Jubilé de la Réforme: La saveur des mets et des mots

Les festivités des 500 ans de la Réforme offrent un panel d’événements fort éclectique. A Neuchâtel, la salle des pasteurs a récemment servi de décor à un repas du XVIe siècle entrecoupé d’extraits des «Propos de tables» – Tischreden – de Martin Luther. Portée par trois remarquables comédiens, cette pièce de théâtre (lire ci-dessous) a rappelé aux convives la personnalité complexe du réformateur.

Ce menu de la Réformation a permis aux participants de s’initier à quelques us et coutumes de l’époque en matière d’alimentation et d’arts de la table. «A l’époque, les gens étaient friands d’épices et avaient une propension à en utiliser abondamment», commente Elisabeth Reichen. Instigatrice de ce «repas luthérien», celle-ci ajoute qu’«ils avaient énormément recours au poivre, à la cardamone et à la cannelle. De plus, au niveau culinaire, la tendance était à ajouter du sucre dans les mets salés.»

L’alimentation était basée sur les produits de saison. Le pain y occupait une place prépondérante. Les festins étaient solidement arrosés. En atteste un banquet de Pâques qui s’est tenu en 1586, à Berne, et où chaque convive a consommé plus de trois litres de vin. Du vin qui, à l’époque, contenait moins d’alcool et, autre coutume, qu’on coupait avec de l’eau.

Une nappe mais ni serviettes ni couverts

Les règles de table étaient également surprenantes. «Comme au Moyen Age, on dispose des nappes sur la table. La nappe doit être d’une blancheur éclatante, tissée ordinairement de chanvre ou de lin. On n’a pas encore de serviettes et on ne s’essuie plus à la longière, soit cette bande étroite de tissu posée sur la bordure de la nappe, sauf dans certaines régions», note Michel Schlup, historien.

Les convives n’ont pas de fourchettes. Ils mangent avec les doigts les aliments solides et boivent généralement les aliments liquides à même l’écuelle qu’ils se passent avec leur voisin. D’où l’importance de s’essuyer chaque fois la bouche. Chaque convive dispose d’un tranchoir, soit une grande tranche de pain sur laquelle il dispose les aliments. Ce tranchoir est posé sur un tailloir, qui est une planche de bois ou de métal.

Repas sans structure logique

Autre spécificité: pas de bouteilles ni de carafes sur les tables. Pour se désaltérer, les gens doivent appeler l’échanson qui sert le vin en le coupant avec de l’eau selon convenance. Le vin se sert dans des gobelets en argent dans les milieux aisés, en étain chez les bourgeois et en fer blanc chez les personnes modestes. Le seul ustensile personnel est le couteau qu’on apporte avec soi.

Enfin, Michel Schlup indique que les repas se servent à l’ambigu. Soit que tous les mets paraissent sur la table en même temps, y compris les desserts. Quant à la place à table, elle se définit de la manière suivante: au haut bout, la personne la plus importante, les personnes de qualité ensuite, selon leur rang. Des règles qui, bien évidemment, n’ont pas été appliquées lors du repas ancien qui s’est déroulé à Neuchâtel.

Trois comédiens pour un homme complexe

«Luther à table» constitue une belle occasion de s’immerger au XVIe siècle, de mieux connaître le message de la Réforme et de découvrir à la fois le courage et les facéties d’un de ses représentants majeurs. Dans une scénographie épurée, efficace, trois comédiens – Edmond Vullioud, Jean-Luc Borgeat et Marco Calamandrei – dévoilent les divers aspects de sa personnalité. Un débat animé entre l’homme, le théologien et le mangeur de choucroute.

Dans cette adaptation théâtrale des Tischreden apparaissent deux facettes d’un même homme. Un Luther et un Martin. D’un côté, Luther soutient des positions fondées, intelligentes, profondes: le primat de la grâce sur les mérites, de la foi sur les œuvres, le retour aux Ecritures saintes comme source et norme de la croyance ou encore le surgissement de la conscience personnelle.

D’un autre côté, Martin, un être mal dégrossi qui affirme conjointement, et avec autant de force, des pensées problématiques, des contresens et des plaisanteries grivoises et douteuses. Ces comportements le rendent drôle, humain et accessible. Il est paradoxal que ses «transcripteurs», pourtant acquis à sa cause, aient également transmis cet aspect de Martin Luther. Et pourtant c’est là, comme un contrepoint, le signe que personne n’est parfait.

Le docteur Luther pense, nous enseigne et nous élève. Le frère Martin nous rejoint dans notre humanité. Ce qui ressort de tout cela et en fait réellement un grand homme, c’est son formidable courage. Celui d’avoir su se lever, seul, contre tout un système de société arrivant à son terme, et proposer autre chose. Une démarche qui demeure d’actualité.