Quand on ne se sent pas reconnu

Paul et ses compagnons arrivèrent à Antioche. Le jour du sabbat, ils entrèrent dans la synagogue et s’assirent. 

Après qu’on eut fait la lecture dans les livres de la loi de Moïse et des Prophètes, les dirigeants de la synagogue leur firent dire : « Frères, si vous avez quelques mots à adresser à l’assemblée pour l’encourager, parlez maintenant. » 

Paul se leva, fit un signe de la main et dit : « Gens d’Israël et vous qui reconnaissez l’autorité de Dieu, écoutez-moi :

Les habitants de Jérusalem et leurs dirigeants n’ont pas reconnu qui est Jésus ; en le jugeant, ils ont accompli les paroles des prophètes qu’on lit à chaque sabbat. 

Bien qu’ils n’aient trouvé aucune raison de le condamner à mort, ils ont demandé à Pilate de le faire mourir. 

Après avoir accompli tout ce que les Écritures avaient annoncé à son sujet, ils le descendirent de la croix et le déposèrent dans un tombeau. 

Mais Dieu l’a ressuscité des morts. 

Pendant de nombreux jours, Jésus est apparu à ceux qui l’avaient accompagné de la Galilée à Jérusalem et qui sont maintenant ses témoins devant le peuple d’Israël. 

Nous-mêmes, nous vous apportons cette bonne nouvelle : ce que Dieu avait promis à nos ancêtres, 

il l’a accompli pleinement pour nous, leurs descendants, en ressuscitant Jésus de la mort. Il est écrit en effet dans le Psaume deux :

“C’est toi qui es mon fils,

aujourd’hui, je t’ai fait naître.”

Dieu avait annoncé qu’il le ressusciterait d’entre les morts pour qu’il ne retourne plus à la pourriture. Il en avait parlé ainsi :

“Je vous donnerai les bénédictions saintes et sûres

que j’ai promises à David.”

C’est pourquoi il affirme encore dans un autre passage :

“Tu ne permettras pas que moi, ton ami fidèle, pourrisse dans la tombe.”

Actes 13,13-35 (extraits)

Ils n’ont pas reconnu qui était Jésus !

Est-ce que c’est agréable qu’on ne reconnaisse pas qui on est ?

Dans la rue : vous m’avez vue aujourd’hui et on se recroise dans une semaine et je ne vous reconnais pas !!! Je sais que c’est très douloureux, mais que cela peut m’arriver. Je vous prie d’avance de bien vouloir m’excuser si cela devait m’arriver.

« Ne pas se sentir reconnu » a encore un autre sens, plus abstrait. Je ne me sens pas reconnu·e lorsque quelqu’un ne reconnaît pas mes qualités, mes compétences, ma valeur.

Est-ce que cela vous est arrivé dans votre domaine professionnel ? Vous êtes expert dans un domaine et on vous prend pour un débutant. Comme ma belle-fille qui a fait un apprentissage de mécanicienne sur auto. Lorsque les gens amenaient leur voiture pour la faire réparer, ils pensaient toujours qu’elle était la femme de ménage ou la secrétaire alors qu’elle avait réussi brillamment son apprentissage, et qu’elle était peut-être plus compétente que d’autres hommes mécano. Elle a quitté la profession, dégoûtée.

Ou bien vous avez fait vos preuves dans un domaine et il a suffi que vous fassiez quelques erreurs parce que vous traversiez une période difficile, pour que vous perdiez votre place, et du même coup votre statut et toute la reconnaissance qui y était liée.

Pas facile de continuer de croire en soi lorsque les autres ne croient plus en vous !

Pareil dans sa famille, lorsqu’on nous a catalogué : « Toi, tu n’y arriveras jamais ! » Tout ça parce qu’on est le cadet et que nos parents préfèrent l’aîné et n’ont d’yeux que pour lui, ou l’inverse. Ou lorsqu’on a été abandonné, pas désiré, qu’on a essayé de nous « faire passer » comme on disait, soit d’avorter de nous… tant de situations qui ont laissé en nous une blessure d’amour.

Est-ce que vous avez été baptisé ? Probablement que lors de votre baptême, on a lu sur vous le verset d’Esaïe 43 : « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime ». Est-ce que ça vous parle ? Un seul nous a vraiment reconnu : Dieu, qui est à la fois votre Père et votre Mère du ciel. Mais est-ce que nous arrivons à accueillir son amour ? Parfois, nous nous croyons tellement indigne d’amour, que nous nous croyons également indignes de l’amour de Dieu.

