C’est la dernière ligne droite!

Voici le texte de la prédication du culte du dimanche 27 juin. Avant d’en prendre connaissance, lisez dans votre Bible préférée les deux textes suivants : Ézéchiel chapitre 18, versets 21 à 32 et évangile de Marc, chapitre 5, versets 21 à 43.

Courage, c’est bientôt fini

« C’est la dernière ligne droite! » Au mois de juin, tout le monde est stressé. Il y a la pression dans les entreprises et les administrations: il faut absolument boucler avant l’été. Finir le travail et le faire bien. Avant le 1er juillet, tout doit être sous toit comme si instantanément le monde allait s’arrêter de tourner.

En juin, les enfants ont des horaires spéciaux et pour les parents il s’agit de ne pas oublier les pique-niques, le casque pour la sortie trottinette, et les cadeaux pour les anniversaires. Surtout cette année puisque tous les enfants qui avaient leur anniversaire entre octobre et mai n’ont pas pu inviter leurs amis et ont décidé de faire un goûter en juin.

En juin, les fraises et les baies sont mûres et les fruits rouges, ça n’attend pas. Il faut donc trouver du temps pour cueillir, équeuter, préparer et faire des confitures.

Une période de folie où s’entrecroisent sans cesse les obligations professionnelles, sociales et familiales. Pour bien des gens, il s’agit maintenant de tenir encore un petit bout jusqu’au grand relâchement des vacances.

En découvrant les textes de ce dimanche, je n’ai pu m’empêcher de sourire. Voilà non pas une histoire, mais deux qui s’entremêlent et s’interrompent. Deux récits qui auraient pu être racontés dans les évangiles de manière indépendante : la guérison de la femme qui souffre de perte de sang d’une part et celle de la fille de Jaïrus d’autre part mais qui sont imbriqués, comme indissociables l’un de l’autre. Un double récit parfait pour un mois de juin où ne cessent de se superposer et s’interrompre les réalités de nos vies.

Prenons donc un moment pour détricoter cette histoire en regardant de plus près les différents protagonistes.

L’homme de la synagogue

Jaïrus tout d’abord. Un des chefs de la synagogue. Un homme important, un notable. Un de ceux qui se sont opposés à Jésus et qui, peu avant dans l’évangile, se réunissaient pour décider comment ils pourraient faire mourir ce fauteur de trouble (Mc 3,6). Cet homme là non seulement vient se mêler à la foule, ce à quoi un notable de son rang ne s’abaisse pas en général, mais en plus se jette aux pieds de Jésus. Jaïrus a beau être un chef, un important, un homme de principes, il est un père. Et face à la détresse de voir son enfant malade, face à la perspective terrible de perdre sa petite fille, il devient simplement un homme comme un autre. Ce n’est plus le temps des grands débats idéologiques. Dans cette situation, on n’est plus dans la théorie. Il y a urgence, c’est une question de vie ou de mort.

Si Jaïrus va à Jésus, ce n’est pas par démarche de foi ou suite à une conversion. S’il va à Jésus, c’est parce que sa réputation de guérisseur hors pair le précède. C’est aux pieds du faiseur de miracles que Jaïrus se jette. C’est le guérisseur qu’il supplie. Il sait même ce que Jésus devrait faire : Viens, lui dit-il, pose les mains sur elle afin qu’elle guérisse et qu’elle vive.

Pour Jaïrus, Jésus est un magicien. Mais le temps n’est pas au débat. L’urgence est à l’action. Jésus le suit sans remettre en question l’image que Jaïrus se fait de lui.

La foule

Un autre personnage du récit, si on peut le désigner ainsi, c’est la foule.

Cette foule, un ensemble anonyme d’hommes et de femmes très présente dans toute cette partie de l’évangile de Marc. Nombreuse à être témoin des miracles et des paroles mais qui se dissipera bien vite lorsque les choses se corseront jusqu’à devenir totalement inexistante au pied de la croix.

Dans la foule, les nouvelles vont vite et la réputation de Jésus le précède là où il arrive. Comme pour Jaïrus, c’est le guérisseur qui est attendu, les yeux de la foule ne cherchent qu’à être témoin d’un nouveau miracle. Pourtant l’évangile nous met régulièrement en garde, le miracle seul ne conduit pas à la foi, il risque au contraire de conduire à la superstition.

La densité de cette foule permet à la réputation d’aller vite, mais pas aux pas d’un homme. Pressé de toutes part, Jésus peine à avancer. Ces mêmes personnes qui veulent tant le voir accomplir des miracles l’empêchent en réalité de se rendre aussi rapidement que possible au chevet de la jeune fille. Plus tard, Jésus renverra pour entrer dans l’intimité de la maison de Jaïrus, entouré seulement de quelques proches.

Et voilà que le récit s’interrompt.

Tout s’arrête

Alors que tout était clairement orienté vers l’urgence de l’action. Alors qu’on avait renoncé à discuter, à remettre en question la vision stéréotypée de Jésus guérisseur. Alors qu’on avait renoncé à placer Jaïrus devant ses contradictions : lui l’opposant à Jésus qui tout à coup le sollicite. Face au péril de la mort d’une enfant, tout cela était passé au second plan.

