Seigneur, tu m’as séduit et je me suis laissé prendre ; tu m’as forcé la main, tu as gagné. À longueur de journée, on rit de moi, tous se moquent de moi.
Chaque fois que je parle, il me faut hurler, dénoncer à grands cris la violence et l’oppression. Et quand j’ai à proclamer une parole de ta part, je subis toute la journée des moqueries et d’autres insultes.
Si j’en viens à me dire : Je veux l’oublier, je ne parlerai plus de la part de Dieu, il y a alors au plus profond de moi comme un feu intérieur qui me brûle. Je m’épuise à le maîtriser, mais je n’y parviens pas.
Jérémie 20,7-9
Frères et sœurs, puisque Dieu a ainsi manifesté sa bonté pour nous, je vous invite à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant, qui appartient à Dieu et qui lui est agréable. C’est là le véritable culte conforme à la parole de Dieu.
Ne vous conformez pas aux habitudes de ce monde, mais laissez Dieu vous transformer et vous donner une intelligence nouvelle. Vous discernerez alors ce que Dieu veut : ce qui est bien, ce qui lui est agréable et ce qui est parfait.
Romains 12,1-2
S’offrir soi-même en sacrifice vivant… qu’est-ce que cela suscite en vous ? Un sentiment de joie, de bonheur ? Ou une aspiration au masochisme et à trouver votre plaisir dans la souffrance ? Je suis surprise de m’apercevoir que ce terme est perçu davantage sous la forme macabre de la douleur volontaire que sous l’angle joyeux du service à son papa du ciel.
Pourtant, lorsque Paul nous encourage à nous offrir nous-mêmes comme sacrifice vivant, il nous propose de le faire en réponse à la tendresse maternelle que Dieu nous manifeste. Chouraqui va jusqu’à parler « des matrices d’Elohim », en allusion à la joie de la maman qui porte son enfant en elle et qui se réjouit de pouvoir l’offrir à la vie et le voir évoluer, grandir, s’épanouir. Dieu est celui qui, simultanément à notre mère, nous a portés, chéris, aimés. Rien à voir bien sûr avec le côté parfois sanguinolent d’un accouchement.
Ce Dieu-là, dont la matrice vibre pour nous en résonnance à notre venue à la vie, pourrait-il souhaiter que nous nous fassions du mal pour lui plaire ? Cela me semble difficilement concevable. Mais alors, pourquoi avons-nous interprété que s’offrir en sacrifice vivant reviendrait à se sacrifier soi-même ? Notez que ces deux termes « sacrifice » et « vivant » ont un côté paradoxal : le sacrifice d’un animal, sous l’ancienne alliance, utilisait la mort dans sa fonctionnalité sanctifiante et réparatrice. Mais un « sacrifice vivant » offre une nouveauté de sens. Ce sacrifice-là ne tue plus ! Un sacrifice vivant ouvre à une qualité de vie différente, inaugurée non par notre mort, mais par celle du Christ.
Si Christ est mort une fois pour toutes et tous, vouloir se sacrifier soi-même ne revient-il pas à mépriser le sacrifice entièrement suffisant accompli par le Christ ? Mais alors, qu’est-ce que cela peut bien signifier que de s’offrir soi-même en sacrifice vivant ? Tout d’abord, il ne s’agit pas d’offrir nos corps, comme si nos corps étaient porteurs de péchés qu’il fallait expier. Non, l’expression « offrir nos corps » est une manière de nommer une partie pour indiquer le tout : offrir nos corps, c’est s’offrir soi-même, offrir toute sa personne, tout son être dans un acte de consécration à Dieu. Ne rien retenir, ne rien garder pour soi, mais être totalement dans le don de soi à Dieu. C’est cela un sacrifice vivant, joyeux, heureux, vécu dans le prolongement de cet amour matriciel reçu de Dieu.
