⚡ Aucune trace d’une colère divine

«Ces individus qui sont réprimandés par la colère de Dieu sont largement responsables de la colère de Dieu à l’égard de notre nation.»

À travers l’histoire, la colère divine est presque une constante dans la raison alléguée quant à l’origine d’une épidémie. Établir cette colère comme raison légitimante, voilà qui relève de la liberté de croyance de chacun/chacune. Le problème c’est qu’elle est trop souvent associée à un corollaire néfaste: la recherche d’un coupable à châtier pour calmer ce courroux divin.

Durant la Peste noire de la fin des années 1340, le chanoine Jean le Bel dans ses Vrayes chroniques signale que, alors que les actes de pénitence ne semblent avoir aucun effet, une rumeur nait voulant que les Juifs aient jeté du poison dans les puits et les fontaines du monde entier afin d’empoisonner toute la chrétienté et ainsi s’emparer du pouvoir sur toute la Terre. Cette rumeur va tellement enfler qu’elle conduira à des massacres dans toute l’Europe: Strasbourg, Barcelone, Bruxelles, Francfort.

Dès lors, me direz-vous, la citation placée en introduction fait référence à cette période de l’âge obscur, ce terrible Moyen Age. Eh bien pas du tout.

Son auteur est le pasteur Ralph Drollinger, proche du président américain Donald Trump. Cette citation fait partie d’un texte à propos de la pandémie du COVID-19 intitulé Dieu juge-t-il l’Amérique aujourd’hui? et a été posté en ligne le 21 mars dernier. La seule différence est que les boucs émissaires ce ne sont plus les juifs mais les homosexuels et que cette déclaration n’a pas (encore) conduit à des violences.

Indépendamment du fait qu’une telle déclaration témoigne du fait que l’humanité semble ne pas avoir beaucoup évolué en presque huit siècles, c’est l’état d’esprit qui anime ce texte qui me dérange profondément pour plusieurs raisons.

Tout d’abord le rapprochement fait entre le COVID-19 et la colère divine. Il suscite chez moi une incompréhension teintée de scepticisme. Je m’explique.

À l’heure actuelle il existe deux hypothèses valables quant à l’origine du virus.

Soit il provient d’un laboratoire abritant des micro-organismes pathogènes hautement dangereux comme il en existe à Wuhan en Chine, origine géographique de la pandémie. Soit il provient d’un marché de la même ville proposant différentes espèces animales vivantes sauvages et domestiques, le fameux «wet market». Les deux hypothèses ne s’excluant pas l’une l’autre, un des laboratoires étant tout proche du marché incriminé, comme le signalait récemment Simon Leplâtre journaliste au quotidien Le Temps. Dans les deux cas, nous sommes en présence d’une Zoonose, un terme qui caractérise les maladies infectieuses qui se transmettent de l’animal à l’humain. Comme l’expliquait Serge Morand, chercheur au CNRS interviewé par Marc Bettinelli, journaliste au Monde, cette catégorie de maladies sont présentes depuis le Néolithique, depuis que l’humanité s’est sédentarisée et s’est mise à domestiquer des animaux.

Simplement la situation a quelque peu évolué depuis l’avènement de la Révolution industrielle. Le modèle de développement économique qui prévaut depuis celle-ci conduit à une exploitation accrue de notre environnement. De fait, l’être humain empiète de plus en plus sur le territoire des espèces animales sauvages, conduisant à une augmentation de la cohabitation avec celles-ci. Or, certaines de ces espèces sont d’excellents vecteurs d’agents pathogènes comme le COVID-19.

Plus grave encore, comme le rappelle Raphaël Arlettaz qui dirige le département de biologie de l’université de Berne, cet empiètement sur le territoire sauvage implique une réduction des espèces animales conduisant en dernier lieu à une réduction de la diversité génétique. Ce qui amenuise la recombinaison génétique qui est la principale stratégie de la nature pour contrer les pathogènes.

Qu’on me contredise si on le voudra, mais je ne vois ici que de la responsabilité humaine et aucune trace d’une quelconque colère divine. La pandémie que nous vivons n’étant rien d’autre qu’une résultante de la relation que nous entretenons avec notre environnement.

