Marthe et Marie: à la soupe!

Préparer la soupe avec Marthe et Marie, c’est ce que nous avait proposé André Feller à l’occasion d’une célébration au printemps 2019, s’inspirant du travail de l’équipe romande de la campagne œcuménique de carême. Une invitation qui garde toute sa pertinence et nous fait redécouvrir ce récit de l’évangile de Luc. Merci à lui de nous le proposer à nouveau.

Si Béthanie passait pour une paroisse particulièrement active auprès des autres, tout le monde s’accordait à dire que c’était essentiellement à mettre au compte d’un duo de sœurs très impliqué: Marthe et Marie. Quasiment rien ne fonctionnait sans elles, raison pour laquelle elles étaient surnommées, avec autant d’admiration que d’ironie, les M&M. Pour la soupe de cette année, les deux sœurs s’étaient données beaucoup de peine puisqu’il s’agissait de célébrer les 50 ans de la campagne œcuménique.

Marthe, l’ainée des deux sœurs, était comme d’habitude responsable de tous les aspects pratiques pour que la soupe se déroule sans accroc. Elle était en effet une cuisinière hors pair. Chaque année, Marthe préparait un menu gourmand à partir de trois fois rien, gardant précieusement pour elle le secret de chacune de ses recettes. Même lorsque la viande tomba en disgrâce suite au travail particulièrement critique des œuvres ecclésiales, mettant par conséquent en avant une cuisine végétarienne, régionale et de saison, son talent et sa réputation n’en souffrirent pas. Inutile de préciser que tous les ingrédients de ces repas servis à plus de 250 convives provenaient de son propre jardin.

Marie, quant à elle, était chargée du contenu. Il était donc tout à fait naturel qu’elle dirige la table-ronde «croire et agir» qui devait réunir un panel de haut niveau puisque des invités de renom avaient déjà confirmé leur présence.

Alors que Marthe goûtait la soupe, elle entendait, par la porte de la cuisine restée entrebâillée, sa sœur en train d’accueillir les participants et les membres du panel à sa façon si enjouée. Son sens de l’humour lui attirait toujours les faveurs du public. En fait, aussi loin que Marthe se rappelait, il en allait toujours ainsi: sa sœur lui avait toujours volé la vedette. Une chose était sûre: tout le monde reconnaissait à Marthe son assiduité et son côté consciencieux, son dynamisme et sa vigueur. Pourtant, c’était surtout sa sœur qui faisait l’admiration de tous, en raison de son charme, de son sens de la répartie et de son éloquence. Tous ces dons lui permirent de mener à bien la table-ronde. Marthe, quant à elle, ne saisissait que des bribes des échanges. De toute évidence, on assistait à une vive et profonde discussion. Des expressions compliquées sortaient de la bouche de Marie, comme «spiritualité et transformation» ou encore «mondialisation de la solidarité» lorsqu’elle évoquait la question des «50 ans d’engagement d’égal à égal.» Marie se tourna alors vers la salle, signalant qu’elle lançait la discussion.

Marthe n’en put plus. Toujours affublée de son tablier, elle sortit en trombe de la cuisine, traversa la salle, attrapa brutalement le microphone et explosa:

« Cela fait maintenant 50 ans que mon équipe et moi sommes en cuisine. Année après année, nous cuisinons des soupes et faisons en sorte que cette action soit la plus rentable de tout le canton en termes de dons. Tous ces verbiages creux quant à votre blabla spirituel et mondial, toutes ces belles paroles ne nous ont jamais rapporté un sou et n’ont jamais rempli un seul ventre affamé!

Un silence pesant s’abattit alors sur la salle; tout le monde semblait gêné, jusqu’à ce qu’une voix se fasse entendre depuis le fond de la salle: «Marie s’est chargée d’une tâche importante. Elle a choisi la meilleure part. Elle amène les gens à parler, à s’écouter, à réfléchir à ce qui doit être fait et à comment s’y prendre. Toi, Marthe, tu es une fonceuse et tu poses une question très judicieuse: quel est le plus important, parler ou faire? Croire ou agir? Toi, tu agis sans trop parler. Moi, je pense qu’il faut les deux. On a besoin de vous deux, Marthe et Marie, M&M. Sinon, nous n’aurions rien à célébrer aujourd’hui.»

Suit un tonnerre d’applaudissements. Durant le repas qui suivit, Marthe et Marie étaient assises à côté l’une de l’autre. Elles mangeaient, parlaient et riaient. Comme les années précédentes, la soupe fut un régal.

Tandis que Jésus et ses disciples étaient en chemin, il entra dans un village où une femme, appelée Marthe, le reçut chez elle. Elle avait une soeur, appelée Marie, qui, après s’être assise aux pieds du Seigneur, écoutait ce qu’il enseignait. Marthe était très affairée à tout préparer pour le repas. Elle survint et dit: «Seigneur, cela ne te fait-il rien que ma soeur me laisse seule pour accomplir tout le travail? Dis-lui donc de m’aider.» Le Seigneur lui répondit: «Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour beaucoup de choses, mais une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera pas enlevée.»

Luc 10,38-42