »… cela ne peut pas te concerner dans ce que tu vis. L’épreuve que tu traverses est terrible ! Vouloir la vivre dans la joie serait insensé. Cela reviendrait à nier tes émotions, ton ressenti.

Joséphine : Oui, mais ce texte ne s’arrête pas là, la suite aussi me culpabilise. L’auteur met la barre tellement haut,  je ne vais jamais y arriver ! Cela me donne le sentiment d’être exclue. Jacques a l’air de dire que c’est simple d’être joyeux dans l’épreuve, mais j’aimerais qu’il vienne se mettre un seul instant dans ma peau !

Et comme si cela ne suffisait pas, il ajoute une parole cinglante : « Celui qui doute est semblable au flot de la mer que le vent agite et soulève. » Tu te rends compte ! Mais ce qui m’a achevée, c’est quand il dit : « Qu’un tel homme ne s’imagine pas recevoir quoi que ce soit du Seigneur » (v. 7) Cela me met dans une colère noire ! Vraiment, je ne me sens plus faire partie de la famille de Dieu. Tu ne t’étonneras pas si je te dis que depuis le décès de mon mari, je ne suis pas revenue à l’église. J’ai trop peur qu’on me serve un de ces jugements tranchants !

Nicole : Je comprends que ça te fasse peur. Dans ta situation, ce texte me fait mal.

Joséphine : Ça te fait mal ? Pourtant, c’est dans la Bible !

Nicole : Le fait que ce soit dans la Bible ne veut pas dire que ce texte soit bon pour toi en ce moment. Son auteur fait probablement allusion à des épreuves moins dramatiques que celle que tu vis. Mais il est clair que, dans ton expérience, il est impossible d’être joyeuse.

Joséphine : Ce texte n’est pas bon pour moi, mais alors… je dois choisir ?

Nicole : Ecoute, Joséphine, tu connais le Seigneur. Tu sais qu’il ne veut pas te faire porter un fardeau supplémentaire. L’épreuve que tu traverses est terrible et il le sait. Il aimerait être à tes côtés pour la traverser.

Joséphine : Eh bien, Dieu semble être très loin de moi.

Nicole : Il ne faut pas oublier que ce texte a été écrit par Jacques qui s’adresse à des personnes venant du judaïsme et converties à la foi chrétienne. On sent dans ce passage des propos caractéristiques de la foi juive, axée sur les commandements, les efforts à faire pour mériter le salut. C’est très moralisateur. En face de Jacques, il y avait Paul, qui avait travaillé chez les païens et qui était beaucoup plus axé sur le salut offert à tous, gratuitement. J’aime beaucoup ces textes de Paul qui nous aident à souffler, et qui nous redonnent courage en nous présentant un Dieu bienveillant, tout proche, qui nous comprend. Comme par exemple : « L’Esprit de Dieu affirme lui-même à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu » (Romains 8,16).

Joséphine : Ça me fait du bien de t’entendre, c’est de ça que j’ai besoin, mais ce qui m’étonne, c’est que tu as l’air de choisir les textes qui te plaisent. Est-ce qu’on peut faire ça avec la Bible ?

Nicole : Te souviens-tu de la mort de Samson, ce juge en Israël ? Il avait perdu toute sa force et ses ennemis s’étaient emparés de lui et l’avaient torturé, puis le gardaient emprisonné. Mais les cheveux de Samson ont repoussé et sa force lui a été rendue. Un jour, les Philistins célébraient une grande fête et ils ont voulu exhiber leurs prisonniers dans leur temple. Samson a fait s’écrouler les colonnes proches de lui et le temple païen s’est effondré, tuant 3’000 personnes.

Joséphine : Mais c’est l’horreur ! Comment Dieu a-t-il pu permettre tout ça ?

Nicole : Toute la question est de savoir si c’est Dieu qui l’a inspiré. Samson s’était montré décevant dans toute sa vie de juge. C’était un homme violent et sans nuances. Croire que Dieu est avec lui dans ce dernier acte terrible, c’est donner de Dieu une image extrêmement violente et dépourvue d’amour. Aujourd’hui, on donne un nom à ce que Samson a fait : c’est attentat-suicide. Aucun chrétien ne voit l’action de Dieu derrière un attentat-suicide quel qu’il soit. Il nous faut donc nous poser la question : est-ce bien Dieu qui l’inspirait ? Le texte pourrait le laisser entendre, mais ce que je propose, c’est de purifier cette image de Dieu qui le discrédite.

Joséphine : Que veux-tu dire par là ? Est-ce que certains textes de la Bible véhiculent des images de Dieu qui ne lui correspondent probablement pas ?

Nicole : Oui, la Bible a été écrite par des humains, qui étaient eux aussi en chemin dans leur perception de Dieu.

Joséphine : Je vois que tu te sens très libre par rapport à ces récits.

Nicole : Je crois que Dieu est venu en Jésus-Christ nous révéler qui il est. Il ne s’agit pas de choisir un passage ou l’autre, mais de les passer tous au crible du Dieu qui nous apparaît dans la vie de Jésus. Le Dieu qui se manifeste en Jésus-Christ n’est pas un Dieu violent.

Joséphine : On trouve souvent l’image d’un Dieu violent dans l’Ancien Testament !

Nicole : Disons qu’il y a aussi, heureusement, des images extraordinairement belles dans l’Ancien Testament, et des traces de violence dans le Nouveau Testament, si on pense à Ananias et Saphira ou à certaines scènes de l’Apocalypse.

En résumé, tout texte ne convient pas à n’importe qui, n’importe quand.

Tu as le droit, effectivement, de choisir ce qui te fait du bien et qui te rapproche de Dieu dans ta situation, car tu as tellement besoin qu’il te soutienne. Il ne faut pas t’embarrasser de ce genre de texte qui t’abat encore plus et risque même de t’éloigner de Dieu.

Joséphine : Oui, c’est vrai, ça me soulage. J’aurais tellement besoin de trouver une nouvelle relation avec lui.

Nicole : Amen ! C’est vraiment là mon souhait pour toi.