Venons-en à présent à ce qui est inquiétant théologiquement parlant.

Drollinger appartient à une nébuleuse représentant une certaine tendance évangélique ayant érigé notre modèle de développement économique actuel en dogme. Pourtant très soucieuse de «moralité» quand il s’agit de parler d’orientation sexuelle, cette tendance élude étrangement tout questionnement éthique lorsqu’il s’agit de traiter de l’impact humain sur l’environnement.

Là où son argumentaire entre dans le champ de la malhonnêteté intellectuelle, c’est quand il se met à utiliser Dieu pour se dédouaner. Le COVID-19 n’étant plus le résultat d’une longue série de choix purement humains mais en dernier lieu quelque chose de surnaturel voulu par Dieu. Doit-on voir ici une tactique délibérée destinée à légitimer une reprise pure et simple une fois cette crise passée ? La question reste ouverte.

Mais le plus grave à mon sens c’est la déresponsabilisation qu’opère un tel état d’esprit.

Dans un excellent article traitant de la notion de responsabilité chez Bonhoeffer, François Dermange nous rappelle que pour le théologien allemand celle-ci est avant tout une entrée en action. Désigner des coupables accusés d’entrainer la colère divine – qui se manifeste sous la forme d’une pandémie – c’est en somme rester parfaitement passif. C’est une solution de facilité, parce que prendre des mesures concrètes pour contrer les effets néfastes engendrés par notre modèle de développement économique, ça c’est agir. Le moteur de cette action est à rechercher dans la primauté que nous accordons à notre relation à Dieu. Bonhoeffer nous invite à tirer le sens de notre action de notre proximité avec Dieu.

En ce qui concerne l’environnement, si nous examinons le second chapitre de la Genèse, nous constatons que Dieu place l’être humain afin de «cultiver le sol et le garder». Dieu pourvoit Adam d’une charge: c’est précisément dans une relation dotée d’une exceptionnelle proximité qu’Il le fait. L’être humain est ainsi institué gardien, une responsabilité lui est confiée. Cette responsabilité qui est toujours la nôtre aujourd’hui. Cette responsabilité appelle de notre part d’abord une volonté de maintenir une relation étroite avec Dieu, puisque c’est en elle qu’elle a été instituée au départ. Mais elle appelle également une véritable action. Car il me semble qu’au commencement Dieu nous précède dans l’action, dans la Genèse par cet acte d’établissement d’Adam comme gardien mais également en Christ, choisissant de devenir humain par amour de celui-ci, allant jusqu’à revêtir lui-même sa fragilité. A l’heure ou un virus vient nous rappeler cette fragilité qui est la nôtre, sommes-nous capables de considérer ce que représente fondamentalement cette venue du Christ au sein de l’altérable? À l’heure ou notre environnement montre sans cesse les signes de sa propre fragilité, être réellement édifié par l’Incarnation cela ne signifie-t-il pas être en mesure d’offrir une sensibilité nouvelle à ce qui autour de nous par sa vulnérabilité, appelle à être protégé?

La question est dès lors posée: nous contenterons-nous d’adopter une version plus politiquement correcte de la passivité manifestée par le pasteur Drollinger? Ou, au contraire, aurons-nous le courage d’entrer véritablement en action, au sortir de cette pandémie, pour changer radicalement notre rapport à notre environnement?

Fraternellement en Christ.

Adrien Bridel, conseiller synodal

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Du côté de la paroisse La BARC. De désespérance en espérance par Elim.

Du côté de la paroisse La Chaux-de-Fonds. La méditation du jour est proposée par Vy Tirman.

Du côté de la paroisse de L’Entre-2-Lacs:

Du côté de la paroisse des Hautes Joux. Le site paroissial est désormais hébergé par l’EREN: www.eren.ch/hautesjoux/

Du côté de la paroisse du Joran. Méditation par Gertrude Barraud.

Du côté de la paroisse de Neuchâtel. Une méditaion du jour par Zachée Betché.

Du côté de la paroisse du Val-de-Travers. Télécatéchisme sur le site Catéchisme du Val-de-Travers.

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