Bonne semence et mauvaise herbe, laissez-les pousser ensemble!

A l’Église de Dieu dispersée sur toute la terre,
A celles et ceux qui invoquent le nom du Seigneur Jésus-Christ,
A vous toutes et tous ici rassemblés,
grâce et paix de la part de Dieu notre Père et de Jésus-Christ notre Sauveur.

24 Jésus leur raconta une autre parabole : « Voici à quoi ressemble le Royaume des cieux : Un homme avait semé de la bonne semence dans son champ. 25 Une nuit, pendant que tout le monde dormait, un ennemi de cet homme vint semer de la mauvaise herbe parmi le blé et s’en alla. 26 Lorsque les plantes poussèrent et que les épis se formèrent, la mauvaise herbe apparut aussi. 27 Les serviteurs du propriétaire vinrent lui dire : «Maître, tu avais semé de la bonne semence dans ton champ : d’où vient donc cette mauvaise herbe ?» 28 Il leur répondit : «C’est un ennemi qui a fait cela.» Les serviteurs lui demandèrent alors : «Veux-tu que nous allions enlever la mauvaise herbe ?» — 29 «Non, répondit-il, car en l’enlevant vous risqueriez d’arracher aussi le blé. 30 Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson et, à ce moment-là, je dirai aux moissonneurs : Enlevez d’abord la mauvaise herbe et liez-la en bottes pour la brûler, puis vous rentrerez le blé dans mon grenier.»

Matthieu  13, versets 24 à 30

Message

La vie a besoin d’espace, la vie a besoin de temps pour s’épanouir. Et nous avons souvent le sentiment de mener une vie étriquée, une vie où le temps nous manque ; où l’on se sent condamné, brimé et privé de nouvelles possibilités. Mais en même temps, nous sentons bien que la vie n’est possible que là où l’on s’engage, où l’on n’hésite pas constamment, où l’on trouve le courage de vivre sa vie envers et contre tout.

Dans ce texte, Jésus raconte l’histoire d’une vie en croissance qui se déroule tout autrement. Il présente le Royaume de Dieu comme un temps dans lequel celui qui a besoin d’espace en trouve ; un espace qui permet à chacun de grandir. L’étude de cette parabole du blé et de la mauvaise herbe nous permet de découvrir combien cette façon de ménager de l’espace est revigorante.

Une histoire en trois temps

Un homme sème. La semence lève, mais, avec elle, lève aussi la mauvaise herbe. Puis on fauchera au temps de la moisson et là le blé sera séparé de la mauvaise herbe.

Il y a donc une succession de ces trois temps forts. Les deux extrémités, les semailles et la moisson, sont fixes. Tout va se jouer dans le temps qui sépare ces deux pôles. C’est le temps intermédiaire qui fait problème et qui suscite l’inquiétude.

Le temps entre les semailles et la moisson est sans doute le temps de l’auditeur de la parabole. En effet, il connaît les semailles, et il espère la moisson. Et la mauvaise herbe le désarçonne complétement parce qu’elle vient compromettre le temps de la moisson. Il aimerait alors faire quelque chose pour assurer une bonne récolte. Il ne supporte pas que la mauvaise herbe apparaisse ici ou là, parce qu’alors la semence est menacée. Il sait qu’un bon paysan ou un bon jardinier enlève la mauvaise herbe de temps en temps pour que les épis poussent correctement. Il est réaliste et il a fait bien assez d’expériences dans sa vie pour savoir qu’il ne faut jamais faire confiance à la mauvaise herbe, elle est si coriace ! Une fois qu’elle a pris racine, tous les efforts sont vains. Son inquiétude et ses questions sont ainsi compréhensibles.

« Maître, tu avais semé de la bonne semence dans ton champ ; d’où vient donc cette mauvaise herbe ? Veux-tu que nous allions l’enlever ? »

La réponse du maître

Et la réponse du maître est surprenante. Bien qu’il tienne compte du souci des serviteurs, il n’y répond pas : « Non, laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson ! » En revanche, ce souci et cette crainte, il les remet en question : le maître offre aux serviteurs un autre point de vue. Le jour viendra où la mauvaise herbe sera séparée du blé, mais ce jour n’est pas encore venu. C’est maintenant le temps de la croissance, de la croissance libre qui n’a pas besoin de tri particulier.

De notre côté, nous comprenons très bien l’insécurité de l’auditeur qui espère une belle moisson. Il investit beaucoup dans ce champ. Pourquoi n’y mettrait-il pas un peu du sien pour assurer une belle moisson ? N’est-il pas recommandé de protéger la moisson et d’arracher la mauvaise herbe pour assurer une belle récolte ?

La tension quasi palpable à ce moment du récit est provoquée par l’affrontement des craintes des serviteurs et de la sérénité du maître.

Et moi, comme lectrice, je suis entraînée dans le scénario ; j’hésite entre la sainte frousse des serviteurs et la tranquille sérénité du maître. Je sais qu’il a raison, que le temps de la moisson viendra de toute façon et que la semence doit pousser. Je le sais bien. Mais qu’en est-il de la mauvaise herbe ?

