Quand ma manière d’investir mon argent dit quelque chose de moi

Jeudi 27 août, j’ai été invitée à prêcher lors d’un culte au sein de la communauté de Grandchamp. Vous partager ce message est une manière  d’être en lien avec cette communauté toute proche géographiquement, mais aussi spirituellement.

Lecture de l’Evangile de Marc 12,13-17

Aujourd’hui c’est sur des questions de politique que Pharisiens et Hérodiens se sont mis d’accord pour tenter de piéger Jésus. Habituellement, Pharisiens et Hérodiens sont plutôt des ennemis, mais là, ils ont la même perversité, donc ils font front commun. Ils viennent poser une question à Jésus, mais ils ont chacun leur position, les Hérodiens étant favorables à l’occupant romain, les Pharisiens étant favorables à l’indépendance du peuple juif et ils ne vont pas en démordre, quoi qu’en dise Jésus. Ils ne s’intéressent donc pas au contenu de la réponse de Jésus, si ce n’est pour chercher à le prendre en faute.

Je ne sais pas comment, en tant que lecteur/trice vous réagissez en entendant qu’ils veulent tendre un piège à Jésus. Moi, je suis un peu comme une enfant qui suit les péripéties de son héros. J’ai confiance qu’il va s’en sortir et qu’il sera, une nouvelle fois vainqueur, mais je suis impatiente de voir comment cela va se passer, pour tenter de m’inspirer de sa manière d’agir.

Il faut dire que, ce jour-là, Jésus se retrouve face à de fins stratèges : ils usent de flatterie pour le charmer et tenter de le faire baisser les armes, espérant qu’il va ainsi tomber dans le piège.

Ils lui disent de très gentilles choses : « Maître, nous savons que tu dis vrai et que tu ne t’adaptes pas à tes auditeurs pour flatter leur égo, mais que tu enseignes la vérité qui conduit à Dieu ». Le lecteur que nous sommes se dit : « Ouah ! ils ont raison, c’est exactement cela, ils ont bien compris qui est Jésus, peut-être encore mieux que ses propres disciples ! » Mais très vite, on réalise qu’on ne peut pas s’en réjouir, car la réaction de Jésus à leur flatterie nous révèle que ces compliments sont pur calcul pour tenter de faire chuter notre héros. Dès lors, ça sonne faux ! Il y a une manigance qui nous fait craindre pour notre superman !

Mais Jésus ne se laisse pas acheter. Il sait même résister à l’effet sournois des compliments.

Alors même que ses adversaires lui posent une question fermée, à laquelle ils ne lui laissent pas d’autre choix que de répondre par oui ou par non, il va répondre par une interpellation qui va laisser ses adversaires pantois.

Ils lui posent la question : « Est-il permis de donner l’impôt à César ? »

Si je vous dis : est-il permis de payer ses impôts à l’État de Neuchâtel, vous me répondrez, il est non seulement permis de les payer, mais c’est même un devoir, une obligation !

« Est-il permis » fait allusion à la loi de Moïse : est-ce que la loi le permet ? En d’autres mots, ils veulent vérifier si la réponse de Jésus sera conforme à ce qu’ils pensent que Dieu demande !

Si vous ne connaissiez pas la suite de l’histoire, quelle réponse attendriez-vous de Jésus ?

On sait que Jésus est l’ami des collecteurs d’impôts, l’ami de Zachée, il va manger chez eux. On se dit que si Jésus considérait qu’ils devraient arrêter de collecter l’impôt qui soutient  l’envahisseur romain, il leur aurait déjà fait comprendre qu’ils feraient bien de changer de métier. Mais rien ne laisse sous-entendre cela.

Jésus va-t-il donc dire qu’il faut payer l’impôt à César ? C’est bien juste ?

Si Jésus répond « oui », on va l’accuser de complicité avec l’occupant romain qui exerce un pouvoir païen sur la terre d’Israël, donc les Juifs pourront l’accuser de trahison. S’il répond « non », on pourra l’arrêter et l’accuser de révolutionnaire qui conteste les droits de l’Empire romain. Il est vraiment dans une situation périlleuse ! Par ailleurs, Jésus a, parmi ses disciples, un ancien collecteur d’impôts, Matthieu, de même qu’un zélote, Simon. Or, on sait que les zélotes voulaient chasser les Romains. Donc même parmi ses disciples, il y avait des fronts qui s’opposaient. Et puis, il y avait la foule, constituée essentiellement de Juifs, elle aussi opposée à l’occupation romaine. Jésus se trouve vraiment sur un terrain miné !

Avant de nous faire découvrir la réponse de Jésus, l’évangéliste Marc prend la précaution de nous informer que Jésus n’est pas dupe. Il refuse tant de répondre par l’affirmative que par la négative et il interpelle ses interlocuteurs quant à leur intention : « Pourquoi me tentez-vous ? »

Est-ce que Jésus les agresse ? Vous savez qu’une question qui commence par « pourquoi » est une question agressive. Elle conteste le droit de l’autre à faire ce qu’il fait, elle le remet en question et l’oblige à se justifier. Pour qu’une question ne soit pas agressive, il faut qu’elle commence par « comment » ; il s’agit alors d’une véritable question qui montre qu’on s’intéresse à comprendre l’autre et qu’on a envers lui/elle une attitude bienveillante.

