Pâques, ou l’invitation à une métamorphose

Qui de nous n’aspire pas à une vie belle, bonne et abondante ? Sans grands problèmes ni tourments ? Pourtant, chacun de nous rencontre le mal sur sa route. Ce mal est essentiellement ce qui empêche la vie de naître et de se déployer, ce qui mène à une forme de destruction et de mort, quelle qu’en soit la forme.

Lectures proposées :  Jean 20,1-18 et 1 Corinthiens 15,1-7

Dès le début de la Bible, il est annoncé que Dieu va intervenir dans l’expérience humaine. Il ne va pas laisser ses fils et ses filles à leur solitude, leur impuissance, leur méconnaissance du sens réel des choses.

Jésus, lui, nous appelle à une métamorphose, une conversion de notre sens des valeurs et de la vie. La croix aurait pu sembler être un échec : Jésus n’a pas su convaincre. Il a trop dérangé par les idées nouvelles qu’il défendait. Lui le célibataire dans une société où tout homme devait se marier et procréer. Lui né de père inconnu. Lui qui prêche la désobéissance aux lois concernant le sabbat et qui enseigne que manifester notre amour est plus important que l’obéissance absolue à la loi. Sa non-violence dans une société qui prêchait la loi du talion, rendre le mal pour le mal. Il bouleverse tant et tant de choses ! Pas étonnant qu’on ait cherché à se débarrasser de lui ! Les révolutionnaires dérangent, même s’ils apportent de bonnes choses.

Donc on aurait pu se dire que Jésus avait raté sa mission. Il a enseigné, guéri, délivré des hommes, des femmes qu’il rencontrait sur son chemin, il en a nourri miraculeusement, mais qui avait compris véritablement son message ?

Lorsqu’il dit : « les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers », veut-il dire qu’il faut donc encourager les fainéants dans l’idée que leurs affaires fleuriront comme par miracle ?

Non, il aimerait nous aider à sortir d’une logique de la réussite. Pas facile, tant nous sommes empreints de cette forme de pensée. Une vie où tout nous réussit, tout est facile, c’est tellement plus agréable que lorsque tout se complique !

L’évangile de Jean nous appelle justement à un changement de regard sur la crucifixion : au lieu d’un échec, elle est une élévation, une glorification : « Moi, quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jean 12,32) et il ajoute : « Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde sera jeté dehors. » Par-là, il laisse entendre que l’objectif de sa vie n’est pas de vivre une vie agréable, facile, mais de réaliser sa mission. Celle de Jésus est élevée : jeter dehors le prince de ce monde, c’est-à-dire prendre la victoire sur le mal, puisque l’objectif final est qu’il soit un jour définitivement détruit.

Chez Jean, Jésus ne fait pas de prière déchirante à Gethsémané pour échapper à son supplice ! Au contraire, bien que troublé, Jésus ne demande pas au Père de le délivrer de la mort à la Croix, car au fond de lui, il a conscience que c’est pour cela qu’il est venu (Jean 12,27). Cela n’enlève rien au fait qu’il traverse une épreuve terrible : épreuve physique de douleur extrême, mais douleur morale aussi, lorsque tous se détournent de lui, même ceux qui étaient ses plus proches amis. Jésus est confronté à la lâcheté humaine, au phénomène de groupe qui peut amener le plus doux des humains à se transformer en assassin. L’injustice le frappe, le mépris de tous, ou presque… Il faut vraiment qu’il ait eu, au fond de lui, la connaissance que la croix avait un sens plus élevé, pour y aller avec autant de courage.

Dans nos vies également, est-ce que nous discernons un sens à notre existence qui soit au-delà de la réussite matérielle, rationnelle de notre existence ? Lorsque l’adversité nous frappe, que la maladie nous arrête, que les problèmes financiers nous submergent, discernons-nous encore le sens de notre vie ?

Lorsque l’évangile de Jean tient à préciser qu’au-dessus de la tête de Jésus, Pilate fait inscrire « le roi des Juifs », c’est que Pilate a une idée prophétique. Non pas dans le sens qu’il annoncerait l’avenir, mais au sens qu’il révèle le sens profond des choses : Jésus est bel et bien le roi des Juifs, mais un roi lynché par son peuple ! Ce roi, Hérode l’a craint à sa naissance et a voulu le faire mourir. Pilate, lui, reconnaît également sa royauté. Cela ne l’empêche pas de lui infliger la mort la plus atroce qu’il soit, la plus humiliante, la plus déshumanisante ! Mais, avec du recul, nous découvrons que Jésus est non seulement le roi des juifs, mais de tous les humains, voire même de l’univers ou des univers entiers ! Sa mission était donc de taille !