La semence n’est-elle pas précieuse ? Peut-on laisser cette mauvaise herbe dans le champ ? Puis-je laisser grandir cette menace sans rien faire, alors que je sais que cette mauvaise herbe est bien plus vivace que la tendre semence qui commence à pousser ?

Il suffit que nous pensions à nos enfants pour que d’un seul coup nous nous mettions à trembler. Est-ce que ce que je sème tiendra le coup si la mauvaise herbe fait son apparition ?

Mais, mais, mais…

Peut-être ai-je mal compris le maître ? Peut-être y a-t-il malentendu lorsque je pense qu’il prend mes soucis au sérieux. Sa réponse n’aurait-elle pas plutôt un ton ironique ?

Je vais alors arracher la mauvaise herbe de mes propres mains. J’aurai ainsi fait en sorte que la moisson soit belle. Je n’ai pas le temps d’attendre la troisième étape. Ce sera trop tard. Mieux vaut faire quelque chose, ne pas avoir la déception de voir mûrir la mauvaise herbe et encourir d’amers reproches. Moi je suis un serviteur intelligent, et le serviteur intelligent prévoit !

Je ne fais pas confiance à une croissance non surveillée. Je vais y mettre bon ordre, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir.

Mais non, le maître n’a pas répondu ironiquement. Il pense vraiment ce qu’il dit.

Et moi de me rebiffer à nouveau. Alors là je ne le comprends pas. Après tout ce que la vie nous a douloureusement enseigné !

La bonté ne paie pas. L’indulgence est une faiblesse.

Plus je retourne la réponse du maître dans ma tête et plus elle me paraît insupportable.

Mon expérience de la vie ne sert-elle à rien ? J’enrage !

Le maître peut bien parlé calmement. Ce qu’il dit laisse entendre qu’il n’a pas une grande connaissance de la vie. La vie c’est une autre histoire, c’est bien différent de ce qu’il croit. Oui c’est une sale histoire !

Pourquoi ce calme et cette sérénité insoutenable chez le maître ? Comme si on pouvait faire confiance au temps de la moisson. Je pourrai donner cent exemples de semailles qui ont trompé la confiance, de croissance naturelle qui n’a rien donné.

«  Non, n’arrachez pas la mauvaise herbe… laissez-les croître ensemble jusqu’à la moisson » … et gnagnagna !

Voilà ce que dit le maître de la parabole, et j’ai beau tourner ça dans tous les sens, moi je n’y vois aucun sens.

Et pourtant …

Ce que le narrateur de la parabole veut nous faire comprendre, c’est certainement la tension provoquée par la question des serviteurs et la réponse du maître. Il veut nous amener à confronter nos craintes à la sérénité qui compte sur les temps de la moisson. La réponse du maître provoque notre irritation : la parabole nous concerne donc. Touchés par la parole de Jésus, nous éprouvons la tension entre la peur que cette parole ne résiste pas et l’espérance qu’elle porte son fruit. Dans cette tension, l’histoire toute simple de Jésus nous touche et nous permet de découvrir un espace où cette peur et cette espérance trouvent leur place.

Puisque le temps de la moisson est fixé, puisqu’il n’est pas conditionné par ce que nous faisons en l’attendant, nous pouvons laisser la croissance s’épanouir en nous et autour de nous. Parce que le tri n’est pas notre affaire, nous pouvons nous intéresser d’avantage à la croissance et ne pas nous laisser obnubiler par ce qui la menace.

La parabole nous met en mouvement. Elle nous dévoile nos peurs et nous invite à la confiance.

Ainsi, le Royaume de Dieu n’est pas quelque chose que je peux gagner par la force ; il ne dépend ni de mes efforts, ni de ceux de mes semblables. Le Royaume est une réalité qui m’est présentée et dans laquelle je peux pénétrer. Le Royaume c’est une chance qui m’est offerte constamment. Cela signifie que je peux devenir quelqu’un d’autre. Je peux changer. Je suis entraînée à la suite de la parabole. Elle me donne la place de croître et la possibilité d’exister.

Le Royaume de Dieu n’a que faire de ma peur devant la mauvaise herbe, ni même de mon zèle à manier l’herbicide : la moisson n’est pas le résultat de mon activité, mais elle est don de Dieu.

Quand je suis en souci et que j’ai peur, cette chance m’est présentée. Elle m’atteint alors que j’ai peur que de bons éléments tournent mal, alors que je crains de voir échouer les relations humaines que j’avais établies jusqu’ici.

L’exemple de la parabole s’en prend à ma peur, à mon souci de voir la croissance rapidement menacée et à mes efforts pour la préserver. La parabole m’invite à prendre le risque de l’attente qui ménage de la place à la croissance. Elle m’offre une alternative aux efforts que je fais pour détruire la mauvaise herbe.