Alors nous pouvons chercher à combler ce manque d’amour de différentes manières :

  1. Par la nourriture : nous nous remplissons à ras bord, jusqu’à ce que nous soyons repus, qu’il n’y ait plus de vide.
  2. Par l’accumulation de vêtements, d’objets, d’argent… trop de tout, nous avons beaucoup plus que nécessaire, nous sommes encombrés, engloutis par les choses et nous finissons par en devenir esclaves.
  3. Nous misons tout sur l’intelligences, les diplômes, les études. La pensée ne s’arrête jamais ; tout est centré sur une accumulation de connaissances, de savoir. Il n’y a plus aucun espace libre, aucune vacance. Plus de temps pour le silence, le calme, la relation gratuite ; un travail professionnel qui dévore toute la vie. Ce peut être l’art, la culture, la musique, l’analyse… tout plein de choses excellentes en soi mais qui, si elles deviennent un but exclusif de la vie, peuvent envahir tout l’être.
  4. Nous pouvons aussi attendre de l’autre de combler notre manque, au sein du couple. En fait, nous recherchons l’amour que nous n’avons pas reçu de notre père ou de notre mère. Mais notre relation est piégée, car nous aimons l’autre non pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il peut nous apporter en réparation de ce qu’il nous a manqué.

On peut alors s’interdire le bonheur, s’interdire de bénéficier des bonnes choses de la vie, s’interdire l’apaisement, la satisfaction de soi et courir toujours après la reconnaissance des autres.

Si cela devait être votre cas, j’aimerais vous encourager à vous arrêter quelques instants et à reconnaître l’existence de ce manque. Je vous invite à le regarder en face et à renoncer à le combler. En effet, il est illusoire de croire que le but de la vie est de combler ce manque et que le bonheur n’existera que lorsque votre manque sera comblé. En fait, en tout être humain, il y a un manque, une béance, qui est, je crois, un appel vers Dieu. Aujourd’hui, j’aimerais vous encourager à vivre ce manque en Dieu, avec Dieu. Et c’est Jésus qui nous montre comment faire.

Lui qui n’a pas été reconnu et qui en a perdu la vie, physiquement, radicalement. Mais il n’a pas connu la décomposition, car Dieu l’a ressuscité. Comme dit Marc Oraison, qui était à la fois médecin, psychanalyste et prêtre catholique français : « On avait tué l’amour fait homme, et l’on s’apercevait qu’il était plus étrangement vivant qu’auparavant, dégagé de la servitude du temps »[1].

Qu’à notre tour, nous ne laissions pas ces manques d’amour nous faire nous décomposer, mais que ce soit l’opportunité de nous ouvrir à l’action de Dieu en nous, comme ça a été le cas pour Jésus. Car vous l’avez peut-être remarqué lorsque nous avons lu le discours de Paul, si les humains n’ont pas reconnu qui était Jésus, Dieu, lui, l’a reconnu et a cherché à le faire reconnaître en faisant revenir Jésus de la mort, lui évitant ainsi la décomposition, qui aurait été l’humiliation ultime. Dieu a prouvé cela en permettant aux amis de Jésus de le voir avec son corps de ressuscité.

Et cette bonne nouvelle, si elle a eu lieu pour Jésus, elle est promise aussi à tous ceux et celles qui l’aiment et qui cherchent à le suivre : à notre tour, elle peut nous relever, nous remettre debout, nous remplir de sa vie, la vie éternelle, cette vie qui nous unit au Christ vivant, ressuscité. Il suffit pour cela de lui dire « Viens ! Viens en moi, viens dans mon cœur meurtri, dans mon être souffrant et remplis-moi de toi, de ta douceur, de ton amour, de ta bienveillance, de ta bonté…

Amen

Seigneur,

Toi qui sais ce que c’est que de ne pas être reconnu pour ce que nous sommes, à notre juste valeur, aide-nous à t’ouvrir notre cœur et à accueillir la seule véritable reconnaissance de qui nous sommes, celle qui vient de toi.

Car c’est toi qui as voulu notre existence, même lorsque nos parents ont voulu avorter, lorsqu’ils ont pleuré d’apprendre la nouvelle de notre existence à naître… Et tu étais triste que nous ayons dû vivre et nous construire sur ce désastre !

Qu’aujourd’hui ta présence, Seigneur, et ton Esprit nous consolent et nous remplissent de ce merveilleux amour, de cet Amour absolu, que nous ne trouvons qu’en toi.

Amen


[1] Marc Oraison, « Au point où j’en suis… », Seuil, 1978, p. 177.