Langage fleuri ou langues de vipères

10 « La pluie et la neige tombent du ciel,
mais elles n’y retournent pas
sans avoir arrosé la terre,
sans l’avoir rendue fertile,
sans avoir fait germer les graines.
Elles procurent ainsi
ce qu’il faut pour semer
et ce qu’il faut pour se nourrir.

11 Eh bien, il en est de même
pour ma parole, pour ma promesse :
elle ne revient pas à moi
sans avoir produit d’effet,
sans avoir réalisé ce que je voulais,
sans avoir atteint le but
que je lui avais fixé. »

Ésaïe 55,10-11

 

33 Ils arrivèrent à Capernaüm. Quand il fut à la maison, Jésus questionna ses disciples : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » 34 Mais ils se taisaient, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir lequel était le plus grand. 35 Alors Jésus s’assit, il appela les douze disciples et leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, il doit être le dernier de tous et le serviteur de tous. »

Évangile de Marc 9,33-35

 

2 Nous commettons tous des erreurs, de bien des manières. Si quelqu’un ne commet jamais d’erreur dans ce qu’il dit, c’est un homme parfait, capable de maîtriser tout son être. 3 Nous mettons un mors dans la bouche des chevaux pour qu’ils nous obéissent, et nous pouvons ainsi diriger leur corps tout entier. 4 Ou bien, pensez aux navires : même s’ils sont très grands et que des vents violents les poussent, on les dirige avec un très petit gouvernail, et ils vont là où le pilote le veut. 5 De même, la langue est une très petite partie du corps, mais elle peut se vanter d’être la cause d’effets considérables.

Pensez au petit feu qui suffit à mettre en flammes une grande forêt ! 6 Eh bien, la langue est pareille à un feu. C’est un monde de mal installé dans notre corps, elle infecte notre être entier. Elle enflamme tout le cours de notre existence d’un feu provenant de l’enfer même. 7 L’être humain est capable de dompter toute espèce de bêtes sauvages, d’oiseaux, de reptiles et de poissons, et, en fait, il les a domptés. 8 Mais personne n’a jamais pu dompter la langue : elle est mauvaise et sans cesse en mouvement, elle est pleine d’un poison mortel. 9 Nous l’utilisons pour louer le Seigneur, notre Père, mais aussi pour maudire les êtres humains que Dieu a créés à sa ressemblance o . 10 Des paroles de louange ou de malédiction sortent de la même bouche. Mes frères, il ne faut pas qu’il en soit ainsi. 11 Aucune source ne donne par la même ouverture de l’eau douce et de l’eau amère. 12 Aucun figuier, mes frères, ne peut produire des olives, aucune vigne ne peut produire des figues ; une source d’eau salée p ne peut pas donner de l’eau douce.

Épître de Jacques 3,2.12

 

Langage fleuri ou langue de vipère

Il était une fois une veuve qui avait deux filles. La première lui ressemblait en tout point, d’humeur et de visage. Elles étaient toutes les deux infiniment désagréables et orgueilleuses. La cadette, elle, tenait tout de son père. Elle n’était que douceur et honnêteté. Vous connaissez sans doute l’histoire de ces deux sœurs du conte de Perrault.

La cadette qui un jour où elle puisait de l’eau est abordée par une vieille femme qui lui demande à boire. Sous les traits de cette vielle femme se trouve en réalité une fée qui, en récompense de la générosité de la jeune fille lui donne le don suivant : à chacune de ses paroles sortira de sa bouche un fleur ou une pierre précieuse. De retour chez elle, la fille raconte sa rencontre et de ses paroles naissent bouquets splendides, perles et diamants étincelants. Avide, la mère envoie la fille aînée à la fontaine pour qu’elle aussi reçoive ce don. Mais la fée lui apparaît sous les traits d’une femme distinguée et la méchante sœur la traite avec dédain. La sanction ne se fait pas attendre, serpents et crapauds ponctueront désormais chacune de ses paroles.

Le silence est d’or

Un langage fleuri et une langue de vipère.
Et cette question : laquelle de ces deux sœurs suis-je ? Lorsque tu ouvres la bouche, sort-il des pierres précieuses ou des serpents ? Si tu hésites. Si tu n’es pas sûr.e qu’en prononçant les mots qui viennent à tes lèvres ce seront des fleurs qui sortiront, alors il vaut mieux garder le silence.

Comme les disciples qui, ce jour-là, savent bien que leur discussion n’est pas de celles qui édifient. Ils savent pertinemment combien il est ridicule et mal venu de se disputer pour savoir qui est le plus grand alors même que Jésus vient de leur annoncer ce qui l’attend lui : sa Passion.

Certaines paroles édifient. D’autres sont juste du verbiage. Certaines paroles font du bien, d’autres blessent autant qu’un couteau acéré.

C’est fou comme dans une seule et même journée, on peut rencontrer dans sa boîte aux lettres, dans sa boîte mail ou au détour d’une rue du village des paroles des deux types. Coup sur coup. Mais il en faut des fleurs et des perles pour apaiser l’effet du venin d’un seul serpent!

Prenons la mesure de la force d’une seule parole.

Paroles humaines, parole de Dieu

Mercredi dernier, nous avons été nombreux à assister à la conférence du pasteur Christophe Kocher. Il nous a, entre autres choses passionnantes, rappelé l’importance de l’impact d’une parole. Lorsque celle-ci condamne. Lorsque celle-ci s’attaque à une personne dans son être. Une parole fait des ravages.

