Une femme apôtre ? Culte à la maison

Lectures introductives : Luc 8,13  et  24,1-12.

On a beaucoup parlé de Marie de Magdala lorsque le roman Da Vinci Code l’a présentée comme l’amante de Jésus, avec qui elle aurait eu un enfant, ce qui n’est attesté par aucune source. Voyons donc d’un peu plus près qui est cette femme qui va suivre Jésus jusqu’au bout, même lorsque tous les disciples masculins l’auront laissé tomber.

Selon les textes bibliques, elle fait partie des femmes disciples qui accompagnent Jésus et financent son ministère. Elle appartient également au groupe des femmes qui ont été guéries par Jésus. Souvent, on l’a confondue avec la femme pécheresse qui lave les pieds de Jésus avec ses cheveux.

Lorsque Luc énumère des femmes, elle est toujours la première citée, comme Pierre est toujours le premier des apôtres masculins à être cité.

Si son prénom « Marie » est fréquent, l’attribut qui le suit est particulier : Magdala correspond probablement au nom de la ville d’origine de cette femme en Galilée, alors que les habitudes étaient de nommer la femme selon son appartenance à un homme (son père, son frère ou son mari). C’est un peu comme si on l’avait appelée Marie de Montmollin ( !). Cette manière de nommer Marie de Magdala révèle son indépendance, qu’elle soit célibataire, veuve ou divorcée. De même, son choix de suivre Jésus dans ses pérégrinations, révèle qu’elle n’a soit pas d’attache – ni mari, ni enfant – soit qu’elle a tout quitté pour suivre Jésus. C’est en tous cas ainsi que le réalisateur australien Garth Davis la décrit, lui qui a réalisé le film intitulé précisément « Marie Madeleine », sorti en mars 2018 en Suisse romande. Dans ce film, alors que son père aimerait la marier, Marie-Madeleine n’a qu’un seul rêve, suivre ce prédicateur itinérant. Au risque de décevoir son père et toute sa famille, elle s’enfuit pour aller retrouver Jésus et ses disciples, qui ne sont pas tous très enchantés qu’il y ait une femme disciple parmi eux. Le réalisateur fait là un certain nombre d’hypothèses, qui ne sont peut-être pas si éloignées de la réalité. Ce qui semble clair, c’est l’indépendance de Marie de Magdala, et on peut se demander si cette indépendance ne serait pas une condition pour devenir une intermédiaire de la parole divine.

Dans l’Évangile de Jean, c’est à elle que le Christ ressuscité apparaît en premier. Il l’appelle par son prénom « Marie » et elle lui répond «Rabbouni», c’est à dire « Maître » ; il l’envoie en mission pour annoncer un véritable changement de la relation entre Dieu et son peuple : « Pour toi, va trouver mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père, qui est votre Père, vers mon Dieu qui est votre Dieu ». C’est elle qui est chargée d’annoncer que dorénavant, c’est l’ensemble des croyants qui sont appelés enfants de Dieu. Ce message, qui est un des fondements du christianisme, c’est Marie de Magdala qui est chargée de l’apporter aux disciples. C’est en ce sens qu’elle est une intermédiaire entre divin et humain.

Son rôle majeur d’intermédiaire lui vaudra le titre d’ « apôtre des apôtres » depuis Hippolyte de Rome, en passant par Thomas d’Aquin, jusqu’aux derniers papes.

Selon Paul, le statut d’apôtre est le plus important, suivi de près par celui de prophète. En tant qu’envoyé en mission, il se qualifie lui-même d’apôtre. Selon sa conception, Marie de Magdala devrait l’être aussi, même si Paul ne lui reconnaît pas ce titre, puisqu’il ne la mentionne même pas.

À la fin du XIXe siècle, on a découvert un évangile apocryphe rédigé au nom de Marie, un manuscrit copte probablement rédigé entre 150 et 200 après J.–C. Ce texte la présente comme la disciple préférée de Jésus. Elle est la destinataire privilégiée de révélations et donc, là encore, intermédiaire entre divin et humains. Face aux disciples apeurés, qui viennent de perdre leur maître, elle se présente comme ayant un rôle d’autorité, tout en étant consolatrice. Elle entre même en conflit avec certains d’entre eux, jaloux de sa relation particulière avec Jésus. Ce conflit, nous l’avons pressenti aussi dans l’évangile de Luc, lorsque nous avons entendu que les disciples ne prennent pas les paroles de Marie de Magdala au sérieux. Nous voyons que son rôle d’intermédiaire ne va pas de soi. Nous voyons que les disciples ne sont pas prêts à accueillir le féminisme divin !

Si Luc donne une place à Marie de Magdala dans son évangile, on est surpris qu’il fasse totalement abstraction d’elle dans les Actes des apôtres qui racontent la constitution des premières communautés chrétiennes. De même, lorsque Paul énumère les apparitions du ressuscité en 1 Co 15, il passe sous silence l’apparition à Marie de Magdala, pourtant racontée dans les évangiles de Matthieu, Marc, Luc et Jean ! Est-ce qu’il n’en a pas entendu parler ou est-ce qu’il l’ignore délibérément ?