Et voilà que Jésus s’arrête. Alors qu’il est pressé de toutes parts, il interrompt sa progression parce que quelqu’un l’a touché. Les disciples ne comprennent pas. Des dizaines de personnes ont touché Jésus ! Et alors que l’évangéliste Marc pourrait nous faire comprendre à nous lecteurs et lectrices que Jésus est bien plus qu’un magicien et un guérisseur, le récit souligne encore la dimension inexplicable. Jésus sait qu’une femme l’a touché. Il a senti une force sortir de lui, nous dit le texte.

Alors Jésus s’arrête. Il stoppe tout. Que fait-il alors de l’urgence de la fille de Jaïrus ?!? Cet arrêt est incompréhensible. La femme était malade depuis 12 ans, elle aurait bien pu attendre encore un peu. Et puis elle est guérie désormais. Il n’y a donc apparemment pas de raison de prendre du temps à ce moment là pour elle.

Des vies s’emmêlent

Mais ces deux histoires s’entremêlent, ces destinées se croisent alors que jusque là, cette femme anonyme et malade n’avaient très probablement jamais croisé la route de Jaïrus et de son clan. L’un et l’autre n’avaient rien de commun. Des vies qui ne se rencontrent jamais. Sauf autour de la personne de Jésus.

Le texte lui-même est parsemé d’indices offerts au lecteur et à la lectrice attentive qui soulignent à la fois les différences et les points de contact entre ces personnes. Jaïrus, l’homme important qui a un statut et un rôle dans la cité. La femme dont on ne sait même pas le nom. Elle n’en a pas. Peu importe au fond qui est elle, elle n’est personne dans la cité.

Tous deux pourtant ont le même mouvement : ils se jettent aux pieds de Jésus. Tous deux sont venus à lui en dernier recours. Lui a ravalé sa fierté et son idéologie, elle a tenté tous les traitements et consulté tous les médecins. Face à la mort et à la maladie, ils sont tous deux simplement humains. Face à l’impuissance, ils placent leur confiance là où réside peut-être encore un peu d’espoir.

Elle est pauvre, il est riche. Il parle et sait ce que Jésus devrait faire. Elle ne dit rien et veut juste toucher, à l’insu du maître, sans même qu’il s’en rende compte.

Elle souffre de pertes de sang depuis 12 ans, l’âge exact de la fille de Jaïrus. Et quand Jésus l’interpelle, il l’appelle « ma fille ». En cette femme, la vie vient de renaître et au même moment, la sentence tombe. Des messagers viennent de la maison du chef et lui annoncent qu’il est trop tard : ta fille est morte.

Il est trop tard. Pour une guérison, même miraculeuse, il était encore concevable d’espérer que Jésus pourrait faire quelque chose. Mais une fois que la mort a frappé, il n’y a plus rien à espérer. Même le meilleur des guérisseurs ne peut agir. Personne ne peut combattre la mort.

Là encore, c’est parce que les deux récits se croisent que l’on saisit tout n’est pas terminé. Parce que pour la femme, le miracle ne s’est pas arrêté à la guérison. Il a été bien plus que cela. Une fois libérée de son mal, elle a eu – enfin – la parole. Et c’est après qu’elle a dit à Jésus toute la vérité que celui-ci lui a dit : ma fille, ta foi t’a guérie. Va en paix et sois délivrée de ton mal. Lorsqu’elle a reçu cette parole, la femme ne souffrait déjà plus de pertes de sang. Le mal dont elle est délivrée est donc autre que sa maladie physique. Elle est désormais réhabilitée dans son identité de femme, de personne, d’individu. Elle entre dans la vie véritable.

C’est ce miracle là qui nous donne d’espérer, avec Jaïrus, au retour à la vie de sa fille. Elle qui aux yeux de son père était encore son bébé, se relève. Elle a 12 ans, elle n’est plus tout à fait une enfant. La vie s’ouvre à elle. Et comme de bien entendu, que fait-elle ? Elle mange parce que les grands événements, ça creuse.

Les histoires se croisent. Les réalités s’interpellent les unes les autres. Une interruption ce que nous étions en train de faire, un stress de ne pas réussir à mener à bien toutes nos responsabilités. Une confusion dans les priorités. Et là au milieu, il faut faire à manger pour les ados !

La vie surgit

Ainsi est la vie. La vie riche et fournie. La vie intense et foisonnante.
Demeurer à l’écoute malgré ce qui presse de tous côtés. Faire des choix, établir des priorités. Oser s’arrêter parfois pour mieux discerner où est le besoin, où est l’urgence.
Ainsi va la vie de ce mois de juin. Elle n’en est que plus riche si nous parvenons à écouter comment elle dialogue autour de nous. Comment une réalité en interpelle une autre. Comment ce qui surgit quelque part parvient à nourrir ce qui stagnait ailleurs.

Au cœur de ce foisonnement, pouvoir rencontrer le Christ qui, bien plus qu’un magicien, est celui qui fait surgir la vie.

Amen