Une bible des femmes… Une Bible. Des hommes

Les Editions Labor et Fides de Genève viennent de publiercoup sur coup Une bible des femmes (2018) et Une Bible. Des hommes (2021). Entretien avec Yvan Bourquin, théologien spécialiste du Nouveau Testament et collaborateur du 2ème volume.

Théologien vaudois mais très engagé dans l’EREN depuis sa retraite, Yvan Bourquin préside des cultes et des rencontresdans les cantons de Vaud et de Neuchâtel. Spécialiste du Nouveau Testament avec une thèse sur Marc, une théologie de la fragilité. Obscure clarté d’une narration, il collabora avec le Prof. Daniel Marguerat à la vulgarisation des écrits du Nouveau Testament. Poussé à s’intéresser à la question du genre suite à des événements familiaux, il aborda ensuite lesthèmes de la souffrance et les questions relatives auxpersonnes blessées par la vie. C’est la notion d’Eglise inclusive qui lui permettra de résumer comment l’accueil radical prôné par Jésus peut s’incarner chez ceux et celles qui se réclament de lui.

 

Yvan Bourquin, vous avez collaboré à l’ouvrage Une Bible. Des hommes. Quel but poursuit cet ouvrage ?

Après Une bible des femmes le besoin s’est fait sentir de s’attaquer à des figures masculines présentées par la Bible. Si, à l’ère du féminisme Une bible des femmes paraissait légitime, il était également devenu légitime de s’intéresser à des figures bibliques masculines allant, par exemple, de Samson, figure du machisme qui finalement perd tout pouvoir, à Joseph, père adoptif de Jésus, figure de la discrétion et du service. C’est d’ailleurs sur ce dernier portrait que j’ai travaillé, exceptionnellement en trio car chaque portrait est traité par une équipe mixte d’au moins deux personnes.

L’ouvrage Une Bible. Des hommes montre qu’il ne faut pas confondre masculinité avec virilité et encore moins machisme. La Bible nous présente des hommes avec leurs forces mais aussi leurs faiblesses et leurs vulnérabilités.

N’y a-t-il pas un côté artificiel à projeter des concepts actuels (féminité, masculinité, questions de genre, homosexualité, intersexualité, etc.) dans une Bible historiquement marquée ?

En fait il s’agit plutôt d’interroger la Bible à propos de questions actuelles, comme on le fait toujours. Certains personnages mis en exergue dans l’Ancien ou le Nouveau Testament, par leur comportement, leur foi, leur originalité, peuvent nous apporter des indications utiles pour notre propre réflexion, notre propre identité comme nos actions.

Le grand théologien qu’est saint Paul nous a appris que : vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ. Cela ne met-il pas fin, en régime chrétien à toute distinction de sexe, de race, de condition sociale, etc. dans la communauté chrétienne ? N’est-ce pas la personne humaine qui est au centre et pas toutes ces distinctions et catégorisations ?

Effectivement, saint Paul va très loin en abolissant toutes les catégories ethniques, sexuelles, de croyance. Toutefois la rencontre avec ces personnages bibliques nous donne l’occasion de nous situer, de progresser et parfois de nous remettre en question dans notre propre mode d’agir.

Venons-en au personnage que vous avez particulièrement étudié avec Joan CharrasSancho, Dre en théologie deStrasbourg et Josselin Tricou, Dr en sciences politiques et études « genre » de Vincennes… Que nous dit Joseph même s’il est muet dans les textes ?

La figure de Joseph nous donne l’image d’une paternitépossible mais non évidente. Il épouse une femme dont l’enfant n’est pas le sien. Il faut dire que Dieu le lui a demandé. Il est totalement au service du plan divin. Pour le reste, il ne parle pas, c’est-à-dire qu’il agit en toute discrétion. Avare de paroles il est néanmoins riche en actes concrets. Figure d’action, il nous propose un contre-modèle. En fait il est à l’exact opposé d’un Samson, devenu, à force de machisme, toxique pour les siens come pour lui-même. Samson est la figure de ce qu’il ne faut pas faire alors que Joseph est la figure de l’anti-macho par excellence. C’est un père atypique mais, contrairement à ce que l’on pourrait croire, il est véritablement efficace. Il n’est pas LE père, mais il est père, il accomplit sa vocation de manière exemplaire.

Que retenez-vous pour de futurs lecteurs de ce passage à travers Une bible. Des hommes ?

Ce livre permet à chaque lecteur et lectrice de faire le point sur soi-même, sur sa propre personnalité en confrontation avec des personnages bibliques bien typés. L’on découvrira peu à peu que la masculinité n’est pas la virilité macho célébrée de nos jours en politique ou dans le domaine relationnel. La Bible prend le contrepied de la figure de l’homme fort et invincible proposé par la société et les régimes politiques autoritaires. L’étude fouillée de chaque personnage nous permet aussi de nous distancer de la manière sommaire dont on a parfois présenté des héros bibliques au premier degré.

En résumé, dans le cheminement vers la masculinité, ces figures bibliques nous proposent des repoussoirs (Samson) ou des identifications qui nous permettent de progresser, par exemple Joseph. Cette interrogation des textes bibliques apporte un regard critique bienvenu sur la manière d’être homme, père, fils, frère, mari, maître, compagnon, ami, etc.pour notre époque.

Propos recueillis par Jean-Jacques Beljean