Ainsi donc, on est appelés à d’abord recevoir, avant de souhaiter donner. Se laisser remplir, combler avant de tenter de déverser à notre tour de cette abondance d’amour reçue de Dieu. Ainsi donc, nous pouvons nous ouvrir à un fonctionnement comparable à celui des poumons : ils se remplissent avant de pouvoir donner. Le geste qui sauve dans les premiers secours, c’est celui d’insuffler de l’air dans les poumons pour qu’il puisse réoxygéner le sang de la personne, amener l’oxygène dans tous les tissus du corps et ainsi leur redonner vie. L’amour de Dieu a lui aussi besoin de pénétrer en nous et de rayonner dans tout notre être, corps, âme, esprit pour nous donner sa vie.
Ne pas nous conformer au temps présent devient alors une évidence : la présence de Dieu qui circule en nous, nous transforme de l’intérieur. C’est pour cela que Paul dit : « N’entrez pas dans le schéma du monde, ne vous laissez pas modeler par le monde, ce serait faire fi de l’œuvre de Dieu en vous qui vous transfigure, comme elle a transfiguré Jésus lors de la rencontre avec Moïse et Elie sur le mont Thabor. C’est une question de priorité : la métamorphose de l’être intérieur doit primer sur l’influence de l’environnement. L’écoute de Dieu doit être prioritaire sur l’écoute du monde environnant.
Cela signifie-t-il qu’il faille être systématiquement en décalage avec la société qui nous environne ? Heureusement pas. On a trop souvent pensé que, être transformé par le renouvellement de l’intelligence, voulait dire s’opposer à la modernité, comme si adhérer à des valeurs vieillottes était préférable au fait d’adhérer à des valeurs actuelles. Or, c’est du pareil au même : dans les deux cas, on se laisse influencer par l’extérieur au lieu de donner la priorité à ce qui rayonne de l’intériorité de l’être. Refuser le progrès pour être vieux jeu n’apporte rien. C’est l’écoute de Dieu qui compte, car c’est elle qui renouvelle notre intelligence. Elle apporte donc de la nouveauté et non un retour en arrière. Elle pousse en avant, elle stimule, elle ouvre à une pensée renouvelée qui justement bouleverse les ornières du passé, remet en question les choses qu’on pensait immuables, apporte des éclairages inédits dans des domaines inexplorés. C’est cela, me semble-t-il, le renouvellement de l’intelligence.
Nous offrir nous-mêmes en sacrifice vivant, ce n’est donc pas aspirer à la souffrance, ce n’est pas non plus la craindre, mais vivre une sorte de lâcher prise pour donner la priorité à ce que nous ressentons être la volonté de Dieu : ce qui est bien, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait.
Jérémie, dont nous venons d’entendre le témoignage, n’a pas vécu que des expériences positives en lien avec son service du Seigneur. En particulier, il souffre de la moquerie et du manque d’estime face au message dont il se sent porteur. Alors, dit-il, j’ai voulu oublier Dieu, ne plus parler de sa part, mais… « il y a alors au plus profond de moi comme un feu intérieur qui me brûle. Je m’épuise à le maîtriser, mais je n’y parviens pas. » (Jérémie 20,9). Oui, l’appel de Dieu est puissant. Il est difficile d’y résister, peut-être que certain.e.s d’entre vous l’ont expérimenté, mais dans ce cas, vous avez aussi pu découvrir combien il apporte de joie. Il donne la force de tenir bon face aux difficultés.
Jésus l’a lui aussi expérimenté. Quand il était au jardin de Gethsémané, il a hésité. Il s’est demandé : J’y vais ou j’y vais pas ? Et pourtant, quand Pierre lui dit que ça ne lui arrivera pas, il lui demande de se taire. Son appel à donner sa vie pour que tous les hommes et les femmes puissent recevoir le pardon et la vie éternelle, cet appel est comme un feu intérieur bien plus fort que toutes ses peurs et ses appréhensions. Jésus a replacé la volonté du Seigneur au premier plan.
Depuis que Jésus a accompli ce sacrifice mortel, nous n’avons plus à en réaliser. Au contraire, c’est à un sacrifice vivant que nous sommes appelés, mais c’est le plus exigeant qui soit, puisque c’est celui de tout notre être. Il est à considérer comme un culte spirituel, c’est à dire la meilleure manière de servir Dieu. Alors réjouissons-nous de pouvoir offrir à Dieu un sacrifice vraiment vivant !