Marie de Magdala et ses compagnes ne correspondent pas aux stéréotypes sur la fragilité féminine ; elles refusent d’être cantonnées dans l’espace privé. Elles se distinguent des hommes en restant auprès de Jésus jusqu’à sa mort sur la croix, et même après, puisqu’elles sont là lorsqu’on descend le corps de Jésus et qu’on le met dans le tombeau ; elles ne le quittent que pour obéir aux règles du Sabbat et dès qu’elles le peuvent, au matin du 1er jour de la semaine, elles sont là pour venir embaumer son corps. Elles sont les premières témoins de la résurrection et c’est à elles que Jésus s’adresse en premier. Elles sont les premières envoyées en mission, chargées de ce message inannonçable.

Pourtant, au cours de l’histoire, les paroles de femmes n’ont longtemps pas été reconnues à leur juste valeur, en particulier au sein des Églises. Alors que, dans les premières communautés, les femmes peuvent avoir un rôle de prophétesses, indiquant ainsi que leur autorité est reconnue, on constate par la suite une évolution qui va nettement en défaveur des femmes au sein des communautés pauliniennes. Paul va en effet limiter drastiquement le rôle des femmes, ce qui laissera des marques durables au travers de l’histoire.

Nous l’avons vu, entre Houlda la semaine dernière et Marie de Magdala aujourd’hui, ainsi que d’autres femmes que nous n’avons pas encore évoquées, Dieu appelle certaines femmes comme intermédiaires entre lui et les êtres humains. Ces femmes de conditions diverses, loin de faire de la figuration, ont, comme de nombreux hommes, un rôle déterminant dans la transmission – directe ou indirecte – de la parole divine. Oui, Houlda la prophétesse, Marie de Magdala la disciple et apôtre, rappellent que dans l’Ancien et le Nouveau Testament, des femmes ont pu avoir des fonctions d’autorité en transmettant une parole divine décisive. Elles ont un point commun : leur identité n’est pas fondée sur leur éventuelle maternité ni sur l’engendrement d’une descendance, à l’exception bien sûr de Marie, mère de Jésus, comme si on ne pouvait pas être mère et missionnaire. Ce sont des femmes libres, connues pour leurs actions et leurs paroles. Lorsque leurs contemporains passent à côté d’une révélation et ne saisissent pas pleinement son sens et sa portée, ces femmes entendent, déchiffrent et donnent accès à un message de Dieu. Josias a besoin de Houlda pour comprendre le livre de la Loi qui a été redécouvert, les disciples ont besoin de Marie de Magdala pour comprendre que Jésus est ressuscité.

Aujourd’hui, ces femmes peuvent nous inspirer, être pour nous comme des modèles, nous montrant que les femmes n’ont pas à rester à l’écart, mais qu’elles peuvent avoir un rôle décisif à jouer en prenant la parole non seulement dans l’Église, mais également dans la société. Trop de femmes, dans les milieux politiques, académiques, associatifs ou encore familiaux ne se sentent pas la légitimité de prendre la parole. Bien sûr, certains hommes craignent eux aussi de ne pas être suffisamment reconnus pour avoir droit à prendre la parole, non pour des raisons de genre cette fois-ci, mais du fait de leur parcours de vie, de leur réputation, ou de leur timidité.

Nous sommes, chers frères et sœurs, les enfants d’un Dieu qui ne regarde ni à notre genre, ni à notre statut social ou aux qu’en-dira-t-on pour nous reconnaître avec notre juste valeur. Dans le Royaume de Dieu, il n’y a pas besoin d’établir des quotas pour qu’il y ait un équilibre entre hommes et femmes, riches et pauvres, personnes célèbres et personnes dont les qualités n’ont pas pu être reconnues en ce monde. Chacun, chacune, Dieu nous appelle à entendre sa voix et à le servir ; tous et toutes, il peut nous mandater pour être porteurs d’une parole spécifique, liée à la situation particulière que nous vivons au niveau sociétal ou individuel. Aucun de nous devrait se dire « ce n’est pas pour moi », car, justement, la bonne nouvelle est pour nous TOUS !

Soyons donc attentifs afin de savoir valoriser toute parole qui peut-être viendrait de Dieu, quelle que soit la personne qui nous la transmet. Offrons à notre prochain écoute et considération, sans quoi nous risquons de passer à côté de paroles inspirées de la part d’un Dieu qui nous aime et qui veut prendre soin de nous.

Pasteure Nicole Rochat

Prédication inspirée de : Elisabeth Parmentier, Pierrette Daviau et Lauriane Savoy (dir.),  Une Bible des femmes, Vingt théologiennes relisent des textes controversés, Labor et Fides, Genève, 2018, p. 110-115.