Elle me propose de renoncer à me défendre, de laisser la croissance se faire librement ; elle m’invite à faire confiance à la croissance, à attendre le temps de la moisson, à renoncer à mes propres jugements et à mes propres condamnations. Mais cela, nous ne pouvons pas le provoquer. Ce ne sont ni mon expérience, ni mes réflexions qui m’apporteront le calme.

La confiance me sera donnée, ma peur sera dissipée par un autre. La confiance, ancrée dans la certitude de la moisson à venir, n’est pas ma performance mais le résultat de la rencontre avec Jésus. C’est là que s’enracine ma foi au christ. Ce n’est pas une sagesse qui va de soi ; elle est tout le contraire de notre sagesse humaine.

La parabole nous propose un comportement qui n’est pas naturel. Elle chasse la crainte de voir les choses prendre mauvaise tournure, de voir disparaître la vérité, l’amour, l’espérance, la foi, tout ce qui fait le fond de notre réalité.

Ce qui fait peur a un étrange pouvoir d’attraction. La plus petite menace détruit le calme, accapare toute l’énergie et empêche la poursuite de la croissance de nos vies. Le plus souvent, ce n’est pas la mauvaise herbe qui détruit la semence, mais bien le zèle des serviteurs.

Ainsi, lorsque je découvre en moi quelque chose de déplaisant, je m’efforce d’oublier cette découverte ; j’essaie de la relativiser, peut-être même de la cacher ; ou alors elle opère en moi un blocage et je ne pense plus qu’à ça !

La parabole m’offre une autre possibilité : laisser toute la place à l’épanouissement de la vie, à la croissance ; laisser toute la place à l’enchevêtrement du bien et du mal. Nous pouvons garder nos mains ouvertes ; nous pouvons agir en toute liberté ; nous pouvons exister quand bien même nous sommes menacés. Nous n’avons pas à nous laisser paralyser par la peur.

Cependant, il ne faut pas nier l’existence de ce qui détruit ou contrarie. Et le maître le sait aussi. Mais il donne à cette menace sa juste proportion. Il refuse de se laisser impressionner et d’accorder une importance excessive à ce qui menace son champ. A l’activisme des serviteurs, le maître oppose son calme, son espérance, sa confiance. Sa confiance est plus grande que le danger. Il ne supprime pas la menace ; il la prend au sérieux puisqu’il parle de brûler la mauvaise herbe au temps de la moisson mais il fait confiance à la croissance.

Il s’appuie sur une expérience différente de celle de milliers de paysans et propriétaires terriens présents ou passés. Il ne donne pas une recette aux serviteurs, il se contente de donner sa parole. Il n’apporte pas de preuve, il ne s’en prend pas à ce qui pousse dans le champ, il exprime simplement sa confiance. Le blé et la mauvaise herbe continueront à croître ensemble jusqu’à la moisson ; tout est encore possible, même si le bien et le mal restent enchevêtrés ; l’espoir subsiste de voir le blé mûrir.

La joie de voir lever la semence s’estompe souvent très vite quand on est en souci pour sa croissance.

Les histoires qui décrivent la vie sont trop souvent des histoires qui parlent de la peur devant la libre croissance de la semence. L’histoire que Jésus raconte m’encourage à un libre épanouissement, tant en moi qu’autour de moi.

La parabole offre ainsi une alternative à notre monde. Jésus remplace l’histoire du ver dans la pomme par l’histoire du blé qui peut pousser malgré la mauvaise herbe.

Cette parabole m’encourage à me voir non comme une menace pour moi-même ou pour les autres au vu de mes mauvaises herbes, mais à me voir et à me considérer comme libre de grandir avec tout ce qui constitue ma personne, de croître dans la foi, l’espérance et la confiance qu’au temps de la moisson, la récolte sera bonne et que seul le bon grain sera conservé. Elle m’encourage également à porter sur les autres qui m‘entourent et sur le monde, ce même regard de confiance et d’espérance. Partout et en tous, le bien et le mal cohabitent, mais il faut sereinement croire et espérer en la qualité de la récolte au temps de la moisson, envers et contre tout. Et cela dans la rencontre avec le Christ qui nous porte et nous accompagne.

Amen.

Empêche par une caresse d’amour, les fleurs de se faner. Sème, avec audace, sans voir le blé lever.

Ne désespère pas de tes compagnons.

Etonne-toi de ce qui t’est donné.

Choisis ce qui fait vivre plutôt que ce qui fait souffrir. Laisse-toi rejoindre par le Christ quand tu plies les genoux.

Bénédiction

Au creux de nos vies le Seigneur dépose l’espérance.

Dans le creux de nos mains le Seigneur dépose son amour.

Au fond de nos yeux, le Seigneur dépose sa lumière.

Dans le fond de nos cœurs, le Seigneur dépose sa paix.

Nous sommes bénis.

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

Amen

Remerciements

à Evan Metral, pianiste du jour,  qui tout au long du culte a intercalé des extraits de l’œuvre de Déodat de Séverac: Le chant de la terre.