Qu’en est-il de nous ? Au-dessus de nos têtes, qu’est-il écrit dans le secret de Dieu ? Quel est l’objectif profond que nous poursuivons dans notre vie ? Est-ce que nous pensons que, parce que nous suivons un Seigneur qui s’est sacrifié, nous devons également nous sacrifier pour les autres ? J’aimerais attirer votre attention sur le fait que Jésus, selon l’évangile de Jean, ne s’est pas sacrifié, car celui qui se sacrifie se déprécie lui-même. Jésus, lui, s’est offert par amour pour ses amis. C’est tout autre chose ! Jésus était pleinement conscient de sa valeur et de la valeur de sa vie. C’est pourquoi il a pu l’offrir, sachant que c’était bien la valeur de sa vie qui allait sauver le monde. De même, notre vie a une grande valeur et il ne faut pas nous sacrifier. Nous sommes appelés à aimer l’autre, tout en s’aimant soi-même.

J’aimerais attirer votre attention sur le risque d’interpréter la crucifixion comme la mission d’un Dieu qui enverrait son fils au casse-pipe pour payer pour nos péchés. Non, c’est une image de l’Ancien Testament que Paul reprend pour tenter d’expliquer aux Juifs que les sacrifices sont caducs. Mais, lorsque des chrétiens donnent cette signification à la mort du Christ, ils dénaturent Dieu. Non, Dieu n’est pas un père sadique envers son Fils.

L’évangile de Jean nous révèle combien Dieu est en osmose totale avec son Fils et vice-versa. Jésus a choisi lui-même de venir en ce monde pour accomplir une mission bien au-delà de nos critères de réussite humaine. Il est venu révolutionner la conception qu’on avait de Dieu, révolutionner la pratique religieuse. C’était son choix, par amour pour nous.

La métamorphose à laquelle Jésus appelle, la conversion, le changement de regard sur la vie, sur Dieu, sur la spiritualité n’est pas terminée. Aujourd’hui encore nous avons toujours à redécouvrir la profondeur du message chrétien.

Rappelez-vous ce qu’a vécu Marie de Magdala. C’est le jour même où Jésus ressuscite qu’elle fait, elle-même, littéralement l’expérience de la résurrection. Marie de Magdala reconnaît la voix de celui qu’elle aime lorsqu’il l’appelle par son prénom. Ce n’est pas le jardinier, c’est Jésus qui lui parle, lui qu’elle croyait mort ! Elle découvre alors sa puissance d’amour. Cela opère en elle un déclic qui change toute sa vie.

Pour nous aujourd’hui, il ne suffit pas de savoir qu’il y a 2000 ans, Jésus était ressuscité ; à notre tour, nous sommes appelés à faire l’expérience de sa résurrection dans notre vie. Découvrir qu’il est vivant, présent, avec nous ! Qu’il a un potentiel d’amour pour chacun de nous !

Comme pour Marie de Magdala, Jésus est là, dans le secret de nos cœurs, pour nous remplir de sa vie et de son amour. Cet amour fait de nous des apôtres du Christ, appelés à transmettre la connaissance de ce Dieu d’amour autour de nous.

« Va dire à mes frères que je monte vers mon Père qui est aussi votre Père, vers mon Dieu qui est aussi votre Dieu ». La mission que Jésus donne à Marie est un appel à lever le regard de ses peurs et de ses angoisses, et, à travers ses larmes, de fixer le regard sur Jésus, pour vivre dorénavant en communion avec Dieu.

Comme les disciples auxquels Marie s’adresse, nous sommes appelés à avoir les pieds sur terre, tout en gardant le regard fixé sur Dieu. Avoir les oreilles et le cœur ouverts pour percevoir sa voix, son appel au cœur de nos vies. Qu’ainsi chacune, chacun de nous soit à sa place, là où Dieu l’appelle et puisse rayonner de la présence de Dieu. Son amour est là, pour chacun. Il nous appelle à être !

Et j’aimerais terminer ce message pascal par cette petite histoire juive, où rabbi Zousya dit ceci : « Dans le monde qui vient la question qu’on va me poser, ce n’est pas « Pourquoi n’as-tu pas été Moïse ? » Non. La question qu’on va me poser, c’est : « Pourquoi n’as-tu pas été Zousya ? »

Amen

Image par Jeff Jacobs de Pixabay