Il nous a aussi rappelé une chose fondamentale: la Bible n’est pas la parole de Dieu. Les textes ne sont pas en eux-mêmes parole de Dieu. Ils contiennent sa parole et c’est à nous de la rechercher, d’interpréter les textes pour y déceler son évangile, sa bonne nouvelle. La parole de Dieu, ce ne sont pas des mots, ce ne sont pas des textes. C’est une personne. La Parole, c’est le Christ. Et ce n’est qu’en lisant les textes à la lumière du Christ que nous pouvons y trouver sa parole pour nos vies.

Au temps de la Réforme, il y a eu débat autour de l’épître de Jacques justement autour de cette question. Cette épître mérite-t-elle de figurer dans la Bible ou non ? Autrement dit, transmet-elle la parole de Dieu si on la lit à la lumière du Christ ? Martin Luther était lui-même sceptique car l’auteur de cette épître insiste beaucoup sur l’importance de l’action. La foi ne doit pas demeurer bonnes intensions, elle doit s’incarner dans des actes. Luther craignait que l’insistance de Jacques sur l’indispensable cohérence entre le dire et le faire ne détourne les croyants du salut pas la foi seule et ne devienne un encouragement à chercher sa justification devant Dieu par les œuvres : plus de fais de bonnes actions, plus je plairai à Dieu !

Mais dire est déjà un acte. La parole est une action. Une menace, une insulte est déjà un agression. Un compliment, un encouragement, déjà un acte bienveillant.

Je crois qu’aujourd’hui, nous pouvons être heureux que la petite épître de Jacques ait gardé sa place dans le corpus des textes bibliques. Et il nous donne de nous intéresser à cet étonnant passage sur la langue.

La langue

Pour parler de la langue, il utilise trois images : le mors, le gouvernail et le feu.

Le mors que l’on met dans la bouche d’un cheval permet de le diriger avec fermeté. Le cheval ne tergiverse pas, il obéit. La langue doit être domptée avec autorité. Ce qui sort de ma bouche est de ma responsabilité. Il m’appartient de tenir serrée une langue qui pourrait rapidement devenir un cheval fou, s’emporter et prononcer des paroles que je pourrais regretter.

Proportionnellement à la taille d’un bateau, le gouvernail n’est pas grand-chose mais tout dépend de lui. Son rôle est central. C’est lui qui oriente, qui conduit, qui permet de rentrer sain et sauf au port ou qui permet de garder le cap même en haute mer. La langue permet de grandes aventures, des histoires extraordinaires, des épopées fantastiques. Mais attention si elle s’égare ou se brise. C’est tout le navire qui est en péril.

On sait aujourd’hui grâce aux travaux des psycho-linguistes combien les paroles prononcées et entendues influencent non seulement perception du monde mais aussi le développement de notre cerveau. A l’université de Fribourg, des équipes travaillent sur le langage épicène et ont démontré que le masculin qui est communément utilisé pour désigner à la fois les femmes que les hommes n’est pas anodin. Ne jamais utiliser au féminin certains termes installent dans l’esprit des petites filles l’idée par exemple que telle ou telle profession n’est pas pour elles. Alors si pour ne pas exclure la moitié de notre population il suffit de féminiser un tant soit peu notre langage, je trouve que ce n’est pas un effort surhumain. De même que le gouvernail, la langue n’est pas grande. Elle ne paie pas de mine mais c’est bien elle qui dirige tout.

Troisième image : le feu. Une toute petite étincelle suffit pour embraser des forêts entières. Une petite allumette, un mégot de cigarette jeté à terre et tout s’embrase. Un petit rien et des hommes et des femmes se battent nuit et jour contre des incendies. Une parole en l’air, ce n’est pas grand choses. Mais ses effets peuvent être immenses.

Le mors, le gouvernail, le feu. La langue, petit organe qui n’a rien de très impressionnant, peut devenir un outil redoutable. Tel le serpent du récit de la genèse qui réussit à instiller le doute dans l’esprit de l’homme et de la femme. Le doute puis le mensonge, poison mortel qui détourne l’être humain de sa mission fondamentale : participer à l’œuvre de Dieu.

Bénédiction ou malédiction

Au sein de toute la création, l’être humain est la seule créature que Dieu a doté de la parole. Ou en tout cas d’une parole construite et complexe. Seule créature capable d’un tel langage oral et écrit. La puissance de la parole est immense.

Capable de ravages, porteuse de mort lorsqu’elle dit mal. Elle est malédiction.
Capable aussi de grandes choses, porteuse d’espérance, elle relève lorsqu’elle dit bien. Elle est bénédiction.

Comment de la même bouche peut-il sortir des paroles de louanges des malédictions ? « Il ne faut pas qu’il en soit ainsi ! » assène Jacques. Reprenant habilement l’expression du récit de la création. Lorsque Dieu, par sa parole, crée. Que la lumière soit. Et il en fut ainsi. Non, il ne faut pas qu’il en soit ainsi. Il ne faut pas que de nos bouches sortent des serpents et des crapauds qui vont distiller leur venin ça et là.

Personne ne peut surveiller la bouche d’un autre. Mais il est de ma responsabilité de surveiller la mienne. Que Dieu me soit en aide !
« Seigneur, monte la garde devant ma bouche.
Surveille la porte de mes lèvres. » Psaume 141,3

Une vipère, cela s’échappe si vite. Mais une fleur, cela fait tant de bien. Ne soyons pas avares de belles paroles. De petits mots qui font du bien. Même si cela nous semble anodin, comment savoir si ce n’était pas justement ce dont l’autre avait besoin ? Un petit mot gentil. Une carte, un message. Juste un mot qui dit : je te veux du bien, tu comptes. Un mot de bénédiction.

Ne soyez pas avares de perles. Ce sont elles qui changent le monde, qui participent à l’agir créateur de Dieu, qui sont porteuses de vie.

Amen