Ouvrir grand sa porte et n’attendre personne…

Chronique d’une famille pèlerine

Loïc et Dévaki Deriaz racontent leurs aventures de l’été 2017 : Une marche de 250 km sur la Via Francigena entre Ornans dans le Jura Français et l’Hospice du Col du Grand-St-Bernard avec leur fils Olivier alors âgé de 14 mois. C’est grâce à l’hospitalité de nombreuses personnes sur leur Chemin que la famille a pu réaliser son rêve. Un périple dans lequel le mot « accueil » a pris tout son sens…

Dévaki :

Marcher avec un enfant de 14 mois n’est pas chose aisée. Il nous a fallu plus d’une année de réflexions et d’essais d’équipements. C’est en allant marcher 4 jours avec Olivier accompagné de ma maman sur le chemin de St-Jacques en Suisse, que j’ai pris conscience que le plus grand des défis serait de trouver des hébergements familiaux offrant la possibilité à Olivier de manger des repas adaptés à son âge. Ayant passé le printemps à coudre des habits de randonnée dans les vieux T-Shirts en laine mérinos de Loïc, je lui ai donc délégué la tâche de trouver une solution pour les hébergements !

Loïc :

Après m’être beaucoup renseigné sur les possibilités d’hébergement sur le parcours, j’ai réalisé que la seule solution était de dormir chez des particuliers. De tous les types d’hébergement connus sur mes chemins, l’accueil chez l’habitant est de loin le plus confortable. Il me restait donc à trouver les « bonnes âmes » d’accord de nous accueillir spontanément. J’ai alors trouvé l’idée de contacter par courrier toutes les paroisses situées sur notre itinéraire en leur expliquant notre projet et notre demande. Et nous avons été très réjouis de voir que de nombreuses personnes ont répondu très positivement à notre demande d’hébergement. C’est grâce à ces personnes que nous avons finalement pu réaliser notre rêve.

Lors de mes longues marches solitaires, j’ai beaucoup cheminé à l’intérieur de moi. En couple, nous avons créé notre Chemin à deux. Habitués à de longues marches, nous avalions les km et dormions souvent sous tente au milieu de nulle part. Cette fois-ci à 3, le Chemin prenait soudain une tout autre dimension.

Loïc et Dévaki :

Ce qui nous a profondément marqués cette fois-ci, c’est l’Accueil (avec un grand A) !

« L’accueil c’est ouvrir grand sa porte et n’attendre personne »

avions-nous lu en chemin.

Petit mot qui nous attendait sur la porte ouverte de la maison d’une famille qui nous a accueillis.

Les gens qui nous ont accueillis ont accepté de nous recevoir de façon très spontanée, avertis un ou deux jours avant notre arrivée. Ils nous ont offert le gîte et le couvert et bien plus encore en partageant un petit bout de leur vie, de leur quotidien. Chaque soir ou presque (en 3 semaines, nous avons dormi seulement 5 fois à l’hôtel ou chambre d’hôtes), nous refaisions tout un voyage à la découverte de nouvelles personnes.

En contrepartie, nous avons également partagé ce que nous avions. Être pèlerin, c’est accepter d’être accueilli et frapper aux portes pour demander un toit. Accepter de se dépouiller de tout artifice, avoir juste l’essentiel, être simplement soi, arriver les mains vides.

Sur les grands chemins de pèlerinage, sous l’affluence des pèlerins, la notion d’accueil se perd parfois. Certains hébergements deviennent touristiques. Lors des quelques nuits que nous avons passées à l’hôtel, le contraste était saisissant. Nous avions vraiment l’impression de débarquer d’une autre planète lorsque nous disions que nous arrivions à pied. Même si les établissements fréquentés étaient tout à fait sympathiques, il n’en demeure pas moins une relation hôtes-client. Au contraire, lorsque nous arrivions chez les personnes qui nous ont accueillis, nous nous sentions comme des amis voire même parfois comme des membres de la famille. Nous avons été complètement surpris de l’accueil que l’on nous avait réservé : copieux et délicieux repas, un lit avec literie, et l’échange, surtout l’échange !

A peine arrivés, une famille avec des enfants de 5 et 8 ans s’est proposée de baigner Olivier. Tout à fait à l’aise, Olivier est parti et nous, nous avons pu prendre une douche tranquillement. Autre anecdote mémorable : un feu de bois pour nous réchauffer à notre arrivée un 26 juillet pluvieux à Pontarlier. Quelle joie intense de découvrir cette générosité et à l’inverse quelle stupéfaction de découvrir un petit supplément de riz facturé 6€ dans le restaurant du lendemain. Même si nous proposions à chaque fois une contrepartie financière aux gens qui nous accueillaient, personne n’a accepté. Cela nous a fait beaucoup réfléchir. Serions-nous prêts à accueillir gratuitement des inconnus chez nous ? Leur préparer un repas, un lit, faire connaissance le temps d’une soirée et leur dire « au-revoir » le lendemain?