Jésus leur pose donc une question qui n’attend pas de réponse. Il connaît leurs intentions et il n’est pas complaisant envers leur fourberie. Mais il va faire preuve, tout à nouveau, d’une grande habileté pour déjouer leur piège.

Il leur fait une demande : « apportez-moi un denier afin que je le voie ». Jésus semble ne pas avoir d’argent sur lui. Le fait qu’il n’en ait pas peut exprimer le fait qu’il ne veut pas se compromettre avec cet argent idolâtre, ou, simplement, que cela correspond à son attente envers ses disciples.

Toujours est-il qu’ils trouvent facilement un denier, probablement parmi les pharisiens ou les Hérodiens, signe qu’il y a parmi eux des gens qui reconnaissent l’autorité du suzerain qui a frappé cette monnaie.

Jésus pose alors la question qui va lui permettre de piéger ses auditeurs : « de qui est cette image et l’inscription ? » Jésus peut alors rétorquer, non sans malice, qu’il faut restituer son bien à César.

Jésus aurait pu s’arrêter là. On se serait dit : Jésus est un homme soumis aux autorités, il obéit bien, pas étonnant ! C’est Jésus ! Il est tellement bon qu’il encourage même à payer l’impôt à une puissance d’occupation. Il n’a rien d’un révolutionnaire, d’un anarchiste, tout comme Paul, qui dit « Soyez soumis aux autorités » (Romains 13,1).

Mais avez-vous pris garde à ce qu’il ajoute : « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ! ». Est-ce que toute chose n’appartient pas à Dieu ? Même les deniers frappés à l’effigie de César ? Ah ! Alors, qu’est-ce que Jésus dit, vraiment ?

L’astuce de Jésus est bien de ne pas répondre à la question telle qu’elle était posée, mais de l’élargir jusqu’à envisager une diversité des sphères d’autorité : celle de César et celle de Dieu. Cela nous fait penser aux paroles échangées entre Jésus et Pilate, lorsque Jésus lui dit : « Tu n’as aucun pouvoir sur moi à part celui que Dieu t’a accordé d’en haut » (Jean 19,11).

Donc non seulement Jésus déjoue le piège qui voulait l’enfermer dans un oui ou un non sur une question d’ordre politique, mais – c’est là toute la subtilité de Jésus, son intelligence divine, sa sagesse supérieure – Jésus opère un glissement vers le niveau théologique qui est la véritable préoccupation de Jésus : il fait réfléchir son interlocuteur sur ce qui appartient à Dieu et sur ce que nous lui devons. Par-là, Jésus refuse de donner une réponse pratique, concrète sur cette question d’impôt.

« Ce qui est à César, rendez-le à César ! Et ce qui est à Dieu, à Dieu ! »…

On pourrait aussi comprendre qu’il faut rendre à l’occupant romain la seule chose qui lui appartienne, à savoir la monnaie portant son effigie, son image. César n’est pas un Dieu et, réciproquement, Dieu ne doit pas être conçu comme un César, ce qui serait incompatible avec la Passion qui s’approche, où Dieu se révélera dans un homme crucifié.

Mais probablement que l’évangéliste Marc aimerait attirer notre attention sur le thème de l’image : l’homme est fait à l’image de Dieu. En faisant imprimer son image sur les deniers, César a cru pouvoir se les approprier, mais même s’il ne reconnaît pas l’autorité de Dieu, il est lui-même fait à l’image de Dieu. Donc son effigie appartient à Dieu !

Ainsi donc, par sa réponse, Jésus va bien au-delà d’une simple réponse à la question qui lui est posée. Comme toujours, Jésus agit avec une grande habileté, une sagesse qui nous désarçonne et beaucoup d’humour.

Est-ce que Jésus dit qu’il faut payer l’impôt à César ? On ne sait pas vraiment ! Car la Bible n’est pas un livre de morale et, une fois de plus, Jésus refuse de donner des règles de comportement. Il renvoie ses auditeurs à leur responsabilité d’hommes et de femmes qui doivent juger eux-mêmes de la rectitude des exigences du pouvoir politique et de leur compatibilité avec les choses de Dieu. Au lieu de chercher à torpiller Jésus, ils feraient mieux de prendre soin de leur relation à Dieu !

Ainsi donc, Jésus surprend tout le monde par son ironie : il arrive à passer d’un domaine qui a l’air sérieux à un domaine autrement plus sérieux. Ses auditeurs sont captivés par une prise de position politique et Jésus relativise ce domaine au profit d’un autre, celui de Dieu. Ainsi donc, il fait apparaître ce qui est pour lui la vraie question : Qu’est-ce qui appartient à Dieu ? Qu’est-ce que je devrais rendre à Dieu car, au fond, ça lui appartient ? Car oui, les domaines dans lesquels j’investis mon argent disent bel et bien quelque chose de moi, de mes priorités. Qu’est-ce qui compte le plus pour moi ? Est-ce bien là que je mets mon argent ?

 

Image par Michal Jarmoluk de Pixabay