Divine blessure

Il y a quelques années, de grandes affiches publiées par les milieux évangéliques reprenaient le texte des Actes 4,12 : « Il n’y a de salut en aucun autre; car il n’y a sous le ciel aucun autre nom qui ait été donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés ». Sur l’une de ces affiches, un lecteur avait malignement ajouté : « Sauvé, oui, mais de quoi ? ». Cette remarque impertinente a du sens. En effet, il n’est pas inutile de nous poser la question : de quoi devons-nous être sauvés ou, plus simplement, de quoi devons-nous guérir ? C’est le thème abordé par Jacqueline Kelen, dans son ouvrage « Divine blessure », dont je vous lirai quelques extraits.

Mais lisons tout d’abord quelques textes bibliques inspirants sur ce thème :

Michée 6,6-8

Philippiens 4,4-9               

Ainsi qu’un bref extrait du récit qui précède la résurrection de Lazare : Jean 11,32-36

La prédication est suivie de la Sonate en fa mineur de Scarlatti, interprétée par Evan Metral.

« Tous les humains ne sont peut-être pas appelés à une quête héroïque, à une élévation mystique. Du moins doivent-ils mériter ce qualificatif d’humanité qui est bienveillance, bonté, accueil. Or, en allant vers l’autre, en l’écoutant, on court le risque d’être ému, bouleversé. C’est pourquoi beaucoup préféreront revêtir une carapace d’indifférence ou de froideur qui, croient-ils, les protégera, en fait qui montrera leur peur et leur carence d’humanité. »

En d’autres mots, nous ne sommes pas appelés à être des héros, nous sommes appelés à être humains, c’est-à-dire bienveillants, bons et accueillants. Mais, comme elle le dit très justement, en allant vers l’autre, on court le risque d’être bouleversé. Beaucoup préfèrent se protéger et, de ce fait, restent froids et inhumains. Devant ce constat, Jacqueline Kelen enchaîne en disant :

« Il y a une folle illusion à se vouloir à l’abri de tout, illusion soigneusement entretenue par la société moderne. De qui, de quoi peut-on se garder ? de la malice du monde, de la trahison et des peines amoureuses ? de la charge des ans, de la mort ignominieuse ? Qui se pense assez puissant ou assez riche pour écarter le malheur ? Le monde contemporain, qui ne parle que de bien-être, de bonheur, de santé et de sécurité, se trouve accablé d’une terrible maladie, la maladie d’infantilisme. Aussi n’invoque-t-il que ce mot magique qui trahit son effroi devant la fragilité et le trépas : “guérir” ».

Le livre de Jacqueline Kelen, « Divine blessure » est paru en 2005. Si elle l’écrivait aujourd’hui, il est évident qu’elle serait étonnée d’avoir prophétisé une réalité devenue planétaire. En effet, personne, en écoutant ces phrases, ne pense pas immédiatement à la pandémie qui frappe le monde. Plus que jamais, nous comprenons combien il serait illusoire d’imaginer pouvoir nous protéger de tout. Nul n’est à l’abri, nous sommes tous menacés. Quelle est dès lors le rôle des religions ?

« Grâce à la recherche scientifique, dit-elle, grâce à telle plante, telle gymnastique, tel régime alimentaire, en recourant au besoin à la méditation, à la récitation de mantras et autres recettes zen ou chamaniques, la créature humaine peut se protéger de tout, et surtout oublier qu’elle est mortelle. L’obsession de guérir anesthésie la conscience et étouffe le questionnement métaphysique. » Vous l’avez compris, il est facile de se fourvoyer en écoutant les recettes fournies tous azimuts, supposant qu’elles nous protègent de tout, y compris de la mort.

Du point de vue chrétien, nous aurions besoin d’un GPS, comme mon premier GPS, qui répétait sans se lasser, lorsque je ne suivais pas les indications fournies : « Faites demi-tour avec prudence ! ».

Le plus sage n’est-il pas en effet de revenir au message des prophètes du premier Testament, par exemple Esaïe 30, 26 :

« La lumière de la lune sera comme celle du soleil et la lumière du soleil sera multipliée par sept – comme la lumière de sept jours – lorsque le Seigneur bandera les plaies de son peuple et soignera les blessures qu’il a reçues. »

Ou Jérémie 30,17 :

« Pour toi, je fais poindre la convalescence, je te guéris de tes blessures – oracle du Seigneur. »

Ou encore Osée 6,1-3 :

« Venez, retournons vers le Seigneur. C’est lui qui a déchiré et c’est lui qui nous guérira, il a frappé et il pansera nos plaies. Au bout de deux jours, il nous aura rendu la vie, au troisième jour, il nous aura relevés et nous vivrons en sa présence. Efforçons-nous de connaître le Seigneur : son lever est sûr comme l’aurore, il viendra vers nous comme vient la pluie, comme l’ondée de printemps arrose la terre. »

De ces prophètes inspirés, tirons une conclusion : le besoin vital de guérison est tout à fait légitime. Un bémol toutefois, chez Osée, il est affirmé que c’est le Seigneur qui a déchiré et frappé. C’est ici l’un des courants théologiques du premier Testament, selon lequel tout nous vient de Dieu, la joie comme la souffrance. Dans ce même Testament, on peut lire d’autres textes qui refusent d’attribuer à Dieu l’origine de la souffrance. Un pasteur admirable, Roland de Pury, se situe dans le premier courant théologique en invoquant le bras gauche de Dieu – celui qui est censé nous envoyer les douleurs et les maux. Personnellement, je me rallie au deuxième courant qui évite de voir dans le Dieu d’amour l’origine de nos souffrances.

Une fois ces précisions données, creusons un peu plus le thème de la vulnérabilité. Dans la mythologie grecque, la vulnérabilité humaine est symbolisée par le talon d’Achille, du fait que sa mère, en le trempant dans les eaux du Styx, l’avait tenu par le talon. N’avons-nous pas, nous aussi, nos vulnérabilités, cachées ou connues ?

La conscience de nos vulnérabilités ne devrait-elle pas, précisément, nous tourner vers les êtres en souffrance qui nous entourent ? Au lieu de nous durcir, ne devrions-nous pas sortir de notre citadelle et apprendre à devenir toujours plus humains, à nous ouvrir à l’autre et au Tout Autre ?

Être atteint en plein cœur par la fragilité d’autrui, n’est-ce pas ce que nous appelons compassion ? Ce mot en hébreu est forgé sur le terme désignant l’utérus. Il évoque une situation où l’on est remué jusqu’au tréfonds de son être.

Jésus nous donne une véritable leçon d’humanité : il ne s’est pas interdit de ressentir de l’émotion face au décès de son très cher ami, Lazare. Son ressenti oscille entre la colère et la tristesse : « Jésus fondit en larmes », nous est-il dit. Les Juifs disaient donc : « C’était vraiment son ami ! ».

Amen

Image par Vicki Nunn de Pixabay