Nous nous sommes beaucoup interrogés sur nous aussi, y aurait-il beaucoup de jeunes parents comme nous qui consacreraient leurs 3 semaines de vacances à marcher 15-20 km par jour avec le minimum vital et arriver chaque soir chez des inconnus, le tout avec un bébé ? Nous nous sommes souvent demandés, qu’est-ce que nous faisions là et pourquoi n’étions-nous pas sur une plage au soleil comme la plupart des gens dits « normaux » ?

Matinée pluvieuse à la Cluse-et-Mijoux… Comme dit le proverbe : « La pluie du matin n’arrête pas le pèlerin ! »

Cette citation de Marcel Proust, cachée derrière la cure paroissiale de St-Maurice nous a beaucoup plu et correspondu :

« Le voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux ! »

C’est sûrement grâce à la contrainte qu’obligeait le pèlerinage avec Olivier, que nos yeux ont découvert un nouvel horizon : la générosité et l’accueil !

 

Loïc :

Lorsque je suis allé faire quelques pas sur le chemin de St-Jacques après la naissance d’Olivier, j’ai rencontré un pèlerin qui m’a dit que les enfants n’avaient pas leur place sur le chemin et que c’était égoïste de leur imposer cela !
Notre expérience nous a plutôt montré qu’Olivier a trouvé toute sa place et qu’il a énormément apprécié. Alors qu’il est tout à fait conventionnel de faire 5 à 10 heures de route en voiture pour passer une dizaine de jours dans une maison de vacances au bord de la mer, il serait anormal qu’un enfant se promène 3 semaines dans la nature avec ses parents ? Olivier marchait chaque jour environ 15 min, pas toujours dans la bonne direction, puis peut-être 20 min une fois qu’il avait trouvé son bâton de pèlerin.

Accompagner un enfant à grandir n’est-ce pas un véritable pèlerinage en soi ? Olivier nous fait découvrir une autre façon de vivre le pèlerinage.

Petite bougie allumée par Olivier dans la Basilique de St-Maurice

Loïc et Dévaki :

Alors qu’à l’arrivée d’un enfant, nous luttions contre l’envahissement de matériel, nous avons appris à faire avec le minimum d’habits, à cheminer sans jouets en exerçant notre créativité, en s’amusant avec ce qui se présentait sur le chemin. Il y a eu les baignades dans le lac Léman, le chemin de chênes où tous les glands ont eu le droit de passer un moment dans la bouche d’Olivier, les découvertes des cascades et des arbres, les animaux, les bougies allumées dans les églises et les chapelles, les chansons dans les églises, les moments de chatouilles, de rigolades et de fous rires, sur le dos de maman, dans l’herbe ou dans le lit chez nos hôtes !

Si nous n’avons peut-être pas pu cheminer énormément à l’intérieur de nous-mêmes et si nous étions très fatigués au col du Grand-St-Bernard, c’est sûrement ces moments de simplicité, de spontanéité qui nous ont le plus plu et qui nous manquent au quotidien ! L’itinéraire étant tracé, nous n’avions plus qu’à marcher et apprécier les beaux moments qui s’offraient à nous !

Arrivée à l’Hospice du Grand-St-Bernard d’un petit pèlerin

Après 250 km de marche, nous sommes arrivés à l’Hospice du Grand-Saint-Bernard, point culminant de la Via Francigena situé à plus de 2470m d’altitude. Nous lisions alors sur un mur

« là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur ».

Cette citation du chapitre 6 de l’évangile selon Matthieu invite à amasser les trésors dans le ciel et non sur terre. Cette phrase résonne en nous ; la richesse de notre voyage vient sans conteste des personnes rencontrées qui, en nous ouvrant leur cœur, ont partagé un petit bout de leur trésor.

« La richesse d’une rencontre vaut mieux que de rencontrer la richesse »

avions-nous lu en chemin. Notre expérience de l’été l’a bel et bien confirmé !

 

P.S. Bonus :  Lors de ces 3 semaines de Chemin, nous avons créé un hymne de voyage pour aller toujours plus loin…

[Adaptation d’un texte écrit en automne 2017 pour une chronique radio dans le cadre de la Pastorale des Familles du Diocèse de Besançon sur la RCF (Radio Chrétienne Française) à l’initiative de Fabienne et Denis Tirole de Pontarlier. Inconnus avant l’été 2017, ils nous ont accueillis chez eux deux nuits comme des membres de leur famille…]


À lire aussi: Le CHEMIN est le BUT – chronique d’un pèlerin par Loïc Deriaz.