Journal de confinement

Comme nous l’avons indiqué lundi sur ce site, nous avons à coeur de donner carte blanche à ceux d’entre vous qui aimeraient s’exprimer, partager une réflexion qui puisse enrichir notre réflexion, notre vie spirituelle. Aujourd’hui, c’est André Feller qui a répondu à cet appel.
A lui la parole.

Journal d’un confinement

Qui ne connaît pas le « Journal d’Anne Frank » ? Et pourtant, il y a d’autres œuvres littéraires qui ont pour thème le confinement. La pièce radiophonique de Günter Eich, « Les Jeunes Filles de Viterbo », parue en 1958, en est un autre exemple.

Dans un appartement de Berlin, à la Prinzregentenstrasse, en octobre 1943, vivent cachés depuis 3 ans dans une pièce aux fenêtres obscurcies deux personnes pourchassées par la Gestapo, Robert Israel Goldschmidt, 70 ans, et sa petite-fille Gabriele Sarah Goldschmidt, 17 ans. Tous deux vivent le confinement dans le regret et l’inquiétude, dépendant du bon vouloir de leur logeuse pour la nourriture et pour les informations, craignant autant les bombardements que la perspective d’être découverts.

Là-aussi, « sortir » signifie aller au-devant de dangers, au péril de sa vie.

Comment passer le temps, si long ? Comment se rappeler les jours de la semaine, les dates, quand chaque jour ressemble au précédent ? Comment se supporter l’un l’autre quand on est en permanence ensemble dans un endroit exigu ? Gabriele a découvert dans la chambre une coupure de journal dont l’un des articles incomplet relate un fait divers : l’excursion d’une classe d’une école de jeunes filles de Viterbo accompagnées de leur professeur dans les catacombes de Rome. La classe s’est perdue dans ce dédale de couloirs et de tunnels et ne retrouve plus la sortie. La fin de l’article manque, déchiré, et Gabriele confinée à Berlin se met à imaginer un ou plusieurs scénarios possibles pour terminer l’histoire. Un premier est que le copain d’une des élèves la recherche avec tout son amour et la retrouve,  elle et toutes les autres, un happy-end, une super love story. Le grand-père trouve cette issue trop kitch. Une autre fin est que les élèves se séparent et vont chacune de leur côté pour trouver une issue. Certaines y arriveront, d’autres échoueront. Aucune solidarité, chacun pour soi. Goldschmidt rejette aussi cette fin. Une troisième issue consiste à accepter la situation, non pas passivement, non pas une résignation, mais pour Gabriele reconnaître comme sienne son identité de Juive pourchassée par les nazis. C’est cette réponse que Gabriele et son grand-père choisissent, et au moment de leur arrestation, ils seront prêts et pourront regarder leurs bourreaux en sachant qui ils sont.

Certes, les jeunes filles de Viterbo sont en danger dans l’obscurité de leur confinement, prisonnières des catacombes, alors que Gabriele et son grand-père sont en danger quand ils sortent de chez eux à la lumière du jour. Qu’à cela ne tienne ! L’histoire en miroir permet d’avancer dans la compréhension de soi et des autres.

Nous-aussi vivons des situations peut-être difficiles, mais en ce qui me concerne bien moins tragiques. Il est bon de se rappeler ce qu’est l’Homme, une créature intelligente certes, mais avec ses limites, celles de sa finitude. La transcendance appartient à Dieu.  Nous qui aimons tout organiser selon notre bon-vouloir, nous sommes bien remis en place ! Je souhaite que chacun de vous reste en bonne santé et qu’il garde le moral en se regardant dans le miroir.

A.F. / 28.04.2020

P.S. Je n’ai pas trouvé les œuvres de Günter Eich traduites en français. En allemand, le livre est disponible dans toutes les librairies et online. Une version audio gratuite est disponible sur Youtube.